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"Bleu Pacifique" : la famille Taofifenua en précurseure

  • Romain et Sébastien Taofifenua face à l'Italie lors du dernier Tournoi des 6 Nations.
    Romain et Sébastien Taofifenua face à l'Italie lors du dernier Tournoi des 6 Nations. Icon Sport - Hugo Pfeiffer
Publié le Mis à jour
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À l’origine de la source des joueurs venus du Pacifique depuis 40 ans, la famille Taofifenua se pose en incontestable précurseure, laquelle a fourni pas moins de deux internationaux qui défendent cette année encore les couleurs du XV de France. Et peut-être d’autres à venir...

Impossible d’éluder, à l’heure d’évoquer les dynasties venues du Pacifique, celle par qui tout a commencé. On veut bien évidemment parler de la famille Taofifenua, dont les membres pourtant refusent d’être considérés comme des précurseurs. « Le premier, pour moi, c’est Stéphane Foiama, un grand deuxième ligne qui jouait à Bourgoin, que l’on faisait venir pour la sélection calédonienne quand on disputait les Jeux du Pacifique » se remémore Jean-Jacques Taofifenua. Reste que, dans l’inconscient populaire, ce sont bien les « Tao » qui ont ouvert la voie aux Calédoniens, Wallisiens et autres Polynésiens, en se décidant à braver les premiers les rudesses de l’hiver européen. « Parce qu’à la base, tout vient de la famille « Tao », s’enflamme l’ancien talonneur. La maman de Christopher et Selevasio Tolofua, c’est notre nièce. Il y a aussi Yoram Moefana et Sipili Falatea : leur arrière-grand-mère était une « Tao » partie à Futuna. Et il y a également eu Yann David par sa maman, une de mes cousines. » Autant d’internationaux, comme les fruits d’une certaine idée du patriotisme… « Chez nous, à l’époque, tout le monde était soit pour les Blacks, soit pour l’Australie, nous expliquait un jour Willy Taofifenua. Il n’y avait que dans ma famille qu’on supportait la France. Si mon père Kiliemo entendait à la maison « allez les Blacks », on se prenait une tarte dans la gueule. Il était fier d’être français, il nous a inculqués ce modèle alors qu’aujourd’hui encore, la plupart des gamins en Nouvelle-Calédonie supportent la Nouvelle-Zélande, parce qu’ils n’ont pas encore compris que la Calédonie c’est la France. » Une histoire qui fait étrangement écho à celle aujourd’hui vécue par Patrick Tuifua, actuel troisième ligne de l’équipe de France U20 dont le rêve demeure encore d’évoluer pour les All Blacks. Et s’avère être, lui aussi, un cousin des Taofifenua, du côté de leur branche paternelle. Mais on s’égare…

Ce cliché remonte à l’année 1975, et réunit les équipes des cadets des clubs de Lomipeau et de l’Olympique de Nouméa, en ouverture de la finale des seniors au stade du Magenta. L’entraîneur en survêtement (en haut à gauche) n’est autre que Joseph Taofifenua, oncle de Willy et Jean-Jacques. Jonas Taofifenua (leur frère aîné) est quatrième debout, en partant de la gauche. Jean-Paul Taofifenua (cousin) est troisième debout, à partir de la droite. Willy Taofifenua est accroupi, troisième en partant de la gauche.
Ce cliché remonte à l’année 1975, et réunit les équipes des cadets des clubs de Lomipeau et de l’Olympique de Nouméa, en ouverture de la finale des seniors au stade du Magenta. L’entraîneur en survêtement (en haut à gauche) n’est autre que Joseph Taofifenua, oncle de Willy et Jean-Jacques. Jonas Taofifenua (leur frère aîné) est quatrième debout, en partant de la gauche. Jean-Paul Taofifenua (cousin) est troisième debout, à partir de la droite. Willy Taofifenua est accroupi, troisième en partant de la gauche.

Un mentor nommé Gérard Murillo

Revenons donc, à cet instant de notre récit, à la famille Taofifenua. Et aux origines de notre saga, en 1989, lorsque le militaire de carrière qu’était Willy fut muté à Mont-de-Marsan sur les conseils d’un homme, l’ancien international (3 sélections) Gérard Murillo, centre ou ailier passé par Bayonne, Mauléon, Saint-Jean-de-Luz et Dijon. « Dans notre famille, le rugby était tout, depuis très longtemps, se souvient Jean-Jacques Taofifenua. Notre cousin germain, qui s’appelait Joseph Taofifenua, était le surdoué de la famille : il était le coach de mes frangins, dès les années 70. On ne pensait qu’à ça, il fallait qu’on y joue. Pour qu’on se fasse voir, il fallait qu’on joue en sélection calédonienne, et ça a commencé comme ça. Le sélectionneur de l’équipe de Nouvelle-Calédonie Gérard Murillo, qui est bien connu dans le Pays basque (il a notamment guidé la sélection basque à la victoire face aux All Blacks en 1990, 18-12, avant de fonder les Euskarians), s’est chargé de nous envoyer en France, à Mont-de-Marsan. Comme Willy était militaire de carrière, il a été muté tandis qu’un an plus tard, j’y ai fait mon service tout en intégrant l’équipe Reichel où évoluaient des gars comme David Darricarrère, Stéphane Prosper, Marc Dal Maso... » « Avec le recul, je me dis que j’ai mis ma famille en danger pour venir jouer au rugby en Métropole, soupirait Willy. J’étais marié, on partait dans l’inconnu. Je ne connaissais personne, j’ai été tout seul la première année. Il m’a bien fallu cinq ou six mois pour m’intégrer. »

Grenoble et l’apogée de 1999

Reste que les qualités physiques incroyables de Willy, et plus globalement les gênes de la famille Taofifenua, allaient largement contribuer à assurer l’intégration des « Tao » sur le terrain. À tel point qu’en 1992, les deux frères furent contactés par Jacques Fouroux pour rejoindre Grenoble. Seul l’aîné répondant à l’appel, avec à la clé la fameuse finale perdue de 1993. « Moi, j’avais des cousins qui évoluaient à Nice (Lyonel Vaitanaki et Abraham Tolofua, NDLR), rembobinait Jean-Jacques. J’ai donc décidé de les rejoindre au RRCN, où j’ai évolué en groupe A avec Jeff Tordo, Christophe Moni, Franck Alazet. C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière. » Laquelle devait vite prendre une courbe ascendante à partir de 1996, lorsque toute la tribu s’en alla rejoindre son totem Willy au pied des Alpes. Laquelle fut même rejointe, quelques mois, par leur petit frère Jean-Claude (père de Filimo, actuel joueur d’Oyonnax), le plus rapide de la fratrie. « Il a dix ans de différence avec nous et aurait pu faire une grande carrière mais le problème, c’est qu’ils sont venus en hiver, et sa femme n’a pas aimé le froid. Il est reparti après n’avoir disputé qu’un seul match avec Grenoble, qui lui avait malgré tout permis d’être contacté par Clermont. Le seul qui n’est finalement jamais venu jouer en métropole, c’est notre aîné Jonas, qui était aussi un bon joueur mais qui est toujours resté auprès de nos parents pour s’en occuper. »

Willy Taofifenua, père de Sébastien, Romain et Kilian, fut en son temps un redoutable troisième ligne du FC Grenoble. Ci-dessus, Romain au côté de Peato Mauvaka et Uini Atonio. Sébastien à l’échauffement.
Willy Taofifenua, père de Sébastien, Romain et Kilian, fut en son temps un redoutable troisième ligne du FC Grenoble. Ci-dessus, Romain au côté de Peato Mauvaka et Uini Atonio. Sébastien à l’échauffement. MIDI-OLYMPIQUE - GARCIA BERNARD

Heureusement, le reste de la famille était resté soudé, pour plusieurs belles saisons en Isère, avec en point d’orgue cette année 1999 qui vit le FCG échouer en demi-finales contre Clermont, aux portes du Stade de France, après avoir fait tomber à la surprise générale le Colomiers de Fabien Galthié en quarts de finale. « Cette épopée, ça reste à la fois un des plus beaux et un des plus tristes souvenirs de ma carrière, nous avait confié un jour Willy. On concassait tout le monde devant, notamment en mêlée où Michel Ringeval nous faisait passer des heures sur le joug Predator… Cela aurait été fantastique d’amener toute la tribu avec nous à Paris. »

Une source loin d’être tarie

Le terme de « tribu » étant ici tout sauf anodin puisque, aux côtés des frangins Tao, on commençait à voir apparaître leur progéniture, à commencer par Romain et Sébastien (9 et 7ans à l’époque), témoins forcément privilégiés de cette aventure tandis que leur cousin Donovan était né juste avant les phases finales… Depuis ? Le temps est passé, évidemment. Qui a permis aux héritiers de Willy Taofifenua de combler le manque éternel de leurs aïeux, à savoir la consécration d’une sélection en équipe de France. Et le plus beau ? C’est que la source est encore loin d’être tarie, puisque le plus jeune des fils de Willy (lire ci-contre) commence à mettre le nez à la fenêtre du haut niveau tandis que le cadet de Jean-Jacques, Jessy, vient d’être recruté par les cadets Gaudermen de La Rochelle. « Il vient d’avoir quinze ans et joue arrière et buteur, se marre Jean-Jacques, devenu aujourd’hui coprésident du club de Saint-Junien. Comme Donovan, il joue derrière mais c’est normal, c’est parce qu’il est métis. Il tire plus du côté de sa maman, qui est montoise. Ce n’est pas un pur Wallisien, sinon il aurait joué devant. Je crois que génétiquement, nous sommes faits pour le sport ! » Un héritage que la famille Tao s’est jurée de perpétrer sur le Caillou, en fondant par le biais de Willy l’Académie du Pacifique Sud, pour offrir à des plus jeunes la chance d’évoluer à haut niveau. On attend désormais la suite, avec – qui sait – les exploits de la prochaine génération…

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Les commentaires (1)
CasimirLeYeti Il y a 27 jours Le 30/03/2024 à 14:20

Une formidable génétique, c'est l'histoire des « conquérants du grand Océan »... L'Océanie, le cinquième continent, 25000 km2 d'Océan Pacifique parsemé d'états insulaires. Il y a 3000 ans, la plus grande migration maritime entreprise par l'espèce humaine y a débuté en commençant par Taïwan. Ce peuplement a créé une nouvelle civilisation, aujourd'hui dispersée, mais qui a conservé une manière bien à elle de dire le monde. Pour résister aux traversées d'îles en îles et donc aux privations alimentaires, à la soif, à la promiscuité (générant des foyers de maladie), deux éléments fondamentaux, la capacité à stocker de la graisse pour moins souffrir en l'absence de nourriture et l'absence de maladie, pouvant rapidement créer une pandémie sur un frêle esquif mais aussi une île, à la taille modeste où il est impossible de pratiquer une quarantaine... Seuls les plus forts ont survécus et se sont reproduits au fil des siècles et des siècles de migration.