Lhermet : "Il faut une vision et des missions claires"

  • Top 14 - Jean-Marc Lhermet (Clermont)
    Top 14 - Jean-Marc Lhermet (Clermont)
  • Coupe du monde 2019 - Charles Ollivon (France) contre l'Argentine
    Coupe du monde 2019 - Charles Ollivon (France) contre l'Argentine
  • Coupe du monde - Damian Penaud (XV de France) trouve la brèche contre l'Argentine
    Coupe du monde - Damian Penaud (XV de France) trouve la brèche contre l'Argentine
Publié le
Partager :

XV DE FRANCE - En marge du dossier réalisé dans l’édition de Midi Olympique de ce lundi sur l’ère Galthié qui s’ouvre désormais à la tête de l’équipe de France, nous avons aussi souhaité donner la parole à Jean-Marc Lhermet.

L’ancien troisième ligne international, membre éminent de l’opposition fédérale emmenée par Florian Grill, revient sur le bilan du dernier Mondial et les perspectives d’avenir pour les Bleus.

Midi Olympique : Quel bilan tirez-vous de la Coupe du monde ?

Jean-Marc Lhermet : Le résultat est logique. On ne peut pas forcément être déçu puisque, globalement, notre équipe est à la place qui fut la sienne sur les quatre années précédentes. On perd en quart de finale et cela correspond au niveau des Bleus. J’estime aujourd’hui qu’une Coupe du monde ne se prépare pas trois mois avant l’échéance. On l’a vu avec toutes les équipes nationales qui ont brillé, comme l’Angleterre ou le Japon qui sont montées en puissance durant quatre ans, avec une vision et une logique pour aborder cet événement. Quand on regarde de près, les quatre dernières années ont été les pires de l’histoire du rugby français, avec seulement trois victoires contre les nations du Top 8 quand le pays de Galles ou l’Angleterre ont gagné cinq ou six fois plus contre ces équipes. La déception, c’est que le XV de France mérite bien mieux que ça. On a quand même des joueurs qui devraient systématiquement disputer des demi-finales. Nous sommes au plus bas niveau connu par la France en Coupe du monde, ce qui est anormal par rapport à notre potentiel.

Parce que le rugby moderne ne peut plus permettre de combler le retard ?

J-M.L. : Il est tellement exigeant aujourd’hui. On parle beaucoup du physique, du système de jeu mais il y a aussi des dimensions de confiance, de cohésion ou de sérénité qui sont indispensables compte tenu des enjeux. Tout le travail qui n’a pas été fait pendant trois ans et demi ne va pas se combler dans les quatre ou six derniers mois. Même si on sent des choses intéressantes apparues sur cette période ou par éclairs sur la Coupe du monde, les matchs contre les Tonga ou les États-Unis sont aussi révélateurs. C’est le constat.

Sentez-vous tout de même poindre une nouvelle génération, symbolisée par les Penaud, Ollivon, Dupont ou Ntamack ?

J-M.L. : Oui, c’est un point rassurant. Mais il y a toujours eu des joueurs exceptionnels en équipe de France. Disons que c’est une base intéressante mais l’erreur à ne surtout pas faire est de se dire : "On a les talents, donc ça va aller mieux." Si, autour d’eux, on ne met pas en place un système différent de celui qui a existé durant quatre ans, à savoir travailler cette fois sur la confiance avec un management qu’il faut changer… Je suis désolé de le dire mais on ne peut pas garder le même management brutal et imprécis. Ce n’est pas comme ça qu’on permet de bosser dans la sérénité, ce qui est pourtant la priorité dans un sport collectif. Il faut avoir une vision et des missions claires au niveau du staff. Je suis optimiste quant à la qualité des joueurs mais ne croyons surtout pas que ce sera suffisant si on veut amener ce groupe à son plein potentiel en 2023.

Coupe du monde 2019 - Charles Ollivon (France) contre l'Argentine
Coupe du monde 2019 - Charles Ollivon (France) contre l'Argentine

Quel regard avez-vous porté sur le fait que Fabien Galthié et une partie du futur staff aient déjà intégré l’encadrement pour la dernière Coupe du monde ?

J-M.L. : Je pense qu’il faut travailler sur la durée. Si on vise 2023, l’organisation à mettre en place démarre dès maintenant car on ne doit pas perdre de temps et on part tout de même avec du retard sur les autres. Ce qui me gêne, ce n’est pas que Galthié et d’autres aient été intégrés en amont, mais le manque de clarté sur les missions de chacun. Galthié, c’était celui qui commandait sans commander. Quel est le rôle de Brunel là-dedans ? Celui d’Elissalde vis-à-vis ce Labit ? C’est un problème par rapport à l’extérieur mais ça l’est aussi au niveau des joueurs. À qui devaient-ils se référer ? Dans tout type d’organisation, il faut un management clair. Ce flou m’a perturbé. Déjà, Galthié arrive parce qu’un pseudo-audit auprès des clubs a empêché de faire venir Gatland… Ce n’est pas optimal pour lui. La décision de l’incorporer au staff, pourquoi pas ? Qu’il puisse observer l’attitude des uns et des autres, qu’il gagne du temps, c’est bien. Mais c’est la façon de faire qui me dérange. C’est néfaste à la performance.

Quel pouvoir, et quelle latitude, va-t-il avoir dorénavant ?

J-M.L. : J’en reviens là mais, à un moment, les missions doivent être claires. Aujourd’hui, on a un management de l’équipe de France qui tourne autour de plusieurs personnes. Il y a le président de la Fédération, il y a Serge Simon, il y a Raphaël Ibanez, il y a Fabien Galthié, il y a les coachs autour et même Jacques Brunel qui est encore là… Je ne connais pas les missions de chacun, et j’espère au moins que les intéressés les connaissent. Mais les rôles de Galthié et Ibanez doivent être bien définis. En amont, il faut un relationnel Fédération-Ligue assaini pour que le sélectionneur puisse travailler correctement avec les entraîneurs de club. Les coachs doivent pouvoir aller très régulièrement, pas une fois sur tous les trois mois comme avant mais une fois par semaine ou tous les quinze jours, au sein des clubs pour créer cette proximité. C’est un élément majeur de la réussite. Mais ce n’est pas Fabien qui va négocier la convention avec Paul Goze. Au plus haut niveau de la Fédé et de la Ligue, il faut un cadre de fonctionnement établi pour lui donner les moyens de faire ce qu’il a envie de faire avec les entraîneurs et les joueurs. Cet aspect a péché par le passé et explique aussi les mauvais résultats de l’équipe de France. Quand Laporte est arrivé, sa première décision a été de vouloir dézinguer la Ligue pour avoir la tête de ses dirigeants, et cela n’a pas permis des relations apaisées et normales dans l’intérêt du rugby français. Elles ont été gelées pendant trois ans. On a remis en question le staff sur son manque de proximité avec les entraîneurs mais c’est parce qu’il n’y avait pas le cadre propice. Ces tensions ne doivent plus exister. Sinon, Fabien Galthié peut avoir les meilleures intentions du monde, il n’y arrivera pas.

Il y a eu ces premières réunions avec Mola, Azéma et Travers. Cette fameuse union sacrée, souvent évoquée ou fantasmée dans le rugby français, peut-elle exister ou est-ce une façade à vos yeux ?

J-M.L. : C’est dur à dire. Je l’ai vécu de l’intérieur car, il y a quelques mois encore, j’étais impliqué par la Ligue sur ce rapprochement des coachs. Il y avait eu des grandes déclarations : "Maintenant, on travaille avec les entraîneurs, tout va bien." Mais, pour avoir fait partie des réunions, je sentais bien que c’était de la vitrine et de la cosmétique. Il faut aller au-delà de la communication et voir si, au sein de ces réunions, il y a une vraie volonté de collaborer. Je ne peux pas répondre car je n’y suis plus. Il y a quelques mois, c’était du pur fantasme. Mais aujourd’hui peut-être, et je le souhaite, cela se passe mieux pour qu’il y ait du sens derrière tout ça. On ne doit pas juste donner l’impression de travailler ensemble mais vouloir gagner ensemble la Coupe du monde 2023. Cela doit d’abord se traiter au plus haut niveau de la gouvernance des deux instances. Une fois le cadre fixé, cela pourra être appliqué en-dessous. Les réunions ne servent à rien s’il n’en découle pas des actions concrètes dans les clubs. On va s’en rendre compte très rapidement. Selon moi, le sélectionneur doit être en capacité de demander à un entraîneur de mettre un joueur au repos, même si ce n’est pas dans une période internationale, ou de convoquer et garder des joueurs même s’il ne les fait pas jouer à partir du moment où il considère que c’est utile pour développer son projet. Pour ça, il faut une vraie relation de confiance entre les hommes et que l’intérêt suprême du rugby soit validé par tous. Dans les faits, cela n’existait pas ces dernières années.

Coupe du monde - Damian Penaud (XV de France) trouve la brèche contre l'Argentine
Coupe du monde - Damian Penaud (XV de France) trouve la brèche contre l'Argentine

Vous avez croisé et côtoyé Fabien Galthié depuis de nombreuses années. On a souvent loué ses qualités de technicien mais émis des réserves sur son relationnel humain. Est-il l’homme de la situation pour vous ?

J-M.L. : Je crois qu’il est un des meilleurs techniciens qu’on puisse avoir dans le rugby français, à l’aise avec les exigences du rugby moderne. C’est important car ce jeu a énormément évolué, ce qu’il faut maîtriser. Il a les compétences en phase avec la réalité de notre sport. Il saura aussi, je pense, bien s’encadrer. Sur sa connaissance du rugby et sa capacité à construire un projet pour gagner en 2023, je suis assez confiant. Mais cette problématique qu’il peut avoir dans le management de certains joueurs, du moins ce que j’ai pu lire ou entendre, a souvent été mis en avant. C’était le cas sur des groupes de clubs, composés d’une quarantaine de joueurs, sur la durée. Il a peut-être du mal à embarquer ceux qui ne sont pas en phase avec lui. Mais ce défaut, que je n’ai jamais vécu de l’intérieur, est un peu gommé dans le cadre d’un entraîneur national. Il va prendre les joueurs qu’il a choisis, avec la dimension technique ou physique mais aussi avec le feeling qu’il aura avec eux.

Le dernier changement de gouvernance à la Fédération a eu des conséquences sur la position de Guy Novès, qui a finalement été évincé. Si l’équipe dont vous faites partie arrive aux responsabilités dans un an, Galthié a-t-il l’assurance de rester sélectionneur jusqu’en 2023 ?

J-M.L. : Déjà, sur Novès, ce qu’il s’est passé est inadmissible. Qu’on change un entraîneur, pourquoi pas ? On peut penser qu’il n’a pas les capacités ou qu’il n’est pas en phase avec sa vision du rugby. Mais la manière a été catastrophique de la part de la gouvernance qui arrivait au pouvoir. Pour répondre à la question, par rapport à la dynamique qu’on veut mettre en œuvre, la notion de rassemblement est fondamentale. Le rugby français n’a pas les moyens de se diviser. On a plutôt intérêt à unir les compétences et faire fi de tout positionnement politique ou autre. Il faut travailler avec les gens compétents, quoi qu’ils aient fait avant. Concernant Fabien et son équipe, c’est la même chose. Ce n’est pas parce qu’il a été nommé par l’équipe précédente, si on arrive aux affaires dans un an, qu’il y a une raison de ne pas bosser avec lui. Il faut un environnement de confiance et de bienveillance. Donc je ne vais pas dire : "Dès qu’on débarque, on met l’entraîneur qu’on veut." Non, il faut continuer avec l’équipe en place. Après, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. S’il y a des critères qui obligent à prendre des décisions, il faudra les prendre. Mais la volonté est de rester dans la continuité dans la mesure où ces hommes veulent aussi poursuivre avec la nouvelle gouvernance.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?