Cazalbou: "Nous n'avons toujours pas défini quelle était la priorité du rugby français"

  • Jérôme Calzabou en 2008
    Jérôme Calzabou en 2008
  • Jérôme Cazalbou lors de la demi-finale de H Cup - Leicester Toulouse - 4 janvier 1997
    Jérôme Cazalbou lors de la demi-finale de H Cup - Leicester Toulouse - 4 janvier 1997
Publié le
Partager :

Jérôme Cazalbou porte un regard acerbe sur l'équipe de France, le Top 14, et le Stade toulousain. L'ancien demi de mêlée international toulousain, sept fois champion de France et vainqueur de la Coupe d'Europe, aujourd'hui consultant pour France Télévisions, nous parle des valeurs d'un sport dont il a vécu la mutation.

Parlons tout d'abord du XV de France et de ses tests matchs de novembre: que retenez-vous de positif ?

Jérôme CAZALBOU: Ce que l'on peut en retirer de positif, c'est un certain état d'esprit, une certaine fraicheur. Plutôt sur les deux premiers matchs où l'on a vu des joueurs prendre davantage d'initiatives, avoir un engagement plus important par rapport à ce que l'on avait pu voir auparavant et une envie de bien faire.

Et de négatif ?

J.C: Malheureusement, un résultat qui se ternit avec cette défaite face aux Argentins. Cependant, au vu des dix dernières minutes, le résultat aurait pu basculer favorablement pour l'équipe de France avec cette dernière action de Scott Spedding qui finit sur le dos dans l'en but. Mais sur l'ensemble du match et notamment sur la première mi-temps avec la mainmise de l'Argentine et son pragmatisme associé à notre attentisme, il n'était pas anormal de voir les Pumas s'imposer. On aurait pu perdre contre l'Australie et gagner contre l'Argentine car les deux matchs se jouent à pas grand chose. A la vue de cette tournée et au delà des résultats, il reste encore des interrogations sur le contenu, sur l'animation offensive et cette capacité à jouer ensemble en créant du lien entre avants et trois-quarts. Après, le mental fait partie d'un tout. Aujourd'hui, mettons-nous les joueurs de l'équipe de France dans les meilleurs conditions pour se préparer mentalement ? Ce n'est pas du tout une critique de ma part envers le staff du XV de France mais une critique dans sa globalité générale sur la priorité que le rugby français veut bien se donner. Il y a un contexte général et un climat général qui n'a jamais été assaini dans le rugby français et qui ne permet pas aux joueurs, selon moi, de s'exprimer à 100%. Inconsciemment, dans un coin de la tête des internationaux, il y a un manque de visibilité sur les objectifs principaux.

Si l'on ne définit pas clairement un cadre, une priorité [...] on continuera d'être la risée des grandes nations alors que nous avons le potentiel pour être champions du monde

Je crois aussi que tout le monde doit arrêter de tirer sur le XV de France et de l'opposer sans cesse au Top 14 car ce sont deux choses bien différentes, bien distinctes d'autant plus que cela crée un désamour auprès de notre équipe nationale. Je trouve cela aberrant que l'on en soit là et quelque part, nous sommes la seule nation à agir ainsi. Il ne faut pas s'étonner si nos résultats ne sont pas là. Nous n'avons toujours pas défini quelle était la priorité du rugby français. Veut-on être réellement être champions du monde à court ou moyen terme ? Si l'on ne définit pas clairement un cadre, une priorité, que chacun s'y tienne et que l'on n'arrête pas de faire le petit village gaulois toujours en train de se battre contre un autre, on continuera d'être la risée des grandes nations alors que nous avons le potentiel pour être champions du monde, j'en suis persuadé. On peut prendre le modèle anglais. La ligue et la Fédération anglaise savent se parler et s'entendre de temps en temps. Lorsqu'arrive le temps de mettre en avant l'équipe d'Angleterre, il n'y a plus d'opposition. Elle a été la seule équipe de l'hémisphère nord championne du monde et elle peut encore s'afficher comme un candidat au titre en octobre prochain. Elle fait partie des candidats au titre quand nous faisons partie des outsiders.

Quel est votre regard sur la charnière et les numéro neuf en particulier ?

J.C: Pour que la charnière arrive à bien coordonner le jeu et à bien s'entendre, il faut lui laisser du temps. Il en est de même lorsqu'il y a des contre-performances. Dawson et Wilkinson (ndlr, ex-charnière du XV d'Angleterre) ont commencé ensemble en prenant pratiquement deux fois soixante-dix points en Australie et ils ont pourtant été champions du monde quelques années plus tard. Nous avons trop tendance en France à pointer du doigt la charnière. Il est clair que si l'on tient compte du match contre l'Argentine, la performance de la charnière peut être remise en cause notamment par le jeu de passes trop profondes qui font perdre le gain de terrain gagné par les avants un peu plus tôt. Au delà de ça, le fait de continuer et d'avoir de plus de plus de temps de jeu commun permettra à la charnière de s'installer et de prendre davantage de responsabilités. A l'image de la troisième ligne et de l'arrière, nous avons les joueurs français pour occuper ces postes mais avec des profils différents. Morgan Parra est un passeur, un éjecteur ; Jean-Marc Doussain est plus dans l'opportunisme et dans la provocation de la ligne adverse avec un rôle de neuvième avant ; Tillous-Borde qui est collectif avec un gros gabarit, à l'image de Rory Kockott mais à la différence que l'un ne bute pas et que l'autre possède un coup de pied de cinquante mètres. Sans oublier un Jonathan Pélissié hélas blessé au mauvais moment pour avoir assez de temps de jeu et valider tout le bon travail et les performances avant ces mésaventures physiques. Il a la capacité d'alterner les deux formes de jeu et de faire le consensus entre les différents neuf cités.

Quand on s'aperçoit du réservoir de demis de mêlée français dans notre championnat, n'est-il pas regrettable de voir un Rory Kockott endosser le maillot bleu ?

J.C: C'est difficile aujourd'hui de le regretter alors que la moitié voire les trois-quarts des Français l'ont réclamé. Ce qui est arrivé dernièrement prouve qu'il n'y a pas d'homme providentiel qu'il soit français ou étranger. On fait un sport collectif et c'est par le collectif que doit venir la solution et que doit venir la performance. Après, on parle de Kockott mais on peut aussi évoquer les cas de Spedding, Le Roux, Claassen. Ce n'est pas leur appel qu'il faut remettre en cause ni le fait qu'ils portent le maillot du XV de France mais plutôt la règle qui est à revoir car elle n'a plus de raison d'être. A la base, cette dernière était mise en place pour aider certains pays qui n'étaient pas des pays émergents. Mais à ce jour, elle n'est pas adaptée à la libre circulation de tous les joueurs de tous les continents qui viennent chercher en France la confrontation d'un championnat performant, et qui paye bien.

Quand je vois qu'il y a dix étrangers sur la feuille de match de Toulouse contre Grenoble, ce n'est pas le modèle du Stade toulousain

Votre club de cœur, le Stade toulousain ne gagne plus de titres depuis 2012: quel regard portez-vous sur cette absence notoire de résultat ?

J.C: Comme toujours, lorsque l'on a passé autant de temps dans le club et que l'on a eu un poste à responsabilité sur le terrain, on regarde toujours cela avec un œil avisé et c'est plus ou moins bien supporté par les gens qui, parfois, prennent cela comme une critique pure et dure et avec une certaine aigreur. Pour autant, c'est une juste une volonté que ce club continue à tutoyer les sommets. En étant de l'extérieur, le témoignage ou le regard que l'on peut porter n'est pas là pour déstabiliser le club. Depuis quelques saisons maintenant, des clubs ont bien travaillé, se sont inspirés du Stade toulousain, ont apporté leur propre touche et le niveau s'est resserré. Le Stade est confronté à une concurrence de plus en plus élevée. Il faut désormais rivaliser chaque année avec huit ou neuf équipes qui ont la capacité de jouer les phases finales du Top 14. Très souvent, là où parfois j'ai une blessure dans le cœur rouge et noir que je peux avoir, c'est essentiellement par rapport au fait que nous avons toujours essayé d'avoir notre propre modèle. Et aujourd'hui, j'ai l'impression que l'on a essayé de copier le modèle porté par d'autres clubs et étant un peu contre nature, nous n'arrivons pas à avoir les résultats.

Jérôme Cazalbou lors de la demi-finale de H Cup - Leicester Toulouse - 4 janvier 1997
Jérôme Cazalbou lors de la demi-finale de H Cup - Leicester Toulouse - 4 janvier 1997

De quel modèle parlez-vous ?

J.C: Quand je vois qu'il y a dix étrangers sur la feuille de match de Toulouse contre Grenoble, ce n'est pas le modèle du Stade toulousain. C'est le modèle d'autres clubs mais pas celui du Stade. D'autant plus qu'il y a une formation de très bonne qualité avec des gens qui y travaillent depuis des années comme Michel Marfaing et qui sont reconnus par tous. Lorsqu'il y avait des blessés, on a pu retrouver du temps de jeu pour quelques jeunes qui ont permis au club de se redresser. Aujourd'hui, j'espère qu'avec les retours de joueurs leaders, on n'oubliera pas de continuer à incorporer ces jeunes et cette formation qui est le vrai modèle du Stade toulousain.

Quels points positifs voyez-vous dans l'évolution du Top 14 ?

J.C: Franchement, depuis le début de la saison, je vois des matchs beaucoup plus plaisants qu'auparavant, plus tournés vers l'attaque. Cela est probablement dû au climat clément que nous avons et qui nous donne cette évolution dans le jeu. Il y a davantage de vitesse et d'évitement, ce qui nous ramène un peu vers les notions fondamentales du jeu de rugby contrairement aux saisons précédentes où il y avait davantage d'affrontement et de la défense, ce qui n'allait pas forcément dans le sens d'un développement du rugby ouvert au plus grand nombre. Ensuite, on le doit aussi à une prise de conscience des nouveaux staffs qui arrivent avec cette volonté totale de jeu.

Dans le rugby français, que tout le monde fasse des concessions et que l'on ne revienne plus dessus

Quels seraient les points à améliorer ?

J.C: A contrario, que ce soit pour le Top 14 ou pour l'équipe de France, j'ai l'impression que les stades sont de moins en moins remplis et que l'engouement est en train de retomber. On voit également de moins en moins de délocalisations dans les grands stades même si certains ont amélioré leurs infrastructures. C'est à l'opposé de ce que je viens de dire par rapport au jeu produit cette saison. Probablement par rapport à la situation économique des gens et du prix des places.

Nous avons évoqué l'évolution du rugby professionnel par le jeu. Pour le grand public français, il serait aussi intéressant d'aborder le sujet financier...

J.C: Quand je suis arrivé au Stade toulousain en 1987, je devais toucher l'équivalent de 150 euros mensuel. Ajoutez à cela des primes de 30 euros par match gagné à domicile et 80 euros pour une victoire à l'extérieur. Je ne me souviens pas avoir touché une prime pour le premier titre de Champion d'Europe en 1996. En revanche, pour un titre de champion de France notamment pour mon dernier en 2001, on a reçu 900 euros chacun. Ensuite, sur le dernier contrat professionnel que j'ai signé au début des années 2000... enfin semi-professionnel (puisqu'il travaille à côté à la Société Générale, ndlr) même si je m'entrainais tous les jours comme un pro, je gagnais 4500 euros par mois et il n'y avait plus de primes de match (actuellement la moyenne de salaire en Top 14 est de 14500 euros par mois, ndlr). Le rugby n'a cessé d'évoluer et les droits TV à l'époque n'étaient pas ceux d'aujourd'hui.

2015 va être une très grande année rugbystique: avez-vous des souhaits à formuler à l'approche des fêtes de fin d'année ?

J.C: Que l'on arrive enfin à un consensus sur la priorité que doit avoir le rugby français et à ce que la France devienne un jour championne du monde ! Que tout le monde fasse des concessions, que ces dernières soient acceptées par tous et que l'on ne revienne plus dessus.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?