Un jour, une histoire : Maurice Siman, rugbyman et résistant

  • Maurice Siman (France) face à l'Angleterre
    Maurice Siman (France) face à l'Angleterre
  • Maurice Siman (France) face à l'Irlande
    Maurice Siman (France) face à l'Irlande
  • Carte de membre des Ardents, groupe résistant, de Maurice Siman
    Carte de membre des Ardents, groupe résistant, de Maurice Siman
Publié le Mis à jour
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L'ancien castrais Maurice Siman, grand athlète et superbe rugbyman, a vécu un drôle de début de carrière. Joueur de l'ASM le jour, il était résistant la nuit.

Pourquoi Maurice Siman, malheureusement décédé en 2015 à 91 ans, laisserait une trace dans le rugby français ? Pour ses 6 sélections ? Pour son profil de sprinteur supersonique (10’’7 sur 100 mètres) ? Pour ses deux titres de champions de France avec le CO (1949, 1950) ? Assurément. On pourrait aussi rappeler la cruauté du destin qui poussa le président de la FFR, Alfred Eluère, à le coucher sur une liste noire et à lui interdire le maillot bleu. "Parce que j’avais eu des contacts avec des clubs treizistes, des contacts seulement. Ce sont eux qui sont venus me voir. Je n’avais rien demandé", soupirait-t-il encore dans sa maison nichée dans un hameau de la périphérie de Castres, en regrettant les vingt capes supplémentaires que son talent méritait.

Oui, Maurice Siman a bien vécu toutes ces péripéties sportives. Mais les moments les plus exaltants de son existence n’ont pas été les plus médiatisés. La première partie de sa carrière, il l’a vécue à Clermont en pleine occupation : "Près de Vichy et de la frontière entre la zone libre et la zone occupée, près de Riom aussi, où se déroula le fameux procès. Il y avait là beaucoup de miliciens..." Beaucoup de miliciens et aussi pas mal de résistants dont son propre président, Marcel Michelin, fondateur de l’ASM en 1911 et qui finira déporté à Buchenwald. "C’était une époque terrible. Il fallait se méfier de tout le monde. On ne savait pas à qui on avait affaire", se souvient Maurice Siman qui était un peu le Rougerie de son époque.

Maurice Siman (France) face à l'Irlande
Maurice Siman (France) face à l'Irlande

Chercher des armes en pleine nuit

Ses tiroirs regorgent de photos sportives mais sur la table de son salon figure une simple carte barrée de bleu-blanc-rouge avec sa photo d’identité. Ce document témoigne d’une partie de son existence dont il a peu parlé, même à ses enfants. Sa photo en costume-cravate est surplombée d’un intitulé qui claque : "Les Ardents", le nom d’un mouvement de résistance né en Auvergne. Évidemment, la carte a été fabriquée après la Libération. Elle apporte la preuve que pendant quatre ans, Maurice Siman n’a pas seulement brillé sur les pelouses et les pistes en cendrée. Le jour, Maurice Siman état moniteur sportif dans les établissements scolaires financés par la maison Michelin, dont la fameuse école Charras. Le soir, il se livrait à des activités illicites qui auraient pu lui coûter très cher : "C’était une question de cœur et de conscience..."

Dès le début de l’occupation, il avait refusé d’aller prêter allégeance à Vichy devant le maréchal Pétain lors d’une réunion d’athlètes. "Ce fut son premier acte de résistance", explique Serge, son fils, qui veille à ce que le passé paternel ne tombe pas dans l’oubli. Les missions du jeune Maurice étaient particulièrement délicates : "Mon oncle Alex, dit Gustave, m’avertissait au dernier moment. En pleine nuit, en vélo avec une remorque accrochée derrière, nous partions chercher des armes après un parachutage. Et nous allions les cacher. J’avais très peur, je ne le cache pas. Il y avait tellement de dénonciations." C’est ce qui est le plus important à comprendre pour les jeunes générations. À vivre au quotidien, la vie d’un résistant n’avait rien de particulièrement triomphant. La lutte n’était pas celle d’un Vercingétorix chargeant les Romains avec son glaive. La vie du résistant était celle d’un soldat de l’armée de l’ombre. "Je jouais avec un talonneur nommé Lajarrige qui était un chef résistant. Mais je ne parlais pas de ça avec lui. D’ailleurs, quand on commençait à parler de l’actualité, il partait en courant. Mais je n’étais pas censé connaître son appartenance. Je m’en doutais, c’est tout."

Carte de membre des Ardents, groupe résistant, de Maurice Siman
Carte de membre des Ardents, groupe résistant, de Maurice Siman

D’ailleurs dans cette équipe de Clermont, il y avait aussi un centre qui appartenait à la milice : "Je ne veux pas citer son nom. De toute façon, il a été arrêté et condamné après la guerre. Je l’ai revu, ça m’a fait mal au cœur quand même. Les résistants l’utilisaient pour les tâches les plus ingrates. Il dégageait des cadavres et il se nourrissait de croûtes de pain..." Maurice Siman se souvient de son voisin milicien qui, un jour, s’était douté de quelque chose et lui avait lancé : "Un jour, je te tuerai..." "Après la Libération, je suis allé le voir. Aussitôt, il a fait mine de sortir quelque chose de son tiroir, je l’en ai empêché. J’ai vu que c’était un revolver." À quoi tient donc une carrière brillante de rugbyman ? À un réflexe ou à un avertissement de dernière minute : "Un jour, je devais partir au maquis dans un convoi. La première voiture est partie. J’étais dans la deuxième. Au moment de démarrer, quelqu’un nous a dit : "N’y allez pas !" Nous sommes restés. La première voiture est tombée dans une embuscade de l’armée allemande."

Marié à Marcelle depuis 1942

Mais ce passé, même son fils Serge a mis du temps à le découvrir. Bercé par le récit des exploits sportifs de son père, il ne saisissait que des bribes de ses actes d’héroïsme, lâchés comme par inadvertance. "Par-ci par-là, au cours de repas de famille, sans être sûr de ce que j’entendais. Mais du côté ma mère aussi, il y a eu des résistants." Marcelle, son épouse depuis 1947, ne perd pas une miette du récit de son mari qu’elle a connu magnifique athlète, juste après son titre de champion de France du 110 mètres en 1942. Elle jouait au basket au Stade clermontois et elle se souvient elle aussi de cette période noire, les balles qui sifflaient, les privations : "Une fusillade en pleine rue, mon envie folle de manger une orange..." Des rendez-vous amoureux à deux pas d’une sentinelle allemande qu’on avait pas vu. "J’embrassai Maurice et... j’ai vu ses pieds". Elle n’a pas oublié ce qu’elle a vu au siège de son club : "Il y avait un homme, juif, nommé Papazian. Il s’était réfugié là, dans une petite pièce. Pendant quatre ans, il est resté dans la clandestinité. Les gars et les filles du club lui apportaient à manger..." Dont un certain Maurice Siman.

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