Un jour une histoire : le vrai miracle de Lourdes

  • Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages. Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages.
    Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages.
  • Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages.
    Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages.
Publié le Mis à jour
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On a beaucoup parlé de l'invincibilité de Clermont au Michelin. Mais il ne faut pas oublier que le club haut-pyrénéen est resté invaincu sur sa pelouse pendant douze ans.

Le stade Antoine-Béguère est quasiment identique à celui qui a vu jouer les frères Prat. Seules les images des internationaux ont été peintes sur les murs depuis. Michel Corsini, ancien postier et historien du FC Lourdes, se souvient de ses 10 ans quand son père l’amenait voir l’équipe de sa petite ville. Une phalange d’athlètes qui a laissé une trace presque indélébile dans l’Histoire du rugby français.

OK, cinquante ans plus tard, le championnat est plus dense. OK, la Coupe d’Europe n’existait pas avant les années 90. OK, le record de Clermont est vraiment impressionnant (75 victoires consécutives depuis 2009) mais, en termes statistiques, les Auvergnats sont encore loin de l’AS Béziers (lire ci-contre) et du FC Lourdes : l’exemple le plus frappant de l’impact du sport dans nos sociétés modernes. Pendant vingt ans, en France, le nom de la souspréfecture des Hautes-Pyrénées a été au moins autant associé au rugby qu’à la religion.

20 000 spectateurs qui forcent le passage

L’équipe de Jean Prat n’a pas connu la défaite sur sa pelouse pendant douze années, entre 1948 et 1960. Si l’on compte la Coupe de France et le Challenge Yves Du-Manoir, la série englobe aisément plus de cent matchs. "Quand ça s’est arrêté, contre Béziers, j’en ai pleuré, un monde s’effondrait. Même si en fin de saison, nous avons été quand même champions." Mais cette litanie de victoires ne tenait pas du miracle, même si elle donnait lieu elle aussi à son propre pèlerinage. "Les clameurs du public couvraient parfois les chants religieux", commente notre collaborateur Denis Lalanne, chroniqueur privilégié des années fastes du FCL.

"Je me souviens du match contre Mont-de-Marsan qui accueillit 20 000 personnes, en 1958. Il y avait tellement de monde qui voulait entrer que le président a décidé d’ouvrir les portes, il craignait une émeute." Michel Corsini ajoute : "Impossible de savoir combien de personnes ont assisté à ce match, tant il y a eu de resquille." Henri Gatineau, ex-rédacteur en chef de Midi Olympique précise : "Ce stade était une cathédrale, le public n’y était pas aussi chauvin qu’ailleurs. C’était une académie, l’atmosphère y était plus solenelle que passionnée."

Désormais, Michel Corsini se redonne du baume au cœur en se disant que, si l’on ne voit plus de rugby de haut niveau au stade Antoine-Béguère, on peut encore y jouir d’un décor de carte postale : "Les trois sommets, le Pic du Ger, le Pic du Béou et le Pic du Pibeste, avec entre eux et nous le vol des palombes. Le Pic du Ger, Jean Prat l’a gravi tous les jours quasiment jusqu’à sa mort pour rester en forme." Ils sont de moins en moins nombreux ceux qui ont connu ce stade plein. Denis Lalanne poursuit : "Les matchs y étaient magnifiés par le cadre majestueux, la blancheur de ces pics enneigés sur lesquels le soleil venait parfois taper. À l’époque, le stade nous paraissait très grand, très moderne, très aéré, presque futuriste. À côté de lui, le vieux stade Sarrouilh de Tarbes avait l’air rabougri."

Des tribunes sans pilier

La perspective a de quoi nous surprendre : ce stade qui incarne aujourd’hui la nostalgie était à la pointe du progrès quand il sortit de terre, un peu comme l’équipe dont il était le théâtre. Rarement une enceinte aura été aussi intimement liée avec ceux qui ont forgé sa légende : "C’était un peu la cour de ferme de la famille Prat" résume Henri Gatineau. Le terrain avait été acheté en 1942 aux parents de Jean et de Maurice, dont le nom signifie "pré" en occitan. Elle avait d’ailleurs gardé la propriété d’une pâture voisine qui servait de… parking. "Je me souviens de la file de voitures qui convergeaient vers le stade et du père des frères Prat, que je comparais au vieux Dominici, celui du célèbre fait divers. Je le revois, là, avec son bâton, qui se postait à l’entrée et qui demandait une pièce à chaque conducteur." Denis Lalanne ne se souvient pas du montant de l’octroi.

Michel Corsini l’évalue à un franc de l’époque. Le terrain de la famille Prat existe toujours, Maurice Prat y a installé un camping, mais quand les circonstances l’exigent (finales de Fédérale par exemple), sa famille continue d’ouvrir sa porte aux véhicules des supporters.

Antoine Béguère Omnipotent

À partir de 1949, ce stade avait été construit par l’entreprise du président du club, le légendaire Antoine Béguère, maire, conseiller général, sénateur et donc entrepreneur prospère (son petit-fils Philippe Douste-Blazy sera lui aussi maire de Lourdes, puis de Toulouse, et même ministre dans les années 90). "Il dégageait de la puissance mais il était toujours très calme. Son autorité s’imposait naturellement. Il avait su éviter une grève de l’équipe de France des Lourdais en 1958 à cause d’un accrochage entre Jean Prat et Lucien Mias", poursuit Denis Lalanne. À son actif figure aussi la grande basilique souterraine mais il fut surtout très fier d’inaugurer, pour son FCL, des tribunes sans piliers, vraie innovation technologique en ce début des années 50.

"Le stade ne portait pas encore son nom, mais celui de Lucien Pourxet", rappelle Michel Corsini. Le stade n’a reçu le nom de Béguère qu’après la mort du grand mécène dont Denis Lalanne faillit être le témoin : "C’était un Lourdes-Agen je crois. Il s’est assis devant moi, enveloppé dans une houppelande. Je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu : "comme un vieux", d’un air un peu las. À la mi-temps, il a disparu. Après le match, nous avons appris qu’il était mort. J’ai titré : décès d’un grand président, naissance d’un grand ailier car ce jour-là, j’ai découvert Jean Gachassin, 19 ans."

L’exemple lourdais illustre la puissance de ce rugby de sous-préfecture qui était la marque du rugby français. Le club était le fruit magnifique de la prospérité locale : "La richesse de la ville, c’était l’hôtellerie et le commerce. Tous les hôteliers étaient dirigeants et partenaires du FCL. À Lourdes, on avait inventé un statut unique au monde, le rugbyman gendre d’un hôtelier. Ce fut le destin heureux de la plupart des joueurs", poursuit Michel Corsini. Épouser la fille d’un gars qui faisait profession d’accueillir des pèlerins venus d’Italie ou de Belgique, c’était le statut idéal pour bien vivre sans se tuer à la tâche.

Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages.
Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages.

Le FC Lourdes de Jean Prat était un club unique qui n’a jamais perdu de 1948 à 1960 sur sa pelouse d’Antoine-Béguère. Le rugby fut le signe le plus éclatant de la prospérité de la cité des pèlerinages. Photo DR.

Les frères Prat et Labazuy, Martine, Domecq, Rancoule étaient donc les lointains bénéficiaires des visions de Bernadette Soubirous qui n’avait sans doute jamais entendu parler de rugby. Mais grâce à elle, le FCL esquissa le professionnalisme. Jean Prat s’entraînait en solo tous les jours avec des footings impityables. Il avait la haute main sur l’équipe en collaboration avec Henri Laffont, l’entraîneur officiel. Pendant ces douze années dorées, le FCL mit au point un jeu hyperoffensif, mais il ne reposait ni sur l’improvisation, ni sur l’instinct, ni sur des principes généraux comme on le recommande aujourd’hui.

Ses bases étaient mécaniques et horlogères : les combinaisons étaient répétées sans relâche à l’entraînement, Prat et Laffont les suivaient chronomètre à la main, pour respecter le tempo des passes. Les noms de codes claquaient comme à la guerre : "Opération Casquette" (le surnom de François Labazuy), la "cla", la "Jeanjean". Privés de vidéo, les adversaires attrapaient le tournis. Si l’ailier ne marquait pas en bout de ligne, il avait recours au fameux coup de pied de recentrage, révisé comme un exercice de géométrie. Les rapports étaient parfois tendus. Jean Prat avait un jour mis une gifle à son frère qui n’avait pas respecté une consigne.

"On a su bien après que tout le monde n’était pas copain dans l’équipe. Il y avait trois clans. Mais ça ne transparaissait pas, comme on n’a jamais su le montant des enveloppes qu’ils touchaient", détaille Michel Corsini. Antoine Béguère tenait décidément bien ses hommes. Mais le grand Lourdes fascinait par sa maîtrise. Il envoyait même des avants en sélection (Manterola, Domec, Barthe). Dans le rugby désordonné de l’époque, il imposait son style brillant et implacable. Y avait-il dans le monde un club, une province, qui aurait pu rivaliser ? On ne le saura jamais. Un siècle après l’apparition de la Vierge Marie (1858), Lourdes semblait évoluer dans un jardin d’Eden : son miracle le plus fascinant ? Que le FCL fut collectivement plus fort que le XV de France de l’époque.

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