Un jour une histoire : et la poule unique fut !

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UN JOUR UNE HISTOIRE - Il y a dix ans, en 2004, le championnat de France de rugby dévoilait sa nouvelle formule, avec 16 clubs. Elle fut le fruit de sept ans de batailles acharnées entre anciens et modernes.

C'était il y a dix ans. Un siècle, une éternité. Pour la première fois depuis 106 ans, un championnat de France de rugby démarrait selon la formule de la poule unique, un événement stupéfiant au regard de la tradition française. Cette ultime métamorphose était célébrée par les uns comme un saut décisif vers la modernité. Les autres y voyaient une allégorie de leur mort prochaine, comme une faucheuse qui ne manquerait pas de les décapiter. Le vote décisif des clubs avait eu lieu à Toulouse le 17 avril. Il fut évidemment très serré entre les neuf "élitistes" menés par René Bouscatel et Pierre-Yves Revol et les onze "nostalgiques" des poules rassemblés autour de Vincent Merling de La Rochelle et d’Alain Pécastaing de Dax, deux hommes toujours aux affaires une décennie plus tard.

Ils pressentaient qu’un championnat long et dur serait très exigeant en termes d’effectif, hors de portée de leur budget. L’idée était dans l’air depuis environ sept ans, mais pour triompher de cette bataille d’Hernani, les protagonistes s’étaient livrés à de nombreuses batailles de chiffonniers : René Bouscatel se souvient de "débats très durs, voire musclés."

Une issue inévitable

Aujourd’hui il est facile de se dire que l’issue était inévitable, mais il faut se souvenir du poids moral et électoral des "petits" fiefs historiques. Serge Blanco, alors président de la LNR, penchait de leur côté. Après tout, c’était au nom de la défense de leurs intérêts qu’il s’était lancé dans la bataille en 1996 contre le candidat des "gros". "Il avait même dit qu’on ne jouerait jamais à quatorze...", rappelle Alain Pécastaing. André Lestortes, alors président de Pau et proche de Bouscatel, explique : "Il faut comprendre que Blanco n’était pas moteur dans cette histoire. Au départ, il voulait conserver les poules. Il savait à qui il devait son pouvoir, même si, sur le plan personnel, je pense qu’il comprenait l’intérêt de la poule unique, notamment pour la lisibilité du championnat."

En 2000, on jouait encore à 24. Puis à 21 l’année suivante. À partir de 2001, on était passé au Top 16 en deux poules. Le rugby français était sous le choc de la victoire du XV de la Rose au Mondial 2003. Ces Anglais naguère si conservateurs étaient passés brusquement de l’absence de championnat à une poule unique à 12 dès 1987, dix-sept ans plus tôt ! Et la France venait à la fois d’obtenir l’organisation du Mondial 2 007 et de gagner le grand chelem. Avec l’influence d’un championnat d’élite, plus rien ni personne ne devait résister aux Bleus. La situation semblait mûre. En décembre 2003 à Orly, Blanco avait remis un document aux clubs. Il voyait plutôt la poule unique arriver en 2005, mais avec 14 clubs.

"Nous faisions le constat à l’époque que notre championnat était illisible, notamment pour les médias. Mais il n’y avait pas que Canal +, Midi Olympique et L’Équipe avaient aussi fait des dossiers très forts dans ce sens," narre Patrick Wolff, alors représentant de Clermont. La vie politique de la LNR fit le reste. Dès février, en comité directeur, Serge Blanco accéléra le mouvement. Il proposa de passer tout de suite à la poule unique, mais à 16 clubs, avec la promesse de descendre à 14 l’année d’après. Deux mois plus tard, les clubs le suivaient : "Je n’ai pas varié. Déjà à l’époque, j’étais pour une poule unique à 12 pour des raisons de calendrier tout simplement. Je voyais bien qu’on ne pourrait pas faire entrer toutes ces journées dans les 42 semaines qui font une saison. Les clubs qui avaient peur de descendre voulaient qu’on reste à 16 et, pour couper la poire en deux, on a choisi d’être 14. Un choix qui ne satisfaisait personne...", persifle René Bouscatel.

Il y en eut des palabres, des revirements, des vraies fausses démissions, des alliances subtiles, mais Serge Blanco avait les mêmes qualités de synthèse que François Hollande, alors premier secrétaire du PS. "Nous sentions bien que la poule unique était inéluctable. Mais on ne pouvait pas me reprocher de penser qu’un championnat "assoupli" préserverait l’intérêt de mon club, reprend Pécastaing. Il y avait déjà eu des votes en ce sens. Une fois, un président d’un club "élitiste" s’était mépris sur le sens du mot "statu quo". Il avait voté contre ses idées et il était venu à notre secours." Oui, le sens de l’Histoire était dans le sens des "élitistes".

Patrick Wolff se souvient : "René Bouscatel se battait sur des arguments sportifs dans l’intérêt de son club, Max Guazzini, lui, soutenait la poule unique pour l’intérêt médiatique qu’elle ne manquerait pas de stimuler." À noter que Clermont, malgré ses moyens, ne se positionnait pas parmi les "ultras". "On m’avait dit de m’en tenir à une position de "wait and see" avec la consigne de ne pas couper le rugby de ses racines, poursuit Wolff. Je me souviens aussi que Pierre Martinet, le président de Bourgoin, classé parmi les élitistes, était quand même hésitant."

L'arrivée des doublons

Finalement, le projet passa sous les bravos des médias. Et pour faire passer la pilule, Blanco obtint une répartition des droits généreuse avec le Pro D2.Un principe qui n’a pas été remis en cause et dont les "petits" d’aujourd’hui se félicitent encore. "Je le reconnais, la poule unique fut une avancée. Le point de développement du rugby professionnel", commente Bouscatel. Mais dans ses bagages, cette poule unique recelait un premier cadeau empoisonné : un calendrier surchargé avec journées le mercredi (dont l’ouverture), assorties de l’apparition des fameux "doublons", cinq ! Pour couronner le tout, il y avait cette obligation pour les internationaux partis en tournée en Amérique du Nord de manquer les deux premières journées.

Sept fois, les clubs seraient donc privés de leurs meilleurs joueurs : "Un championnat inéquitable et dévalorisé", commentait déjà René Bouscatel. Dix ans après, son discours est le même, "toujours des doublons et maintenant, cette liste des trente internationaux..." C’est ce qui saute aux yeux. Même le passage à 14 clubs en 2005 n’a pas résorbé le grand embouteillage. Alain Pécastaing le fait remarquer lui aussi : "Oui, je le concède, cette poule unique fut un succès en termes de droits télévisés et de droits commerciaux. Et il nous reste de ce vote une bonne répartition de la manne financière envers le Pro D2. Mais la question du calendrier n’est pas réglée, le jeu n’est pas d’une grande qualité, la formation française n’est pas servie. Les jeunes ne trouvent pas forcément leur place dans cette compétition et l’équipe de France est la seule grande nation qui n’a pas été championne du monde."

Le président dacquois, qui ne peut pas nous faire remarquer que dans le club des "gros" figuraient alors Brive, Pau, Bourgoin, Bègles, se souvient des Madrias, des Lestortes, des Martinet, des Moga qui avaient ferraillé contre lui. "Leurs clubs sont descendus après. Je pense que certains "petits" ont soutenu les "gros" en pensant que ça les ferait devenir très importants... Ils avaient tort."

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