Lemaitre : "Je n'ai pas besoin de mettre une épée de Damoclès sur la tête de quelqu'un"

  • Top 14 - Bernard Lemaitre (Président de Toulon)
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TOP 14 - Au cours d'une conférence de presse, Bernard Lemaitre a accepté de revenir sur la saison qui a vu le RC Toulon terminer à une très décevante 8e place. L'avenir de Patrice Collazo, la politique à long comme à moyen termes du club, voici ce qu'il est sorti de cette longue prise de parole.

Bernard, vous expliquiez à nos confrères de La Provence lundi matin que vous n'aviez pas encore eu le temps de vous entretenir avec Patrice Collazo. Qu'en est-il désormais (à 16 heures, ce lundi) ?

Nous sommes rentrés (N.D.L.R de Castres) à 3 heures et demi du matin dans la nuit de samedi à dimanche, et compte tenu des circonstances, j'ai préféré laisser le manager sportif tranquille le dimanche. Nous nous sommes donc entretenus lundi, pendant longtemps, avec Patrice Collazo et Laurent Emmanuelli, le directeur sportif.

Qu'est-ce qu'il en est ressorti ?

Cet entretien n'avait pas pour but d'analyser la saison entière, mais le match, et d'essayer de comprendre un peu mieux ce qui avait pu se passer. Et ce n'est pas dans les minutes qui suivent un match qu'on peut vraiment le comprendre. Donc cet entretien a permis de conclure que nous avons une équipe à réaction qui, dans certaines circonstances difficiles, ne réagit pas bien, et n'est pas capable d'une réaction collective, comme on a pu le constater samedi, mais également à Lyon ou Toulouse en début de saison. C'est un constat qui, en lui-même, doit être analysé. À la fois au niveau des joueurs qui composent l'équipe, du leadership que certains sont supposés avoir sur le reste de leurs camarades, et sur le leadership ascendant, qui doit être capable d'imposer un changement de tactique en cours de match.

Patrice Collazo restera-t-il le manager du RCT ?

J'aimerais préciser quelque chose qui ne doit pas être remis en question : c'est une déception, une cruelle désillusion de ne pas avoir atteint notre objectif. Ceci dit, Patrice Collazo est au club, non pas seulement pour entraîner l'équipe première, mais pour un projet beaucoup plus global : le projet sportif du #RCT19_23, et je dirais même 2024. Donc ce projet a pour objet de mettre en fonction un projet pour le club forcément différent du précédent, car le club n'a pas les moyens de répéter la stratégie qui a été celle de mon prédécesseur. Nous bâtissons sur la durée, pour la pérennité du club et pour être à un certain niveau, même s'il se peut qu'on ne l'atteigne pas tout de suite. Mais c'est pour cela que nous bâtissons. Et cette construction est fondée sur la formation, qui n'est pas quelque chose qui paye tout de suite. Néanmoins, on peut constater que de nombreux jeunes joueurs formés au club ont fait partie de l'équipe de façon répétée et avec succès tout au long de la saison, même si ce n'est pas suffisant pour gagner des titres dans l'immédiat. Certains supporters, et clubs de supporters, ont indiqué que cela faisait trois ans que le club n'avait pas atteint les phases finales... C'est exact, on ne peut que le reconnaître. Mais l'an passé était spéciale, et nous étions 4e quand le championnat s'est terminé, alors que nous allions récupérer les internationaux et les blessés, et que nous avions très bon espoir d'aller beaucoup plus loin... On ne va pas essayer d'imaginer ce qu'il se serait passé, mais l'année qui a suivi est marquée par tout ce que l'on sait (N.D.L.R. Covid-19, blessures, doublons) : le club a été particulièrement touché. Cependant ce n'est pas une excuse pour justifier cette non-performance, et il faut qu'on en tire les leçons. C'est ce que nous allons faire.

Et donc, Patrice Collazo sera-t-il toujours manager du RCT la saison prochaine ?

La réponse est oui ! J'ai simplement pris le soin de préciser que Patrice Collazo n'est pas là que pour l'entraînement de l'équipe première. Bien que ce soit sa tâche essentielle, il est là pour un projet sportif complet, qui a pour projet d'encadrer la politique sportive de l'ensemble du club : des jeunes qui sont issus de l'école de rugby jusqu'à l'équipe première. C'est un projet très important, qui n'est pas basé uniquement sur l'équipe professionnelle, comme ç'a pu être le cas de tous les entraîneurs qui l'ont précédé. Que ce soit Bernard Laporte ou Fabien Galthié, tous les entraîneurs passés par Toulon n'étaient en charge que de l'équipe première. Patrice Collazo est en charge d'un projet plus global.

Pourrait-il y avoir une personne qui vienne s'occuper uniquement de l'équipe première ?

Non, il en a la charge. Il a un staff à ses côtés, que nous allons essayer d'améliorer, de compléter pour être plus performants. Afin de prendre plus de hauteur par rapport aux événements, et aux joueurs. C'est indispensable. Patrice Collazo est quelqu'un qui est très proche de ses joueurs, et donc on peut imaginer, dans ces circonstances, sa déception. Il a certainement besoin de gagner en lucidité en prenant un peu de hauteur, c'est la raison pour laquelle le staff va être amélioré.

Qu'en est-il de la relation avec les supporters, qui s'était améliorée mais semble se détériorer à nouveau ?

La réaction des supporters est celle de supporters. Ils sont déçus, mais ils ne peuvent pas être plus déçus que le président, le responsable de l'équipe ou les membres du club. Je les comprends, et ne les blâme pas du tout d'exprimer leur déception. Simplement : il n'y a pas de différence entre une semaine et une autre. Par le passé, les supporters étaient totalement ignorés par le club. Depuis mon arrivée nous avons une relation beaucoup plus suivie, des réunions mensuelles avec les supporters, on leur dit ce qu'on fait et ce qu'on compte faire. Et ce n'est pas suffisant peut-être pour justifier de gagner ou de perdre, mais au moins il y a une communication qui existe. Ceci ne peut pas nous être reproché. Alors nous sommes tous déçus, cruellement, et après ça il est certain que les présidents des clubs de supporters ont une campagne d'abonnements devant eux, et se posent des questions sur l'impact de ce mauvais résultat... On les réunira la semaine prochaine, pour évoquer la politique du club en matière de recrutement, de résultats, d'effectif et de staff pour la préparation de la saison prochaine. Ils verront qu'on n'est pas les deux pieds dans le même sabot, qu'on travaille énormément et que nous espérons avoir des résultats.

Quand démarrera la campagne d'abonnements ?

La semaine prochaine, même si je ne peux pas vous donner de date précise. De ce point de vue, les mauvais résultats ont un impact, c'est clair. Mais j'espère qu'un supporter reste un supporter, à savoir qu'il supporte son club dans les bons comme dans les mauvais moments.

On a évoqué les supporters, les dirigeants et le staff, mais qu'en est-il des joueurs ? Avez-vous eu l'occasion de les sonder depuis samedi ? Et quel est leur état d'esprit ?

Je n'ai pas vu les joueurs. Ils étaient là ce lundi matin, très tôt, pour leur premier test PCR de la semaine. Ensuite ils finiront la semaine, et seront en vacances après qu'on ait pu compléter une série d'entretiens individuels qui sont menés actuellement par Patrice et son staff. On sonde chacun d'entre eux, à la fois sur le passé et le futur. Ceci sera suivi par des entretiens collectifs, après quoi ils seront invités à partir en vacances, avant la reprise.

Vous évoquiez votre équipe à réaction : elle en a manqué à Castres. Faut-il changer quelque chose dans le leadership, le capitanat ?

Un capitaine ne fait pas une équipe, donc faut-il changer quelque chose dans le leadership ? Oui, mais le leadership ne peut pas s'exercer par un homme seul, au milieu de vingt-deux autres joueurs. Cela veut dire que le capitaine seul ne peut pas avoir une influence suffisante. Il doit avoir une influence avant, pendant et après, mais ne peut pas avoir une influence sur le cours du jeu si l'équipe est en train de lâcher. C'est ce qu'il s'est passé à Castres. Il y a eu 20 minutes d'excellente facture, avant la sortie de Charles Ollivon, qui n'explique par la défaite mais a marqué une fracture... Là, il y a une réaction de l'équipe de Castres. Malgré tout on rentre à 17-17 à la mi-temps, et là nous avons complètement lâché en deuxième mi-temps... Mais comme je le dis, la réaction doit être collective. Elle ne peut pas être du fait que du seul demi de mêlée et capitaine, Baptiste Serin. C'est là que se pose le problème du caractère unitaire de cette équipe, qui est aujourd'hui très insuffisant, et très différent de ce qu'on a pu observer sur l'équipe castraise. Castres a eu deux capitaines, car le premier est sorti en cours de match, et on n'a pas vu de différence avant et pendant. Ce qui veut dire que le leadership est assuré par la collectivité. Ce qui manque à Toulon.

Charles Ollivon, justement : on l'a vu sortir sur blessure à Castres, pouvez-vous nous donner des nouvelles ?

Le club va publier un communiqué dans la journée, mais je peux simplement vous dire qu'on n'a pas de bonne nouvelle...

Pour revenir aux leaders : certains joueurs vous ont-ils particulièrement déçus ?

La caractéristique à Toulon c'est que pris individuellement, l'ensemble des joueurs est relativement au niveau. Mais pris dans un collectif, ce n'est pas ça. Il y a certainement des problèmes de culture, d'ancienneté dans le club et je pense qu'il y a une hétérogénéité qui est nuisible à l'équipe. Les individus sont d'excellentes qualités, mais ne se fondent pas dans un collectif qui a la capacité d'être intrinsèquement très bon, voire irrésistible comme on l'a vu dans certains matchs. De ce fait, ce collectif n'est pas capable de faire face à certaines circonstances, ce qui fait qu'on peut prendre 40 ou 50 points, alors que nous sommes également capables de les mettre. Le problème c'est que dans les matchs couperets, il faut énormément de force de caractère collectif, et on n'en a pas été capables de le faire sur ce match-là.

Ces joueurs qui ne se fondent pas dans un collectif : n'est-ce pas justement la responsabilité du staff technique ?

On y travaille, croyez-moi. Vous savez, j'insiste à quelques entretiens collectifs avec le coach, et je peux vous dire que l'accent est mis là-dessus. En apparence on a l'impression que tout va bien, que les gens s'entendent bien. Alors je ne dis pas qu'il y a des disputes, car ce n'est pas le cas, mais c'est dans l'adversité qu'on voit un peu si un collectif fonctionne ou non. S'il réagit individuellement ou collectivement. C'est quand il réagit individuellement que c'est le début de la déroute. C'est comme une armée. Donc ne croyez pas que le staff, et Patrice Collazo, ne sont pas conscients de cela. C'est une grosse déception pour lui comme pour nous, du fait que les qualités individuelles ne se soient pas fondues dans une synergie collective. J'ai lu dans les critiques de clubs de supporters que certains rêvaient de l'époque de Wilkinson et Giteau, mais je suis désolé de dire que le club aujourd'hui a Serin, Ollivon, Carbonel, Etzebeth, Parisse et bien d'autres. En termes de "stars", même si ce mot me heurte en rugby, le club est bien servi. Simplement, je crois que ceci ne se fond pas dans une unité, cela peut donner des résultats qui peuvent être négatifs, comme ç'a été le cas.

Ce qui veut dire que vous pourriez vous séparer de quelques joueurs ?

Oui, nous essayons de nous libérer de certains joueurs qui sont encore sous contrat. Je ne peux pas en dire plus.

Quel impact va avoir l'absence de Champions Cup sur le recrutement, le budget, le sportif ?

Le recrutement est quasiment terminé hormis un ou deux postes, où nous essayons de couvrir des besoins. Je pense que c'est un bon recrutement. L'impact sera donc nul. En revanche sur le budget, la Champions Cup est quelque chose qui rapporte. Tout du moins quand on la joue, car il y a deux matchs de Champions Cup que nous n'avons pas été autorisés à jouer cette saison (N.D.L.R. les Scarlets en poule, le Leinster en phase finale). Donc il peut y avoir aussi des circonstances qui font que le projet économique lié à la Champions Cup ne peut pas se réaliser, malheureusement, et cela est indépendant de notre volonté. Ceci dit, ce n'est pas déterminant dans le budget du club. Ce qui est le plus déterminant, c'est le public dans le stade, les hospitalités, les partenariats. Ça c'est l'essentiel de notre budget, et ces recettes ont été divisées par deux cette saison. Il a donc manqué 15 millions d'euros de chiffre d'affaires, et l'actionnaire a été obligé de compenser de sa poche pour permettre au club de vivre.

La finale de la Challenge Cup 2022 se jouera à Marseille, est-ce un objectif, notamment pour vous réconcilier avec votre public ?

Bien sûr. C'est évident que faute de Champions Cup nous allons nous concentrer sur la Challenge Cup. Avec cette perspective de finale à Marseille, c'est tout à fait excitant, comme ça l'était la saison passée, même si ça n'a pas pu se jouer à Marseille pour des raisons de jauge et de Covid. D'ailleurs la performance du RCT avait été tout à fait honorable, puisque nous étions sortis meilleure équipe des poules, et nous n'avions perdu qu'en finale contre Bristol à la régulière, après avoir mené jusqu'à la 60e minute. C'était peut-être déjà un symptôme...

Vous parlez de construction avec Patrice Collazo, mais on n'imagine que la place du RCT n'est pas en Challenge Cup, ni hors des six qualifiés en Top14, comme c'est le cas depuis deux des trois dernières saisons (hors saisons Covid). Votre confiance est-elle illimitée dans la durée envers Patrice Collazo ?

Quand je fais confiance, que ce soit avec Patrice Collazo ou un collaborateur quel qu'il soit, je ne marchande pas ma confiance, je ne la limite pas dans le temps et je ne l'assortis pas de menace. Patrice connaît le challenge, sait pourquoi il est au RCT, à Toulon, sa ville d'origine, et dans ce contexte-là il joue beaucoup à titre personnel de la réussite de notre projet. Je n'ai pas besoin de mettre une épée de Damoclès sur la tête de quelqu'un pour obtenir plus de résultats. Ce n'est pas ma façon de manager. Ceci dit, dans toutes les circonstances de la vie, nous sommes amenés à prendre des décisions qui ne font pas plaisir, mais nous ne sommes pas aujourd'hui dans ces conditions là.

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