Lacroix : "Cinq matchs par joueur, c'est déjà trop"

  • Didier Lacroix (Toulouse)
    Didier Lacroix (Toulouse)
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TOP 14 - Face à la décision de World Rugby d'étendre la fenêtre internationale à six matchs, mais aussi la volonté de la FFR de disputer ces six rendez-vous et celle de Fabien Galthié de disposer des meilleurs joueurs possibles à chaque fois, la LNR et les clubs - qui avaient accepté de passer de trois à cinq rencontres internationales - ont vivement réagi ces dernières heures.

Joint par téléphone, le président du Stade toulousain Didier Lacroix, dont l'équipe devrait être la plus amputée durant cette tournée, appelle à rééquilibrer plus justement les choses et à associer les entraîneurs de club à la discussion.

RR. Comment avez-vous réagi à l'annonce de l'élargissement de la fenêtre automnale à six matchs ?

D.L. Tout le monde attendait la décision, ou plutôt son officialisation. Elle est de nature à ouvrir une fenêtre et, dans celle-ci, il y a encore des négociations avec la Fédération de plusieurs ordres. La fenêtre habituelle de cette période était très souvent sur quatre semaines alors qu'on ne jouait que trois rencontres. Ce n'est donc pas parce qu'elle est encore plus ouverte cette fois que l'ensemble des matchs doivent être disputés.

La FFR semble pourtant y tenir...

On peut entendre les arguments de l'équipe de France, en disant que ce sont des reports de matchs de la tournée argentine. Mais nous avons bien arrêté le championnat de notre côté et coupé court à un certain nombre de matchs, donc de recettes, en mettant fin à une compétition entière. Depuis le départ, et cela ne faisait pas l'ombre d'un soupçon, le report du match contre l'Irlande et les conditions dans lesquelles ont doit permettre à la sélection de préparer sa finale du Tournoi sont pour nous une évidence. C'est un résultat sportif et c'est bien pour l'ensemble du rugby français, pour les clubs également. C'est surtout bien pour les joueurs concernés.

Le problème est donc davantage sur les autres rendez-vous ?

D'une manière ou une autre, il y a, à l'heure où l'on parle, une incapacité à trouver un terrain d'entente un peu plus équilibré. Chacun essaye peut-être de passer en force sur une décision. Moi, je prône depuis le départ une discussion essentiellement sportive, impliquant nos entraîneurs et ceux de l'équipe de France, arbitrée par les présidents de la Ligue, de la Fédération et des clubs concernés. Il faut qu'on aborde véritablement le contenu de ces matchs, et pas seulement le nombre. Encore une fois, nous sommes sur des regrets liés à la situation que nous imposent le contexte et les conséquences du Covid. Mais on a su s'entendre au cours de l'hiver dernier pour préparer le Tournoi 2020, avec certaines concessions ou améliorations de condition de préparation. Cela a porté ses fruits, avec une équipe de France qui a montré un visage séduisant. Le rugby français, globalement, a de nouveau souri.

Alors pourquoi cette situation de blocage aujourd'hui ?

Le problème aussi, c'est qu'on n'est pas arrivés à la fin du Tournoi pour savoir si c'est une réussite totale ou partielle. On n'a pas fait le débriefing prévu pour une reconduction de mise à disposition des joueurs avant le 30 juin, Covid oblige. Le gel du championnat fait apparaître des situations figées à une date anormale. Donc, à Toulouse, on a fait le constat d'un Dupont qui n'a joué que 50 minutes en Top 14, d'une septième place en championnat. Si on avait été jusqu'au bout et si on avait eu une autre trajectoire, on ne serait peut-être pas dans les mêmes considérations et la question d'une tournée à six matchs ne se serait pas posée en l'état. Tout le monde porte les armes, va jusqu'à la vexation ou l'indignation mutuelle. Il faut, je l'espère, arriver à des discussions et des équilibres.

Comment ?

Très souvent, on parle des joueurs, du nombre de matchs, des blessures, des vacances mais, ce qui est important, c'est d'aller rechercher la performance. Quand un joueur est recruté en club, je dis régulièrement qu'il ne l'est pas pour faire les vingt-six matchs de poule du Top 14, les six de Coupe d'Europe puis l'ensemble des phases finales. Ce à quoi on vient rajouter l'équipe de France. Là, c'est un peu la même chose et c'est une décision qui doit être bi-latérale. Chacun tire la couverture selon ses intérêts et il n'y a rien de nouveau. Ces discussions existent en club entre les entraîneurs espoirs et ceux de l'équipe première, sauf qu'il y a une personne au-dessus pour trancher. Là, il n'y en a pas vraiment. D'évidence, il faudra la meilleure équipe possible pour gagner ce Tournoi. Mais pour les autres matchs, on parle d'une compétition qui est naissante, indéfinie, avec une adversité inégale. Je répète que je prône la discussion avec la participation de nos entraîneurs, de nature à avancer plutôt que de se retrouver dans des zones de blocage dans lesquelles nous sommes actuellement.

Cela pourrait-il remettre en cause la libération de 42 joueurs pour les ramener à 31 ?

Cela en fait partie. Cette libération à 42 a été consentie, tout simplement parce que, dans le programme présenté par Fabien Galthié et ses équipes, le staff voulait travailler à 42, de façon proche de ce qu'il existe dans les clubs. Les entraîneurs ont, en ce temps, acquiescé en disant : "Donnons-leur les moyens de bosser avec des méthodes que l'on connaît puisqu'elles sont appliquées dans certains clubs." Mais il me paraît légitime d'attendre la même attention et une réciprocité de compréhension. Pas juste : "Nous, on veut jouer le même nombre de matchs pour préparer notre Coupe du monde." Chaque fois qu'on se place dans une position ou dans l'autre, il y a des arguments plus que valables. Mais il faut savoir faire des concessions et rééquilibrer les choses.

La possible solution de garder les six matchs, mais de les limiter à cinq par joueur, est-elle acceptable pour vous ?

Je pense que, cinq par joueur, c'est déjà trop. On est vraiment dans le détail : quel match ? Quelle opposition ? Pour quel but ? Quelle importance en termes économico-sportifs ? Ce sont des questions qu'on se pose tous les jours en club. Il n'y a pas d'équipe type et on a besoin de faire tourner l'effectif, en restant le plus compétitif possible. Puis, de temps en temps, il y a le match de phase finale sur lequel tu joues avec la meilleure composition, ou celle qui a donné le plus de garanties. Encore une fois, la contestation vient d'un déséquilibre de la saison. On sait combien il est difficile de récupérer les joueurs après une période longue comme une Coupe du monde ou un Tournoi des 6 Nations. Et là, on crée de nouveau cette situation. Cela génère de la frustration. Le contexte est exceptionnel et tout le monde a envie de jouer avec ses meilleurs éléments pour se donner un maximum de chances de bien figurer dans les compétitions dans lesquelles il est inscrit.

D'autant que, pour certains comme vous, il y aura aussi une phase finale de Coupe d'Europe dès septembre...

Oui, c'est inédit parce que nous sommes focalisés sur les premiers matchs de Top 14 mais aussi sur cette phase finale européenne dans le premier mois. C'est anachronique par rapport à une saison normale. D'ici octobre, un certain nombre de clubs français vont jouer un titre qui sera à distribuer avant la tournée de l'équipe de France. Quand tu joues un titre, tu dis souvent : "Je pense d'abord à cette phase finale, puis on verra ce qu'il y a derrière." Là, l'équipe de France, frustrée de ne pas être partie en tournée, a besoin de retravailler et a envie de préparer sa finale du Tournoi par laquelle elle va commencer, ou quasiment selon l'organisation des dates. On a l'habitude d'avoir un peu plus de montée en puissance mais on est cette fois immédiatement dans de la haute compétition. Ce n'est pas rien. Cette intensité se ressent plus que de nature et génère de la crispation et de l'ambition puisque ça fait partie intégrante du sportif.

La LNR s'est donnée le droit de répondre juridiquement avec cette mise en demeure de World Rugby...

Oui mais chacun joue avec ses armes pour montrer jusqu'où il y a un bloc d'opposition. Sans vouloir juste défendre cette position, il y a chez les clubs un sentiment d'avoir, chaque fois que cela a été possible, accepté la discussion profonde. Là, cette disposition est exceptionnelle pour tous, pour les Fédérations de l'autre hémisphère aussi qui sont en grande difficulté financière. Mais on n'est pas dans ce débat économique puisqu'on ne sait même pas si on va devoir jouer à jauge partielle ou pas dans cette période. Et, de toute façon, on n'affronte pas ces nations-là ! Donc cette tournée ne va pas enrichir les nations de l'autre hémisphère. Que la fenêtre soit élargie de façon globale pour leur permettre de se déplacer chez les uns et chez les autres en sectorisant géographiquement, on peut l'entendre. Mais on a un débat purement interne, dans lequel je pense qu'il faut rééquilibrer les choses. Quand tu fais une composition d'équipe, tu mets quinze joueurs sur la feuille, des remplaçants et tu fais naître de la frustration. C'est dans la nature du sport, beaucoup plus que dans n'importe quel autre métier. Là, c'est un peu pareil. On va être obligé de faire des choix qui génère de la frustration d'un côté ou de l'autre. Six matchs, en année post-Coupe du monde, c'est compliqué. Et personne ne parle de l'objectif prioritaire de la saison, pour lequel on a rendez-vous dans huit mois, qui est le futur Tournoi. Il faut pourtant en parler de la même façon : comment on va l'aborder ? Avec quelle mise à disposition ? On ne peut pas uniquement évoquer la tournée d'automne, on doit le faire globalement sur la saison. Je crois que c'est le moment.

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