Lanta : "Mon moment fort ? L’arrivée au stade pour la demi-finale"

Par Rugbyrama
  • Bilan 2018 - Cyril Lanta (Perpignan)
    Bilan 2018 - Cyril Lanta (Perpignan)
  • Pro D2 - L'USAP (Perpignan) vainqueur
    Pro D2 - L'USAP (Perpignan) vainqueur
  • Top 14 - Perpignan contre Bordeaux Bègles
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BILAN 2018 - Le manager de l’Usap revient sur l’année contrastée de son équipe, entre l’euphorie d’un titre et le douloureux retour sur terre en Top 14. L’entraîneur le plus expérimenté de France aborde surtout, sans langue de bois, les problèmes actuels du rugby hexagonal.

Rugbyrama : Christian, que retenez-vous de cette année 2018 assez riche pour l’Usap ?

Cyril Lanta : Je ne vais pas être original mais c’est bien sûr le titre de champion de France de Pro D2. Et au-delà de ce titre, le retour de l’Usap en Top 14 après des années de souffrance. Je retiens aussi à travers ça, tout ce que cela a pu créer comme liens sociaux, comme bonheur… Les images de la finale vont rester ancrées très longtemps. C’est tout un territoire qui s’est retrouvé autour de l’Usap. Ça a dépassé la dimension rugby. Et pour moi, c’est très beau car le rugby est avant tout un fait social. Le sport a retrouvé sa vocation. C’est toute une communauté, usapiste, catalane, qui a été touchée. On a vu combien le sport peut-être rassembleur.

Pro D2 - L'USAP (Perpignan) vainqueur
Pro D2 - L'USAP (Perpignan) vainqueur

Vous attendiez-vous à vivre quelque chose d’une telle ampleur ?

C. L. : Il me semblait qu’à mon âge, j’étais armé et blindé à plein de choses. Mais très franchement, j’ai eu des émotions que je n’avais pas connues jusque-là. Ça touche au plus profond de ses entrailles. Et je ne suis pas Catalan ! J’aurais pu ne pas ressentir ça, mais ça a été personnellement des émotions inconnues, nouvelles. C’est là que j’ai ressenti ce qu’était réellement l’Usap, au-delà du rugby.

Tous les joueurs pleuraient. Là, on se dit qu’il ne faut surtout pas que ça nous échappe

Y a-t-il un moment particulier dont vous vous souviendrez toujours ?

C. L. : L’arrivée au stade pour la demi-finale. C’est le moment le plus fort, plus que la finale. J’en parle et j’ai les frissons. J’ai mesuré à ce moment précis la responsabilité qu’était la nôtre sur cette fin de saison. Je me disais "Christian, ce n’est pas tout de générer de l’espoir, de l’espérance, mais il ne faut pas le galvauder maintenant". Ça s’est aussi traduit par le vestiaire. Il y avait une certaine forme de peur et d’incompréhension. Tous les joueurs pleuraient. Là, on se dit qu’il ne faut surtout pas que ça nous échappe. Il ne faut pas que les joueurs soient inhibés par l’émotion. Et tu as beau parler à l’un et à l’autre, tu ne sais même pas si tes mots ont un retentissement. J’ai pris tout le staff et on en a parlé, il fallait accompagner les joueurs.

Cette année 2018 n’a pas été toute rose. Il y a eu un dur retour sur terre pour l’Usap depuis le mois d’août…

C. L. : Oui… mais le titre aussi a été construit dans la douleur, avec des garçons touchés comme Potgieter, de vrais traumatismes au sein du groupe. Et le retour en Top 14, oui il est très difficile. Bien sûr, on est en souffrance. On connaissait les contraintes de ce Top 14. Ça n’a pas été une découverte. On ne réussit pas aussi bien que ce qu’on aurait souhaité. En tout cas, on continue de penser de manière lucide que ça va être très difficile. Mais le sport est générateur d’exploit. Aujourd’hui, on est soumis à cet exploit. D’un autre côté, la vie d’un club ne s’arrête pas à une montée ou à une descente. Tous les joueurs et entraîneurs qui ont d’ailleurs décidé de prolonger se sont mis dans cet habit de pérenniser le club.

Peut-être qu’il y aura descente, et si c’est le cas, on aura beaucoup appris. Je ne vais pas citer tous les clubs qui ont fait l’ascenseur de nombreuses fois.

Top 14 - Perpignan contre Bordeaux Bègles
Top 14 - Perpignan contre Bordeaux Bègles
En Espoirs, on fait jouer des garçons qui ne sont absolument pas prêts avec des garçons qui sont potentiellement des joueurs pros. Là est l’urgence et la vraie problématique

L’actualité 2018 a aussi été très lourde sur le plan national. Pensez-vous que le rugby est amené à traverser une grosse crise prochainement ?

C. L. : On ne peut pas accepter les décès de joueurs. Il y a forcément une réflexion à faire. On se projette sur le rugby professionnel mais ce que je constate, c’est que jusqu’à preuve du contraire, et je pèse mes mots, c’est que nous avons les accidents sur la même catégorie, la catégorie Espoirs. Aujourd’hui, elle est à repenser. Il y a des écarts de cinq ans et plus dans cette même catégorie, et on se rend compte malheureusement que tous les accidents sont ici… il y a trop de disparités. On fait jouer des garçons qui ne sont absolument pas prêts avec des garçons que sont potentiellement des joueurs pros. Là est l’urgence et la vraie problématique.

Je ne galvaude rien et je ne veux pas que mes mots soient déformés : il y a une priorité pour le sport professionnel, mais il y a urgence pour cette catégorie. Cela va de la responsabilité de tout le monde et de la fédération (le 21 décembre, la FFR a promis de réformer la catégorie Espoirs, ndlr).

Le stade de France se désertifie, le nombre de licenciés est en baisse.. comment analysez-vous ces indicateurs ?

C. L. : La baisse des licenciés est une alerte. Elle est multifactorielle. Notre équipe de France n’est pas performante. Et on voit le football, le handball, même le rugby féminin aujourd’hui… il y a toujours une synchronisation avec les résultats. Que les stades se vident, aussi, c’est normal. Ce sont des courbes qu’il faut inverser. Mais la deuxième raison, c’est le décès des jeunes. Ce sport fait peur aux parents. Il faut le prendre en considération et je prêche l’évolution du rugby. Car le rugby reste un sport merveilleux, un sport éducatif et qui touche à des valeurs essentielles, humaines, de la construction d’une personnalité. La nature du rugby est tellement formatrice… Il faut la préserver.

Le rugby français a perdu ses références. On est passé de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs à copier

Vous venez de l’évoquer. Les résultats du XV de France vous inquiètent-ils ?

C. L. : Je n’ai pas le souvenir de tels résultats. Et on se sent tous responsables ou coupables. On le vit tous très mal quand on est dans ce milieu-là. C’est trop facile de pointer du doigt seulement ceux qui sont à la tête. Et là aussi, il faut que le rugby français ait une vraie réflexion de fond, depuis la base jusqu’au haut niveau. Elle sera longue, mais il y a des questions inhérentes à la formation, aux formateurs des formateurs… Ce sont des sujets qu’il faut aborder selon moi. Il n’y a pas de raison que des tas de pays avec bien moins de licenciés aient de vrais méthodes éducatives, de vraies méthodes d’entraînement, et que nous, nous soyons encore à chercher ce que nous avons à faire.

En France, on est toujours en référence avec ce qui se fait ailleurs. Par contre, ce qui est sûr, le rugby français a perdu ses références. On est passé de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs à copier, et il n’y a rien de pire parce que c’est forcément moins bien. On a dénaturé, depuis vingt, vingt-cinq ans, le rugby français. Le rugby français s’est perdu. C’est un débat très large qu’il faudra faire avec beaucoup de recul, sans guerre de chapelles, sans fierté mal placée. Je crois que notre rugby est plus en danger s’il n’y a pas une réflexion globale que sur les dangers propres de l’activité. Ça ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt et du mal-être plus profond du rugby français.

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