Chômage dans le rugby : "Le mal est beaucoup plus profond qu’on ne le pense"

  • Robins Tchale-Watchou, le président de Provale
    Robins Tchale-Watchou, le président de Provale
  • Robins Tchale-Watchou, président de Provale
    Robins Tchale-Watchou, président de Provale
  • Romain Cabannes, le centre de Castres
    Romain Cabannes, le centre de Castres
Publié le Mis à jour
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Comme chaque saison, de nombreux joueurs sont en quête d’un club. Si les chiffres du nombre de rugbymen au chômage sont en diminution, la réalité est bien plus inquiétante. Entretien avec Robins Tchale-Watchou, Président du Syndicat des Joueurs (Provale).

Robins, si l’on regarde les chiffres, 38 joueurs sont aujourd’hui sans club. Peut-on dire que le rugby est moins précaire que par le passé (76 joueurs sans club en 2009, ndlr) ?

Robin TCHALE-WATCHOU: Vous savez, les chiffres, on peut tout leur faire dire. Ce qu’il faut savoir, c’est que de plus en plus de joueurs refusent de dire qu’ils sont à la rue et cela jusqu’à la fin officielle de la période de mutation (15 septembre). Ils vivent cela comme un échec professionnel mais aussi social. Il y a un marqueur psychologique qui intervient de plus en plus. Aujourd’hui, les joueurs veulent bien être pris en charge mais avec une certaine discrétion. Et beaucoup sont dans l’illusion qu’ils décrocheront forcément quelque chose.

De plus en plus de joueurs semblent également préférer signer en Fédérale 1… Vous le comprenez ?

R.T-W: Ils préfèrent aller s’entraîner avec des clubs de Fédérale 1 en se disant "si jamais y’a un blessé quelque part, on va m’appeler". Ils essayent de trouver des palliatifs avec l’espoir à terme d’être sollicités. Mais ils ne veulent pas faire le constat qu’ils sont décrochés. Quand un joueur part en Fédérale 1, il n’est ni dans une situation de reconversion, ni dans la situation de quelqu’un qui a arrêté le rugby.

C’est une petite mort. C’est brutal, une partie de votre vie qui s’arrête

Comment Provale arrive-t-il à appréhender cette difficulté ?

R.T-W: Il est souvent très difficile d’identifier le statut d’un joueur avec précision. Pour la prise en charge complète d’un joueur, il faut qu’il accepte ce constat qu’il n’a plus de boulot. Quand vous avez en face de vous un joueur qui dit qu’il a une solution transitoire, il refuse alors d’entrer dans le processus que nous mettons en place. La difficulté est de leur faire admettre qu’il faut préparer l’après carrière.

Robins Tchale-Watchou, président de Provale
Robins Tchale-Watchou, président de Provale

Les joueurs n’ont-ils pas peur de porter une étiquette de "loser" ?

R.T-W: Avant de s’inquiéter du regard des autres, il faut admettre le regard que l’on porte sur soi-même. Il faut savoir admettre qu’on a échoué ou qu’une aventure est terminée. C’est une petite mort. C’est brutal, une partie de votre vie qui s’arrête. Il n’y a que 5 à 10% de joueurs qui choisissent le moment de leur sortie. Plus vite on rentre dans la construction d’un second projet, mieux c’est.

Les joueurs n’ont plus qu’une seule corde à leur arc

Dans quelle mesure les jeunes joueurs sont-ils frappés par le chômage ?

R.T-W: Ils seront de plus en plus concernés. Il y encore quelque temps, dans le modèle de centre de formation, on avait moins de difficulté de turnover. Mais l’arrivée de joueurs non issus de la formation française a mis une pression sur ce panel de jeunes joueurs. Et il faut bien voir que les exigences de notre Top 14 ne permettent pas à ces jeunes de se libérer de l’espace pour suivre des formations diplômantes qui leur permettront d’être compétitifs sur le marché de l’emploi. Ils misent tout sur le rugby. Quel que soit l’aléa qui se présente (blessure, choix sportif ou personnel), tout le processus est chamboulé. Les joueurs n’ont plus qu’une seule corde à leur arc.

Pourquoi n’avez-vous pas organisé comme chaque saison un match amical de joueurs sans club ?

R.T-W: Pour la simple et unique raison qu’entre le nombre de joueurs que nous avions au départ et le nombre de désistements, on a été incapables de faire un match. Nous avions moins de 20 joueurs. Il faut que nous travaillons avec la LNR pour donner une autre dimension sportive à cet événement pour permettre à tous ceux qui sont présents d’avoir un pourcentage de chance de rebondir élevé. Cela pourrait s’apparenter à une journée de détection.

Que vous inspirent les cas du Rochelais Benoit Guyot (27 ans) et du Castrais Romain Cabannes (31 ans) qui, à défaut de trouver un club, ont préféré mettre un terme à leur carrière ?

R.T-W: Le cas de Benoit Guyot est particulier. On s’appelle régulièrement depuis deux ans. Cela fait un moment qu’il réfléchit et qu’il a le sentiment de ne plus être à sa place. Il va passer très prochainement un Doctorat. Si on avait tous les jours des joueurs qui arrêtent leur carrière avec le statut de Docteur, je signerais tout de suite. De l’autre côté, vous avez un joueur comme Romain Cabannes qui ne peut plus jouer, c’est une aberration. C’est un bon joueur, une bonne personne et je pense qu’il pouvait encore apporter quelque chose à notre sport. Ça veut bien dire qu’on est passé à côté de quelque chose. Il faut se poser les bonnes questions.

Romain Cabannes, le centre de Castres
Romain Cabannes, le centre de Castres

Justement, les problématiques économiques de notre championnat ne vont-elle pas noircir davantage ce tableau ?

R.T-W: Le mal est beaucoup plus profond qu’on ne le pense. Plus que jamais, notre sport est en train d’évoluer. Tous les acteurs (joueurs, entraîneurs, dirigeants) doivent impérativement réfléchir au visage de notre sport dans les années à venir. Si nous ne voulons pas, comme dans la société, que le système contrôle les hommes, il faut qu’on fixe le curseur au bon endroit. Les enjeux économiques, financiers et sportifs peuvent tout à fait coexister ensemble. Mais pour ça, chacun doit prendre ses responsabilités. Les joueurs ne doivent pas tout attendre des autres. Il faut qu’on propose des choses, qu’on participe à la vie de ce système là.

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