Interview de légendes - Berbizier : "Si l'Angleterre peut gâcher la fête, elle ne s'en privera pas"

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TOURNOI DES 6 NATIONS 2022 - Double vainqueur du Grand Chelem (81 et 87), Pierre Berbizier est une figure emblématique du rugby français. Une légende de ce jeu, pourtant décriée à ses débuts. Avec lui, c’est un pan de l’histoire du rugby français qui s’est écrit en lettre d’or. A l’aube d’une nouvelle ère, l’ancien demi de mêlée revient pour Midi Olympique sur le Grand Chelem de 1981.

Que représente pour vous un titre du Grand Chelem ?

Un Grand Chelem, ça n’a pas de prix. C’est avec le temps qu’on prend conscience de la performance réalisée. Sur le moment, on ne perçoit pas le changement. En ce qui me concerne, ce sont bien des années plus tard que je me suis rendu compte de la difficulté de réussir un tel exploit. J’ai eu la chance – je dirais même le privilège – de remporter deux fois le Grand Chelem et de vivre ça dans deux contextes très différents. Le premier, c’était un peu une surprise. Nous n’étions pas attendu en 1981. Personne n’aurait misé un "shilling" sur nous. C’était la première année de Jacques Fouroux à la tête du XV de France. L’équipe était en reconstruction. Nous étions en phase de découverte. En 1987, c’était l’accomplissement d’une génération. Le sentiment, les sensations, n’étaient pas du tout les mêmes qu’après le titre de 1981. Les joueurs d’aujourd’hui le vivront peut-être différemment, je n’en sais rien.

Quel message aimeriez-vous leur faire passer ?

J’aimerais leur dire de bien rester concentré sur ce dernier match. Rester concentré sur ce qu’ils ont à faire, surtout éviter de se projeter sur le résultat final et ses conséquences. Le résultat, ils doivent encore le construire. Pour le décrocher ce Grand Chelem, ils doivent encore battre l’Angleterre. Je ne veux surtout pas donner de conseil, ni formuler d’avertissement. Surtout, j’ai le sentiment que cette génération a la tête bien sur les épaules. L’essentiel, c’est le terrain, le reste n’est qu’une conséquence. C’est sur le terrain qu’ils doivent être présents et avoir un engagement total. Ils savent le faire, ils l’ont montré. Ils avaient un objectif à atteindre, ils touchent au but. Mais ils n’y sont pas encore. Un seul leitmotiv désormais : surtout ne pas avoir de regret. Et dans quelques années, ils savoureront.

Quels souvenirs conservez-vous de votre premier Grand Chelem en 1981 ?

Nous n’étions pas attendu en 1981. C’était la première année de Jacques Fouroux à la tête du XV de France. L’équipe était en reconstruction. Le seul qui était attendu par la presse, c’est moi (rires). A tel point que je me suis posé la question de ma légitimité au sein du groupe. Heureusement, le résultat et le soutien en interne m’ont conforté de ce point de vue là. On ne gagne un Grand Chelem sans avoir un meneur de jeu qui fait pas le job. Ce Grand Chelem, je l’ai vécu de façon un peu égoïste par rapport à cette problématique. Il faut bien savoir que je me suis fait allumer durant toute la durée du Tournoi par la presse. Je me souviens d’une scène dans un ascenseur en Angleterre avant le dernier match où Robert Paparemborde, Jacques Fouroux et Jean-Pierre-Rives m’ont réconforté et m’ont confirmé que j’avais toute ma place dans cette équipe. Eux avaient l’expérience, la connaissance et m’ont rendu ma légitimité.

L’exploit de 1981 est d’autant plus beau que le calendrier ne vous était pas vraiment favorable ?

C’est le moins que l’on puisse dire. Nous avions été contraint d’aller gagner en Irlande et Angleterre lors du dernier match. Mais, à cette période-là, il y avait, me semble-t-il, une homogénéité des niveaux. Je n’ai pas souvenir d’une équipe vraiment au-dessus ou en dessous. Sur ce Tournoi de 1981, tous les résultats avaient été assez serrés. Mais nous avions appris à gagner ces matchs, porté par un état d’esprit assez remarquable.

Vous aviez débuté le Tournoi à la charnière avec Bernard Viviès qui s’est blessé lors du premier match. Il avait ensuite été remplacé par Guy Laporte, devenu l’un des héros de ce Grand Chelem…

Guy avait réussi un très grand Tournoi. Il avait été décisif. Tout comme le replacement de Jean-Luc Joinel au poste de troisième ligne centre a été très important. Lors du deuxième match, nous avions trouvé notre colonne vertébrale, avec Philippe Dintrans en fer de lance. Et puis, nous avions une structure de jeu assez forte.

Il faut toujours se méfier des Anglais

Aviez-vous senti de l’étonnement dans les yeux de vos adversaires face à vos performances alors que le XV de France sortait d’une période chaotique ?

Pas forcément. Le rugby français a toujours été respecté à l’étranger. Nous étions bien moins respectés par notre environnement proche et notamment l’environnement médiatique. Malgré le Grand Chelem, nous avions été beaucoup critiqué. Quand je vois aujourd’hui la valorisation qui est faîte autour de l’équipe de France et de ses performances, ça m’interpelle. La communication joue à plein parce que sur le plan du jeu, la dernière victoire au pays de Galles, c’est quand même assez pauvre.

En quoi ce Grand Chelem en 1981 tient à la personnalité de Jacques Fouroux ?

Jacques avait un charisme qui nous portait et qui nous transcendait. Il avait cette capacité à nous faire croire en notre potentiel. Et des qualités stratégiques qui n’étaient pas reconnus à l’époque. Jacques n’était pas reconnu à ses justes valeurs. Pour beaucoup, Jacques n’était qu’un aboyeur. Il était bien plus que ça, je peux en témoigner.

Si vous ne deviez retenir qu’une seule image de ce Grand Chelem 1981, ce serait laquelle ?

C’est peut-être cette complicité que j’ai pu avoir avec Guy Laporte. Je lui tenais les ballons au sol lorsqu’il butait. Je revois encore cette photo parue dans la presse. Elle traduit cette complicité qui s’est créée petit à petit et qui nous a permis d’être efficace. Au départ, nous ne nous connaissions pas du tout. Nous nous sommes découverts quasiment au matin du deuxième match. Parce qu’à l’époque, nous n’avions pas trois semaines de préparation. Le rendez-vous était fixé le mercredi pour un match le samedi. C’était une autre époque. En deux entraînements, il nous fallait trouver de la cohésion. Et avec Guy, nous l’avions trouvé naturellement. C’est aussi pour moi l’opportunité de lui rendre hommage.

Le XV de France va jouer son dernier match, celui du Grand Chelem, ce samedi contre l’Angleterre comme vous en 1981 alors que le XV de la Rose n’a plus rien à espérer. Faut-il quand même s’en méfier ?

Il faut toujours se méfier des Anglais (rires). Qu’il y ait un enjeu ou non, ils ont toujours un sentiment particulier lorsqu’ils affrontent la France. C’est une question d’honneur. Cela va bien au-delà du Grand Chelem. Souvenez-vous qu’en 1991, ils nous ont déjà privés d’un Grand Chelem sur le dernier match. Et si les Anglais, même s’ils semblent limités, peuvent gâcher la fête samedi, ils ne s’en priveront pas. Au contraire.

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