Interview de légendes - Rives : "Et là, boum, "Chocho" électrocute un Ecossais dans le couloir…"

  • Rives - ITV de légendes.
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TOURNOI DES 6 NATIONS - Capitaine historique du XV de France, "Casque d’Or" était un simple soldat lors du triomphe de la bande à Fouroux en 1977, qu’il place au sommet de son panthéon personnel.

En préambule, le capitaine légendaire des Bleus a-t-il un message à délivrer à ses potentiels successeurs, à une marche du dixième Grand Chelem de l’histoire du XV de France ?

Pas grand chose d’original… Allez les Bleus, on vous aime, vous êtes les plus forts et vous allez gagner, parce qu’il ne peut pas en être autrement. Ma seule crainte avant ce match, c’est un peu vous les médias, et l’atmosphère qui se construit autour de ce match. En 1977, on était tranquille, il y avait des mecs qu’on ne pouvait pas filmer parce qu’ils faisaient peur aux enfants ! (rires) Mais je fais confiance à tout leur staff pour les mobiliser sur l’essentiel. Il faut juste que les joueurs sachent qu’on les aime et qu’on les soutiendra quoi qu’il arrive. C’est qui l’arbitre, d’ailleurs ?

M. Peyper, un Sud-Africain. Vous faites référence à l’arbitre qui vous a privé de votre troisième grand chelem en 1984 lors du dernier match en Ecosse, c’est ça ?

Oui, c’est ça… Je ne vais même pas lui faire de la publicité en rappelant son nom ici. Je n’ai toujours pas digéré même si depuis, allez, il est pardonné… Mais j’ai assez d’expérience pour savoir que tout peut arriver.

Plutôt que 1984, l’idée était plutôt ici de votre premier grand chelem, celui de 1977...

Ah, ça… 1977, c’est une histoire de famille, il n’y a pas d’autre mot. Mais une autre famille, une famille de quinze personnes qu’on s’était construite nous-mêmes. Je n’ai que des souvenirs fabuleux de cette équipe, on ne voulait pas se lâcher. En Irlande, Alain Paco joue quand même le dernier match malgré une crise d’appendicite ! Il fallait être fou… Je me souviens aussi que, quelque temps après ce Tournoi, Jean-François Imbernon s’était blessé en retombant d’une touche, lors d’un entraînement. Il s’était fracturé le péroné… On avait mis le doc' dans la confidence, en lui demandant de le bander pour qu’il joue quand même. Michel Palmié lui disait : "t’as pas mal, t’as pas mal". Sauf qu’il fallait bien se rendre à l’évidence, sa jambe avait doublé de volume et il n’a pas pu tenir sa place. Son remplaçant, si je me souviens bien, c’était Alain Guilbert. Le pauvre, les autres ne lui parlaient pas, alors qu’il n’avait rien fait de mal...

De 1977, on a surtout retenu l’aspect excessif de l’épopée, des repas gargantuesques à la Closerie des Lilas aux accès de violence sur les terrains...

Tout était extrême. Le rugby est un sport d’excès joué par des gens excessifs, alors il ne faut pas s’attendre à des comportements trop rationnels… Mais dans cette équipe, il n’y avait vraiment que des fous ! Ce qui est drôle, c’est que l’on ne voyait pas les matchs de la même façon, selon qu’on était à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe. À l’intérieur, on voyait bien qu’il y avait quelques accrochages, quelques petites bagarres. Mais quand les gens nous racontaient le match qu’ils avaient vu, on n’en revenait pas. On nous disait : "tu te rends compte, untel a fait ci, un autre a fait ça..." Mais nous, on ne voyait rien ! Hormis ce qu’on pouvait bien faire. Il faut dire qu’en ce temps-là, sauter à pieds joints sur un Anglais qui traînait par terre, c’était de loin la méthode la plus efficace pour avoir quelques ballons propres, alors ça semblait normal ! Mais le jeu a changé, et heureusement. Alors, on ne va pas conseiller à nos petits Bleus de faire la même chose samedi. De toute façon, ils ont tellement de talent qu’ils n’en ont pas besoin.

La légende raconte que, dans l’intimité des vestiaires, le XV de France se préparait au son du Nabucco de Verdi, avec le Choeur des Esclaves qui passait sur un magnétophone juste avant d’entrer sur le terrain. Qui en avait eu l’idée ?

Je vous l’ai dit, on était tous un peu fous, alors je ne saurais même pas vous répondre. Peut-être était-ce l’idée de Jacques Fouroux, mais je n’en suis même pas sûr… Attention, il ne faut pas croire, certains y étaient un peu hermétiques, hein ! Il faut dire que si on avait mis ça ou une valse viennoise, ça n’aurait pas changé grand chose. La musique qui aurait le mieux correspondu, à la rigueur, ça aurait pu être la charge de la cavalerie (rires). Mais bon, c’était Nabucco, et voilà... Il faut croire que ça marchait puisqu’au-delà de remporter nos quatre matchs, nous n’avons encaissé aucun essai.

Cela contribuait-il vraiment à vous faire sortir dans un état second ?

Je ne sais pas si c’était la musique, mais je vais vous dire : contre l’Ecosse au Parc des Princes, certains étaient tellement énervés que lorsque nous nous sommes mis côte à côte dans le couloir, je craignais le pire. Et là, boum "Chocho" (Gérard Cholley, NDLR) électrocute un Écossais d’un grand coup de poing. C’était son pilier, MacDonald, je crois qu’il s’appelait. Il est tombé comme une feuille, les autres l’ont relevé tant bien que mal et il est entré sur le terrain complètement KO. Les arbitres n’ont rien vu du tout, mais ça a tout de même fait une petite histoire avec les officiels. C’est le président Ferrasse qui avait tout arrangé en coulisses. Mais ça encore, ce sont des méthodes que je préfère ne pas trop conseiller aux Bleus pour ce week-end. Aujourd’hui, une histoire pareille, ça se terminerait au tribunal.

Quid de la troisième mi-temps qui suivit votre victoire en Irlande ?

En 1977, on n’était peut-être pas les meilleurs au rugby mais à la bringue, on était les plus forts. La troisième mi-temps a duré deux jours : on s’est levé le samedi avant le match, pis on s’est couché le lundi matin. Comme pendant tout le Tournoi, on est resté à 15 tous ensemble, sans se quitter, jusqu’au bout. En rentrant en France, on s’est dirigé chez Castel, où on était les rois. On était tellement bien qu’un matin à l’aube, l’un d’entre nous – dont je tairai le nom – avait croisé sa femme pas trop loin de la boîte de nuit. Il l’avait engueulé en lui disant : "qu’est-ce que tu fous là ? Va te coucher !" (rires) C’est certainement pour ça que, quelques années plus tard, on a décidé de créer les Barbarians français. Histoire de prolonger cette aventure dont personne n’avait envie qu’elle s’arrête, et qui a le mérite de continuer aujourd’hui.

Ce rugby moderne vous plaît-il toujours autant ?

Dans ce monde qui devient de plus en plus bizarre, pour utiliser un mot gentil, le rugby a le mérite de rester ce qu’il est. Mon petit joue à Grimaud, où j’habite, et je retrouve dans son école de rugby les mêmes choses que j’ai connues au TOEC, qui m’ont permis de vivre des choses auxquelles je n’étais pas destiné. Grâce au rugby, on est devenu grand tout en restant des enfants, et tous ces moments passés sur le terrain ont été un supplément de vie magnifique.

Si le rugby fait grandir, un grand chelem est-il un sommet ?

Qu’est-ce qu’il y a de mieux qu’un grand chelem ? Deux grands chelems, peut-être… Mais c’est sûr qu’en soi, c’est un aboutissement. C’était une histoire à quatre coups, c’en est devenu une à cinq, mais ça reste quelque chose de rare, d’exceptionnel.

Serez-vous au stade de France samedi soir ?

Non, je vais regarder ça religieusement à la télévision. À mon âge, c’est encore sur son canapé qu’on voit le mieux les matchs, d’autant que si je vais au stade je vais forcément me retrouver à côté de quelqu’un qui n’y comprend rien et qui va me parler pendant 80 minutes. Mais je vais me tenir au courant à distance, je pense que j’aurai droit à un petit coup de fil de William Servat avant ou après le match. Vous savez, il y a quelques jours, un gamin de l’école de rugby de Grimaud s’est gravement blessé. Par l’entremise de William, toute l’équipe lui a envoyé un petit message… C’était tellement gentil que, rien que d’en parler, j’en ai les larmes aux yeux. C’est pour cela que je disais tout à l’heure que le rugby a le mérite de rester ce qu’il est, grâce à des gens de valeurs qui se les transmettent de génération en génération. C’est pourquoi je souhaite à nos petits tout le bonheur du monde contre l’Angleterre, parce que ce grand chelem, ils le méritent tout autant que nous.

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