Labit : "Nous, les mains, on les a dans le cambouis"

  • Pro D2 - Christian Labit (Carcassonne).
    Pro D2 - Christian Labit (Carcassonne).
  • Pro D2 - Christian Labit
    Pro D2 - Christian Labit
  • Mathieu Cidre - Carcassonne (Crédit : la Dépêche du midi)
    Mathieu Cidre - Carcassonne (Crédit : la Dépêche du midi)
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PRO D2 - La réussite de Carcassonne, son profil, son fonctionnement, ses convictions et ses coups de gueule… L’ancien troisième ligne international Christian Labit se livre en exclusivité pour Rugbyrama.

Rugbyrama : Christian, Carcassonne est cinquième à deux journées du terme de la phase aller. Êtes-vous satisfait du nouveau début de saison réussi par l’USC ?

Christian Labit : Une cinquième place aujourd’hui, en regardant dans les rétros toutes les équipes qui sont derrière… Qui l’aurait cru en début d’année ? On a toujours cette même philosophie finalement. Je n’ai jamais joué la descente avec ce club, et c’est grâce à un ensemble de choses. Carcassonne est à la mesure de ses engagements, ce club ne prétend à rien de grand et d’important. Il représente une valeur qui est chère à ce sport : l’authenticité et surtout l’humilité.

Est-ce la clé de la réussite de ce club ?

C.L : Je pense oui. Il n’y a pas d’effet d’annonce en début de saison, en disant que l’on va être champions ou bien demi-finalistes. En tout cas dans ma bouche, on ne l’aura jamais entendu. Ni dans celle du président. La priorité de ce club, c’est de faire que le groupe et que la vie dans cette équipe soit synonyme d’exemplarité en terme d’investissement. Mon rôle, c’est que les joueurs qui portent ce maillot et qui représentent le club s’investissent sur le terrain. Et en terme plus structurel et financier, c’est de la ressource des présidents de faire en sorte que l’USC continue à vivre, et ne vive justement pas au-dessus de ses moyens. Que ce club trouve les solutions avec les moyens dont il dispose.

Pourquoi êtes-vous revenu, en décembre 2017, alors que l’USC était au plus mal au classement ?

C.L : La priorité était de sauver le club à ce moment-là. Je me devais de reprendre Carcassonne à un moment où ce club était quasiment mort… À la quatorzième journée, on ne comptait que treize points. C’est à peine plus que Valence-Romans aujourd’hui. On oublie vite, mais on ne rend pas compte de ce que cela représente. Je l’ai fait uniquement parce que je me devais de le faire. Ça me faisait mal au coeur. Ce club a été mon bébé. Avec le président, on s’est lancé dans une histoire ensemble. Et on l’a faite fructifier, progresser. Elle a surtout donné un sens à un club, à des supporteurs, à des joueurs, tous ces hommes qui ont apporté leur pierre à l’édifice. Moi à côté, je ne suis rien. Et en 2017, je voyais tout s’éteindre sur une saison. Tout ce qu’on avait construit en cinq ans s’en allait en six mois. Je sentais que je pouvais avoir un rôle, alors j’ai tenté la dernière chance. Au moins, je n’aurais pas eu de remords à me dire : "ce club est mort, et je n’ai rien fait".

Pro D2 - Christian Labit
Pro D2 - Christian Labit
Entre Frédéric Calamel et moi, il n’y a pas de doute

On vous a connu entraîneur "bâtisseur", sur le long terme. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

C.L : Oui, et c’est naturel dans ce club, malheureusement ou heureusement je ne sais pas. Comme j’ai toujours dit, les mains nous, on les a dans le cambouis. On n’a pas la chance d’avoir les meilleurs joueurs. Il faut trouver les hommes qui peuvent le devenir, ou alors trouver les hommes qui peuvent le redevenir. C’est pour moi le rôle le plus beau et le plus important. Ce n’est pas de la prétention encore, mais avoir les meilleurs joueurs et gagner, c’est plus facile. Même s’il faut les faire jouer ensemble. Mais on s’en rend compte, avec un exemple parfait comme le Stade Français… Des fois, ça ne suffit pas. Il faut arriver à trouver le lien entre les jeunes, les anciens que personne ne veut et à qui on donne une nouvelle chance. Puis faire devenir meilleurs certains. Et tout ça dans un management un peu particulier, car il faut combattre tous les week-ends contre des équipes qui ont plus de moyens, plus d’effectif, plus de qualité. Nous, on doit donner le sentiment d’être plus forts que les adversaires, même si on ne l’est pas forcément.

Avec un budget très modeste, le recrutement de Carcassonne est intéressant chaque été. Est-ce aussi l’un des facteurs de votre réussite ?

C.L : Notre force vient du recrutement oui, dans un premier temps, comme je viens de l’évoquer. Avec des jeunes, des étrangers que l’on déniche, des joueurs expérimentés que l’on relance… Ensuite, ma nature fait que j’accorde beaucoup d’importance à l’état d’esprit d’un groupe. Un joueur avec beaucoup plus de qualités mais qui ne rentre pas dans le système, ne peut pas fonctionner avec moi. J’ai besoin d’avoir des hommes qui fonctionnent ensemble.

Vous avez toujours affirmé être plus performant lorsque les dirigeants vous confient intégralement les clés du camion…

C.L : Oui bien sûr. Je suis d’ailleurs revenu parce que Frédéric Calamel était aux commandes. Il est aussi responsable de la réussite de Carcassonne. Et ceci parce qu’il me laisse fonctionner comme j’ai envie. Il ne m’impose rien, ne me demande rien. Il me fait confiance à 100%. Je trouve que c’est comme ça qu’il faut fonctionner. Sa force et son intelligence, elles sont là. Il arrive à me donner les clés du camion avec la certitude que le fonctionnement sera bon. Et ça… ça n’a pas de prix. Et je pense que les présidents doivent avoir ce rôle-là avec leurs entraineurs aujourd’hui. Entre Frédéric Calamel et moi, il n’y a pas de doute. Ça se traduit forcément sur les résultats et la réussite. Et tant qu’il n’y aura pas de doute, ça fonctionnera.

Cette confiance se vérifie-t-elle aussi entre vous et les autres entraîneurs ?

C.L : Évidemment. J’ai la même relation avec mes entraîneurs. J’ai une confiance absolue envers Mathieu Cidre et Julien Sidobre. J’avance les yeux fermés avec eux. Ce sont eux qui font le boulot, et je le revendique. Ce sont eux les hommes de l’ombre et qui font le gros. Moi je prends les décisions finales et je fais des choix parfois décisifs, mais eux font un vrai travail. Je leur suis reconnaissant… C’est dans leur nature et c’est leur fonctionnement, ils aiment ça. Ce sont des bosseurs. C’est une confiance mutuelle et on a la même perception, la même philosophie du rugby. Nos choix s’équilibrent rapidement dans la même direction.

Mathieu Cidre - Carcassonne (Crédit : la Dépêche du midi)
Mathieu Cidre - Carcassonne (Crédit : la Dépêche du midi)
Je pense que ce système de formation nuit au rugby français et tue des talents

Quel est votre secret pour garder un vestiaire aussi concerné à chaque rencontre ? N’avez-vous pas le sentiment de vous répéter chaque semaine, en utilisant les mêmes ressorts de motivation ?

C.L : Si ça tournait en rond, je ne continuerais pas. J’ai le sentiment que l’équipe progresse d’année en année, ça veut dire qu’il y a matière à fonctionner et que le discours n’est pas récurrent. C’est aussi le rôle de manager que l’on doit avoir dans ce genre d’équipe, qui est différent de celui dans les grands clubs. Car j’ai eu la chance de côtoyer des grands entraîneurs et de connaitre leur fonctionnement, et de comparer. Mais moi, les hommes que je mets sur le terrain c’est plus de l’affectif. Avec un peu de rigueur, un peu de d'amour mais aussi de la distance et de la compassion. On a le rôle du besogneux, et ça ne me déplaît pas. Car c'est le vrai rôle que l’on a, quand on est sur un terrain avec un groupe. J’aime la sueur, j’aime les hommes. Et forcément, ils me le rendent bien. Mais attention, il ne faut jamais désarmer. On n’a pas le droit à l’erreur, à la suffisance et la médiocrité. C’est la remobilisation permanente. Et je pense d’ailleurs que c’est plus dur pour nous les entraîneurs que pour eux les joueurs. C’est usant pour nous, attention… On y laisse la santé. Le psychologique, il en prend un coup. On ne motive plus les joueurs avec des coups de tête. Non, il y a beaucoup de psychologique. Et ce que l’on donne au club et aux joueurs, on le prend pour nous. Parfois après les matches, je suis plus fatigué que les joueurs. C’est un peu usant, mais c’est à ce prix-là. Et quand ça réussit, on a le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait.

Vous puisez parfois dans le centre de formation de Carcassonne pour enrichir votre effectif. Quel regard portez-vous sur la situation des jeunes joueurs français au sein du rugby professionnel ?

C.L : Déjà, l’âge n’est pas une priorité pour jouer. Si on est bon à 18 ans, il faut jouer. Si on est bon à 36 ans, il faut jouer aussi. Je crois ensuite qu’il y a énormément de potentiel chez les jeunes Français dans ce championnat. Mais le problème, c’est qu’on ne donne pas l’opportunité à ces gamins de pouvoir s’exprimer. Par la force des choses, parce que des fois, on n’a pas le choix. Peut-être. D’un autre côté, je garde la même philosophie : je ne vais pas faire jouer un jeune joueur parce qu’il est jeune. Il doit jouer s'il est bon. Mais pour savoir s’il est bon, il faut qui joue. C’est le serpent qui se mord la queue. C’est comme le fonctionnement de ce championnat où, pour moi, on ne donne pas assez l’opportunité aux joueurs français de pouvoir s’exprimer. Quel que soit le championnat. Je vais donner un exemple rapide. On me dit qu’il y a un joueur de Montpellier de 22 ans avec des qualités exceptionnelles en Espoirs. Ok d’accord, mais le championnat Espoirs c’est quoi ? Je vais voir un match et je me dis : "C’est ça le championnat Espoirs ?". Alors quoi… est-ce que je prends le risque de faire un contrat professionnel à ce joueur, de 1500€ minimum, et qui me génère à moi 3000€ brut ? Ou bien est-ce que je vais chercher un international tongien, samoan ou fidjien, avec deux Coupe du monde et quarante sélections, et ce pour le même salaire ? Et bien moi, je suis pris dans l’aspect financier, avec un effectif restreint, je ne peux pas me tromper. Le choix est simple malheureusement pour moi, au détriment d’un jeune Français qui joue dans le championnat Espoirs, championnat dont je n’ai aucune visibilité et aucune certitude sur la qualité du joueur en Pro D2. Qu’on donne la possibilité à ces jeunes de pouvoir s’exprimer en Fédérale 1 ou en Pro D2, ou encore que la Ligue ou la Fédération prennent en charge la moitié de leurs salaires par exemple. Et à partir de là, moi je les prendrais ces jeunes. Comme Aurillac, comme Biarritz… comme tous les clubs. Mais voilà, encore une fois, on se confronte à cet aspect financier. Aujourd’hui, je n’ai pas le choix. Je vais me rassurer avec un joueur avec qui j’ai le plus de certitudes, même si je me tromperais à l’avenir. Je trouve que ce système de formation nuit au rugby français et que l’on tue des talents.

Le seul regret que j’ai, c’est de voir Narbonne en Fédérale 1

Enfin, vous n’avez pas réussi votre passage à Narbonne, votre club de coeur. Quelques années plus tard, avez-vous des regrets ?

C.L : Je n’ai pas de regrets autour de mon départ. On m’a viré après une défaite contre Perpignan, et puis on a finalement vu que derrière, tout est resté dans la continuité. Les regrets que j’ai vis-à-vis de Narbonne, c’est que j’étais pris à partie dans un système qui était contre moi, parce que peut-être qu’à un moment donné je représentais plus que certains du club. Et puis ce qui m’est arrivé, c’est que je n’étais pas celui qui était destiné à rester à Narbonne. Celui qui m’avait fait venir, c’était Rocky Elsom, ce ne sont pas les hommes qui ont pris la succession du club par la suite. Alors non, je n’ai pas forcément de regret. Le seul regret que j’ai, c’est de voir Narbonne en Fédérale 1. Mais c’est peut-être son réel niveau, parce que ce club a un fonctionnement un petit peu particulier.

C’est à dire ?

C.L : C’est le seul club français où beaucoup de personnes, des anciens notamment, gravitent autour, croyant détenir la vérité et qui surtout profitent et bénéficient plein d’avantages grâce au club. Ce n’est pas comme ça que l’on fonctionne. Quand on va dans un club, c’est pour y apporter. Pas pour en tirer des bénéfices. Mais bon, ça fait partie de ce club et de son ADN. C’est bien dommage, car il en est passé des grands joueurs à Narbonne. Peu sont encore là. Les grands joueurs passés par le Racing ne sont plus dans le fonctionnement. C’est justement ceux qui n’ont jamais été très bons qui sont là et en tirent des avantages, et qui existent autrement que quand ils étaient joueurs. Ce qui est dommage, c’est que Narbonne mériterait d’être en Pro D2, au moins. Est-ce qu’ils vont revenir ? Je le souhaite vraiment. Après, franchement, ce n’est pas la faute à Christian Labit ou à ceux qui sont passés si ce club en est là. Je crois que j’ai tout donné pour Narbonne, on m’a mis là quand le club était dernier de Pro D2, j’ai tout fait pour le sauver et ça s’est fait la première saison. Donc voilà, j’ai le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait. Maintenant, ce sont des passages de vie. Ça nous apprend à connaître les hommes, le fonctionnement. À comprendre pourquoi le club ne réussit pas, alors qu’à quelques kilomètres pourtant, un autre club avec beaucoup moins de moyens réussit…

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