La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre consultant Pierre Villepreux revient sur les demi-finales de Coupe d'Europe et sur le côté injuste et imparfait de l'issue des tirs au but.

Deux excellentes demi-finales de Coupe d'Europe. Beaucoup d'intentions de jeu et un engagement physique et mental optimal pour tous. Le Munster, logique favori mené au score, une situation que cette équipe n'apprécie pas. Obligé de sortir de son jeu habituel dans les dernières 15 minutes, le "tout à la main" devenait un exercice difficile pour ce collectif. Choisir d'utiliser la balle en privilégiant le jeu large sans le recours du jeu au pied n'est pas dans ses habitudes. Les champions en titre s'y brûlèrent définitivement les ailes. L'interception n'a rien du hasard. Le jeu sauté répété d'O'Gara n'a pas échappé à O'Driscoll. Quel que soient les matchs, le virevoltant centre du Leinster réussit toujours un exploit, il affectionne les coups d'éclat. Sa longue course vers les poteaux adverses mit ses adversaire définitivement KO.

L'autre match mérite un autre type de réflexion. La victoire a été obtenue après que les Gallois de Cardiff accrochèrent les prolongations sur de superbes mouvements collectifs, la vigilance défensive de Leicester ayant faibli du fait de l'ampleur du score et du peu de temps restant dans un match que les anglais ont dominé et qu'ils ont failli perdre suite au règlement qui impose après les prolongations les fameux tirs aux buts. On y arrive rarement en rugby et cela mérite une réflexion. .

Dans notre sport, l'équité rugbystique, de par la charte du jeu, donne aux deux équipes les mêmes droits et les mêmes chances pour accéder à la victoire. Le règlement tel qu'il est conçu en coupe d'Europe en cas de match nul parfait après prolongations (tirs au but par cinq joueurs différents de chaque équipe) ne remet pas en cause cette équité mais il met en lumière son inévitable imperfection.

Impliquer cinq joueurs différents par équipes, voire plus pour accéder à la victoire, alors que dans le match qui les oppose, cette responsabilité est confiée à un, voire au plus deux, joueurs spécialisés dans cet art, équivaut à introduire une grande part d'aléatoire dans la performance. La logique, et c'est ce qui se passe, c'est de confier, pour se donner les meilleures chances de gagner, au plus expert des buteurs de l'équipe le soin de "scorer". Dans le jeu actuel, la compétence du buteur est déterminante.

Si le jeu n'a pas pu départager les deux équipes et si on accepte qu'il n'y a pas d'autres alternatives que d'en arriver aux tirs aux but, qui effectivement sont représentatifs de la réalité de notre jeu pour accéder à la victoire ; pourquoi alors ne pas confier la responsabilité de cet exercice à celui qui en a la charge durant le match. Le défi entre buteurs existe déjà durant le match, on serait alors dans une logique de continuité entre experts.

La concurrence entre buteurs est une réalité dans chaque compétition puisque un classement met en valeur les performances des uns et des autres. Les exigences de travail pour devenir un bon buteur sont importantes, ce n'est pas par hasard que toutes les équipes se dotent d'un entraîneur spécialiste. Les buteurs sont préparés psychologiquement pour faire face à la pression particulière que génèrent les situations de coups de pied placés. Ils sont conscients de l'importance de leur rôle auprès de leurs partenaires dans la performance finale de leur équipe. Ce n'est pas le cas pour les joueurs choisis pour répondre occasionnellement à ce type de contexte rarissime.

Ce n'est donc pas par hasard que les meilleurs sont appelés à buter en premier et ce qui est gênant, c'est qu'au fur et à mesure des passages, on peut noter (plus le nombre de joueurs appelés est important), le manque croissant et progressif des habiletés et des compétences des buteurs successifs. A ce moment crucial, le hasard, traduit en terme de chance ou malchance, devient décideur de la victoire. C'est donc par défaut que le résultat final s'impose. Irrationnel et injuste sont les mots qui me viennent à l'esprit pour qualifier cette forme réglementaire pour désigner un vainqueur. Ceci est vrai quel que soit le niveau de compétition, mais c'est d'autant plus aberrant quand cela donne le droit d'accéder à la finale de la coupe d'Europe. En continuant le duel déjà engagé entre les buteurs dans le match, on placerait le résultat sur une réelle équité dans la cadre contextuel qui serait le plus près possible de la logique et de la spécificité de notre jeu.

La formule actuelle peut légitimement entraîné un sentiment de frustration pour les vaincus, même si l'on peut accepter que Les Tigres de Leicester méritaient sur l'ensemble du match de gagner, et il est plutôt cocasse que ce soit l'un des meilleurs joueur de Cardiff , qui par son insuffisante habileté comme buteur, leur permit d'aller rencontrer les irlandais du Leinster en finale.

En prenant en compte ces anomalies, il suffirait que chaque équipe désigne son champion et de définir de nouvelles modalités d'exécution qui soient équitables pour l'un et l'autre. Cela éviterait d'en arriver à entrer dans la tricherie bien organisée, celle qui a permis à Dupuy un retour sur le terrain et de réussir un coup de pied qui n'est plus à considérer comme insignifiant dans le duel particulièrement équilibré qui s'ensuivit.

Je suis bien conscient que cette formule n'est pas la panacée. Je préférerai une solution plus ludique et plus représentative de la spécificité du rugby. Un 7 contre 7 avec mort subite permettrait de conserver l'incertitude que procure,de part l'opposition, le jeu des deux antagonistes, et non, comme c'est le cas pour les tirs aux buts, dans un contexte standardisé avec des conditions forcément "arrêtées" de moindre incertitude qui favorisent une gestuelle automatisé.

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