La chronique de P. Villepreux

Par Rugbyrama
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Pierre Villepreux a suivi le premier week-end européen. L'occasion pour notre expert de revenir sur le jeu proposé par les Français.

Depuis Dublin, j"ai regardé la coupe d"Europe en compagnie d"amis irlandais très au fait du rugby et de son évolution. Manifestement le jeu actuellement produit en général par les Français les interpelle. Ils disent ne pas retrouver dans la production des "frenchies" les comportements créatifs, les attitudes, qui nous ont, dans le passé, appartenu et fait reconnaître comme détenteurs d"un jeu différent, identitaire. Mieux ils raffolaient de nos surprenantes et magiques décisions dans certaines situations qui leur semblaient complètement inaccessibles dans le cadre de leur culture. Autant de raisons qui les amènent à s"intéresser et à regarder le jeu français avec l"espoir qu"il répondra à leur attente à savoir que nous exploitions au mieux nos potentialités en terme de créativité tactique, d"utilisation originale des règles et de leur esprit (y compris les nouvelles). Celles-ci, selon eux,présentent les bons ingrédients pour nous avantager.

J'ai répondu que si le jeu a, il n'y a pas si longtemps, appartenu aux joueurs, je n'étais pas sur que ceux-ci ont aujourd'hui la liberté nécessaire pour s'exprimer dans un jeu qui tend au fil du temps à se super structurer.

En allant un peu plus loin dans l'analyse, j'ai tenté d'expliquer comment dans l'histoire du jeu, les joueurs l'ont fait exister et évoluer, puisque la fonction d'entraîneur et donc son pouvoir sur le jeu n'avait rien à voir avec celui que détient aujourd'hui l'entraîneur en chef et le staff technique qui lui est attaché. Dans cette organisation, qui voit le nombre d'intervenants sans cesse augmenter, chacun se doit d'exister, ce qui tend forcement à minimiser le rôle et le poids des joueurs sur le jeu. Le joueur devient davantage un exécutant, ce qui réduit d'autant les initiatives qui ne rentrent pas dans le cadre d'un projet de jeu ficelé et plus ou moins contraignant, le fameux "game plan" si cher aux Britanniques.

Indiscutablement ce pouvoir indispensable aux joueurs pour réellement pénétrer l'intelligence du jeu et y apporter les capacités d'adaptation nécessaires semble leur manquer. Je ne dis surtout pas qu'ils ont perdu ces capacités, mais elles semblent en sommeil. Et ce d'autant qu'ils sont aussi coincés par le contexte du système - règles contraignantes - interférences des dirigeants du fait des implications économiques et des nécessités de résultats - calendrier sans concession.

Mais, ce serait bien sur stupide de dire et d'accepter que les joueurs doivent et puissent être les seuls moteurs de l'évolution. Il faudrait plus simplement pour que le degré de dépendance du joueur ne soit pas trop grand et que les formes et le travail d'entraînement donc toute la démarche de formation crée cette responsabilisation tactique et les fassent entrer dans d'autres attitudes mentales par rapport au jeu. Pour y accéder faut-il encore s'appuyer dans les entraînements sur la réalité vivante du jeu, à savoir, le rapport d'opposition dynamique qui inclut tout en même temps, le temps de l'attaque et par réversibilité le temps de défense en cas de perte de balle. Si on veut que les joueurs se situent dans une complémentarité d'actions où chacun contribue au jeu en cours et anticipe le suivant, une bonne lecture du jeu est nécessaire. Celle-ci n'a de chance de se développer que si elle se nourrie de repères et indices communs qui ne peuvent devenir opérationnels que si les formes du travail d'entraînement y répondent.

Cette intelligence tactique se doit d'être mobilisée dans un travail qui place le joueur très souvent en situation de reconnaissance du rapport de force attaque-défense, indispensable pour développer les capacités à détecter en plein jeu les évolutions des formes de jeu et donc la mise en œuvre de la forme pertinente et de son orientation.

Il y a toujours en jeu, dans les actions gagnantes, une optimisation des ressources qui fait la différence. Pour que chacun s'y comporte avec pertinence, faut-il encore je le répète que les situations d'entraînement placent les joueurs régulièrement dans les conditions d'opposition qui vont permettre de gérer tout en même temps - avancée du ballon et soutien utile -.

Comprendre les relations de réciprocité attaque-défense et savoir les exploiter dans le jeu réel est déterminant si l'on veut avoir des joueurs à même de répondre avec justesse aux situations rencontrées. La compréhension du jeu dans la réalité mouvante du mouvement général devient un facteur incontournable que le joueur doit toujours mieux s'approprier pour mieux appréhender tout en même temps comment jouer dans les phases d'arrêt du mouvement du ballon (rucks et maul) et dans les phases statiques.

La phase de plein mouvement est selon René Deleplace la "phase mère". Faut-il encore accepter que la formation du joueur se réalise et se fasse en partant du mouvement général donc de la gestion des situations de déséquilibre pour aller vers les phases statiques ou règne l'équilibre. Je ne suis pas sûr que les "game plan" et le volume de travail qui lui est consacré dans les clubs créent les conditions optimales pour avoir les joueurs capables, en plein jeu et à la vitesse du jeu, d'adaptabilité collective.

Je ne sais pas si j'ai satisfait au questionnement de mes amis irlandais, mais certaines actions tant offensives que défensives entrevues dans les matchs où étaient impliqués les français étaient pour moi révélatrices des dégâts crées par une structuration du jeu abusive.

Entre autres, Clermont en a fait les frais sur des ballons perdus et Montauban, comme Bath d'ailleurs n'ont pas su gérer intelligemment une fin de match où il s'agissait surtout d'oublier les picks and go. Si ce type de jeu faisait partie des options gagnantes la saison passée, il se révèle aujourd'hui beaucoup moins efficace, avec la rigueur demandée aux arbitres sur la phase plaqueur-plaqué et ruck.

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