La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert, l'ancien sélectionneur des Bleus, Pierre Villepreux revient cette semaine sur le jeu programmé et ses incidences.

J'ai fait part dans un de mes derniers articles de la tendance dans le jeu actuel de mettre en place et en oeuvre des formes de jeu collectives et des évolutions invariablement organisées, plaçant les joueurs en situation de réponses programmées donc qui les impliquent dans une distribution préétablie, voire dans des comportements précis et spécifiques. Ce jeu organisé peut bien sûr s'avérer sécurisant pour le joueur mais il amoindrit son degré de liberté et sa disponibilité pour s'adapter à des situations changeantes et non prévues. Le caractère contraignant de la forme tend à réguler l'ensemble des comportements et limite les initiatives qui éventuellement permettraient de sortir des schémas de jeu choisis.

Ce préambule pour préciser combien le jeu actuel de haut niveau a tendance à se décliner dans un ordre et une structuration bien trop prévisibles pour désorienter les défenses qui sont, de ce fait, souvent en place. La déstabilisation de la défense est alors souvent le fait d'une faiblesse individuelle (plaquage raté) et moins souvent le fait de la création par les attaquants d'un rapport de force favorable. Et, même quand ce rapport favorable existe et qu'il s'agirait de changer ce qui était prévu, il n'est pas rare de voir le porteur de balle et ses partenaires ne pas prendre en compte le rapport de force momentané. On ne profite pas de l'opportunité offerte et on s'enferre dans le jeu programmé. Plus grave, c'est qu'il n'y a pas dans la tête de ceux qui jouent avec le porteur de balle (ses partenaires) les possibilités de se comprendre mutuellement sur le jeu à réaliser dans la situation présente et les réactions des uns et des autres sont souvent en décalage. On ne s'incorpore pas dans le jeu juste, je parle des décisions qui logiquement aurait du être prises relativement au mouvement défensif en cours. Quand on s' aperçoit de l'erreur, la réaction est tardive et la situation s'est transformée. La compensation tactique mise en oeuvre transforme la situation gagnante en une situation plus aléatoire, en tout cas plus facile à gérer pour les défenseurs.

La logique et le sens tactique, qui doit relier entre eux les partenaires utilisateurs du ballon et qui va guider leurs actions, n'a de sens que si on l'appréhende par rapport à la logique d'évolution des défenseurs relativement à leur distribution momentanée dans la largeur et la profondeur du terrain de jeu.

Les options de jeu dans le cadre de "temps de jeu programmés" ne peuvent pas répondre à cette logique.

Mettre de l'ordre dans un lancement de jeu est une exigence, créer des temps de jeu qui ne prennent plus en compte les effets et réactions de l'opposition me paraît préjudiciable pour la formation de l'intelligence du joueur et de la mise en oeuvre des comportements tactiques pertinents que cette formation devrait générer.

Ce propos concernant le trop organisé est perceptible dans le jeu du Top 14 et plus encore dans la compétition outre-manche. Il y est proposé des séquences de jeu qui nous conduisent d'un ruck à un autre dans un espace compris entre les deux lignes de 15 m. Quand la circulation latérale du ballon cesse pour cause de ruck, on renverse couramment le jeu du côté opposé au sens de circulation du ballon. Autrement dit, on ne crée aucune menace dans le même sens en investissant avec un nombre d'attaquants adéquat la zone extérieure au ruck. Il n'y a donc pas de risque pour la défense de ne pas s'investir cet espace du jeu. Les défenseurs attendent le retour du ballon, situation confortable, puisque le ruck a mobilisé plus d'attaquants pour conserver la balle que de défenseurs. Le jeu en inversion ne prend du sens que si on attire suffisamment de défenseurs dans l'espace opposé.

En programmant le retour du ballon et donc en organisant la distribution des attaquants sans avoir créé une logique de choix, donc d'alternatives possibles, on limite les chances de succès traduites en terme d'avancée et de soutien, dans la phase successive.

La dérive de la programmation de temps de jeu tend, rappelons le, à faire oublier aux joueurs utilisateurs de prendre les décisions qui s'imposent en référence à la distribution évolutive de la défense. Le joueur y perd sa liberté et ne mobilise plus les opérations mentales nécessaires pour prendre l'information utile qui doit guider son jeu dans le cadre d'une vision à la fois centrale (ce qui se passe autour du ballon) et périphérique (ce qui se passe dans l'espace de jeu).

Tout n'est pas négatif dans ce jeu programmé qui utilise de manière préférentielle l'espace compris entre les deux lignes des 15 m. Du fait de recentrage de la défense, il autorise l'utilisation en alternance le jeu au pied latéral, sorte de longue passe pour le joueurs qui a su se faire oublier et qui vient se démarquer avec pertinence sur le bord de touche justement dans la zone touche – 15m non défensivement investie. Une arme aujourd'hui extrêmement efficace, mais à utiliser avec pertinence, quand le contexte situationnel l'exige.

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