La chronique de H. Broncan

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez les pas perdus d'un coach, la chronique de l'entraîneur du SU Agen, Henry Broncan.

Dimanche 18 mai

Retour long mais joyeux de Paris : la victoire acquise après un drop manqué de justesse par le jeune Wisnieski – Gaillac, Stade Toulousain, Aix en Provence, Colomiers – petit fils du vaillant "Cassou", ressoude encore davantage le groupe. Reviendrons-nous dans la capitale le 15 juin ? Ce serait bon signe car cela signifierait que nous serions qualifiés. Départ pour Périgueux pour assister au quart de finale retour du Jean Prat. En chemin, arrêt dans la petite ville de Vergt réputée capitale de la fraise et c'est justement la fête de la fraise dans cette belle cité de Dordogne. Ambiance sympathique, gâteau géant sous la halle, brocante, flânerie : j'en oublie presque le match à venir. Beaucoup de monde dans le stade et la préfecture : de l'engouement chez les Périgourdins mais les Valenciens ne sont pas en reste. Sur les bancs respectifs, deux gloires du SUA : Thierry Labrousse d'un côté et Philippe Mothe de l'autre. Un voisin me glisse : "Si vous les aviez dans votre effectif !". Je revois le 1er à Paul Vignaux avec les juniors du CAP, match nul à la clef, en 1990 ( ?). On devinait le formidable joueur qu'il allait devenir à Armandie. Quant au second, c'est avec fierté que je rappelle qu'il a été formé dans le Gers, à Condom. Ses longues chevauchées ont laissé des traces indélébiles dans les mémoires agenaises. Côté jeu, la pluie gêne les participants et plus particulièrement les Tarn-et-Garonnais dominés au niveau du pack par des locaux plus lourds, par exemple l'ancien pilier tarbais Mohammed Gonasmia et le buteur Cyril Durouaix. Encore un ancien du SUA – traduit cette supériorité. Chez les battus, j'apprécie beaucoup la vertu animatrice de Guillaume Dulay, encore un produit de l'école riscloise, ancien élève du lycée du Garros à Auch.

Deux heures pour revenir dans la capitale du Lot-et-Garonne ; bien sûr, il pleut encore ; je suis sur qu'il fait beau à Auch !

Lundi 19 mai

Dans l'après-midi, long coup de fil de mon remplaçant ? Collègue ? Adjoint ? ? Christian Lanta. Il connaît le métier, ses exigences, ses frustrations et ses….joies. Conversation à bâtons rompus sur l'effectif actuel, les recrues éventuelles, l'ambiance du club, etc… Nous nous connaissons relativement peu mais chacune de nos rencontres, plus ou moins éloignées des bancs de touche, se sont déroulées respectueusement. Une connaissance commune, assez proche de nous deux, à qui je rapporte l'entretien, sourit et lâche : "Estime réciproque certes mais je veux voir ces deux crocodiles dans le même marigot !"

Mardi 20 mai

Mon salaire continue d'être largement commenté. Après G.L dans M.O, c'est autour de T.D dans S.O de s'attaquer à la question. Les chiffres revus à la baisse semblent avoir définitivement découragé ma voisine. Le soir, elle est accompagnée par un sculptural "black", sosie de Dave Vainqueur, quelques kilos et quelques années en moins. Je suis d'autant plus découragé qu'il est propriétaire d'un magnifique vélo de course auprès duquel mon vulgaire VTT ne peut soutenir la comparaison. En rentrant vers minuit, je découvre la bicyclette sur notre palier. Une forte envie d'en crever une roue me vient à l'esprit mais par crainte de représailles je n'ose pas accomplir mon projet. Il ne me reste plus qu'à prier pour que B.C dans le "Petit Bleu" donne une estimation supérieure à celle de ses collègues. Je vous garantis que ma voisine est la plus belle femme d'Agen !

Mercredi 21 mai

Coup de fil de ma progéniture, l'entraîneur du F.C Auch Gers. Je croyais qu'il allait me raconter comment, je pense, à son instigation, son soigneur avait transformé l'entorse de Nicolas Bonkinck en saignement ! C'est vrai qu'enfant, il avait appris auprès de son père, entraîneur du LSC, que tout – presque tout- était bon pour gagner un match, surtout quand on rencontrait d'ailleurs le FCA. Nous légitimions nos actes sous couvert de lutte des classes : les "pauvres" pouvaient inonder le terrain, simuler les mêlées, menacer les arbitres, encombrer les vestiaires adverses, séquestrer le buteur visiteur, et bien sur "éosiner" les blessés ; j'exagère à peine ! Non, il me prévient que je serai grand père pour la seconde fois ! Belle joie et petite remarque:" Mais Lény vient de naître !" Réponse en forme de tacle : "Bientôt 2 ans !" Légère gène et interrogation : ne serai-je pas meilleur papy que papa ?

Jeudi 22 mai

Je n'oublie pas de fêter l'anniversaire de mon fils. Quel progrès ! Me sentirais-je coupable ?

Longue entrevue avec mon Président en présence du responsable de l'association : 90 minutes d'une discussion toujours aussi courtoise mais toujours aussi professionnelle. Pendant toute la semaine autour de leur responsable des sports Didier Comby, les militaires du 48ème régiment d'infanterie ont investi Armandie. Chaque jour, ils ont initié au rugby des élèves des différents établissements de la ville, organisé des tournois entre les écoles de rugby de l'agglomération, fait participer jeunes et anciens à des matchs de Beach rugby, le tout dans une ambiance bon enfant, sans prise de tête mais dans le cadre d'une organisation impeccable…militaire.

Le soir, c'est le Tournoi des anciens. Le dimanche matin a composé 2 équipes ; j'ai abandonné mes amis car je crains le sable et le flag mais surtout, j'avais envie de retrouver le Gers. Ce soir, la vieille dame a quitté la TV du Touette pour le théâtre de Mirande où Michel Galabru est tête d'affiche de la pièce "Monsieur Amédée". Demain, elle me confiera : "Nous étions un peu loin et nous n'entendions pas très bien mais il a très bien joué et la salle était pleine". Si Galabru, à 84 ans, continue d'occuper les premiers rôles, vous allez devoir me supporter encore longtemps sur les bancs de touche. Les vieux ont les os durs dans ce siècle.

Vendredi 23 mai

Le Tribunal de grande instance d'Agen et une foule plus importante que d'habitude. Madame la Juge a un physique agréable et un sourire en adéquation, des yeux qui clignotent et des sourcils qui alternent détente et froncements ; il faut toujours se méfier des gens qui paraissent trop sympathiques et sans doute surtout quand ils sont juges. Les questions bien menées, parfois énigmatiques, souvent indirectes, cherchent à perturber mon talonneur. Une soirée d'après défaite –contre le Racing en plus- des mots qu'un vrai rugbyman n'aurait jamais dû prononcer à l'égard d'un joueur humilié par l'échec de l'après-midi. Plus jeune, j'ai connu ça et parce que, plusieurs fois, je me suis mal conduit dans de semblables situations, j'ai tenu à accompagner mon joueur d'autant que je me sens aussi coupable que lui car ma préparation d'avant match n'a pas été tendre et je suis redevable auprès de lui. Son adversaire de la nuit est un solide gaillard. Il parait que, depuis un mois, les deux hommes sont inscrits dans la même salle de musculation et poussent les barres, côte à côte, sans s'adresser la parole. L'avocat de D.N est une vedette du barreau agenais, dans la lignée des grands du barreau dont Frédéric Pottecher baignait mon enfance. Pendant le temps d'une mi-temps de rugby, sans une note, il va réaliser une plaidoirie dantesque jouant avec les heures, les SMS, les bars, les verres, les certificats médicaux, les tricots, les provocs, les esquives, les coups…Mr E. M connaît parfaitement le monde du rugby, les deux premières mi-temps et les explosions de la troisième. Je n'excuse pas mon numéro 2 mais je le comprends. Je crois que cette affaire aurait pu se régler sans parvenir devant un tribunal. Je suis toujours soulagé : D.N pourra jouer demain. Il le fera très bien.

Samedi 24 mai

Retrouvailles avec Bernard Viviès, l'entraîneur des lignes arrières de l'équipe de France 2007. C'est moi qui ai eu la chance de l'avoir comme élève au lycée de Muret en 1969, tout comme un autre grand ouvreur Guy Laporte. Ils faisaient partie de cette colonie de Rieumois qui peuplait l'établissement scolaire de la sous-préfecture de la Haute-Garonne. Des fous de rugby qui profitaient de chaque récréation pour raconter le dernier match et préparer le futur. Je donnais un coup de main au professeur d'EPS – un ancien ailier de l'Etoile Gimontoise – pour entraîner l'équipe du lycée. Buteur à l'époque du Toulouse Université Club, je nourrissais un complexe d'infériorité par rapport à la longueur et à la précision des pieds de mes deux élèves et chaque fois qu'il me proposait un concours de tirs je prétextais une cuisse douloureuse pour m'abstenir. Dans notre discussion, je sens chez Bernard, un profond amour pour le SUA ; il a passé dix saisons ici, un titre gagné, un titre perdu sur ce tir au but manqué qu'il garde comme une blessure incicatrisable. Son frère Christian nous rejoint : 8 saisons à Armandie, un titre aussi, un retour à 28 ans au pays natal, Rieumes, pour affronter parfois brillamment un LSC que je dirigeais. Nous étions deux ennemis irréconciliables à l'époque : lui adepte du jeu à tout va et de cavalerie légère et moi, déjà, toujours, d'un pack de panzers. Bien sûr, il me rappelle ce match de play-down disputé à Samatan, dans le plus sec des mois de mai, où les attaquants, chaussés de moulés avaient trouvé un terrain transformé en marécage par nos pompiers priés de s'entraîner sur notre pelouse ! Nous passons des moments de fou rire. Bernard, un instant sérieux : "Toi, ici, quand j'ai su que tu venais, j'ai dit : …une question de culture."

Cinq essais contre Tarbes et une bonne alternance avants- ¾. Il faudra être plus constant devant Grenoble. Le toubib et un dirigeant du TPR, dans le couloir des vestiaires, me rejoignent : "Téléphone à Pierre, il va mal… " Notre Pierre, notre chêne de l'USAM, notre ange protecteur. Que les copains de l'époque se joignent à moi pour lui rendre hommage.

Ainsi donc le FCAG a tombé le Stade Français. Cette victoire à l'arraché, à la gersoise, m'inonde de joie. Mon peuple doit être fier ce soir ; il peut l'être. La cathédrale, la haute ville, D'Artagnan doivent resplendir. De mon côté, une pointe d'amertume : les Auscitains ont su gagner ce match qu'ils n'avaient besoin de remporter que pour l'Honneur. Il y a un an, jour pour jour, les Agenais, devant le même adversaire, n'avaient pas su se transcender suffisamment alors que leur place en TOP 14 était en jeu ! Je préfère quitter la salle de réception pour éviter toute remarque désobligeante…

Dimanche 27 mai

Invitation du Maire de Lacapelle-Biron –également médecin du SUA- pour la cérémonie commémorative de l'agression commise par des unités de la Das Reich, le 21 mai 1944. Encerclement de la bourgade, rassemblement immédiat sur la place de tous les hommes entre 16 et 60 ans ; 47 hommes de la commune, rejoints par une soixantaine d'autres raflés dans les villages voisins seront envoyés en Allemagne. La moitié n'en reviendra pas. Repas au milieu des associations de résistants, de déportés, d'enfants de déportés, etc.… Cérémonie sous une pluie diluvienne et retour difficile à cause des routes inondées. Malgré tout, j'ai passé une excellente journée à écouter récits et témoignages.

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