La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Retrouvez "Les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, plus seulement entraîneur du SUA, mais aussi manager de la Géorgie. Avec sa vision décalée de la Coupe du monde.

Vendredi 7 septembre :

Beaucoup de monde - je suis agréablement surpris - pour l'écran géant installé face à la tribune Ferrasse : saucisses et ventrèches fument, les frites reluisent, la bière foisonne. Dans les en-but, les joueurs du SUA jouent avec les enfants ; j'ai toujours pensé que les meilleures écoles de rugby étaient ces parties impromptues que les gamins inventaient pendant que les aînés disputaient à deux pas d'eux le match de l'après-midi, comme une volée de moineaux, les jeunes s'écartaient à chaque essai ou menace d'essai : applaudissements et leur jeu reprenait. Le professionnalisme "vigilant" a supprimé l'initiation et la joie.

Tout le monde - moi aussi - croit en la victoire bleue : tant pis si les Argentins nous ont battus à 4 reprises sur les 5 dernières confrontations - un point minuscule pour la victoire - et tant pis si, rédhibitoirement les Français ne sont jamais aussi fragiles que lorsqu'ils sont favoris : "dans 15 jours, nous serons à Berlin !".

Mi-temps aux petits fours, dans une loge très officielle. Présentation au Président du Conseil Général du Lot-et-Garonne... 17-9 mais je reste confiant. Malgré notre passivité, j'ai l'impression que les Pumas ont usé beaucoup de leur énergie et qu'ils n'ont pas creusé un écart suffisant. Côté coqs, il faut lutter davantage dans les rucks et s'efforcer de jouer debout ; certainement les consignes des citrons car un maul traverse le Stade de France... en vain ! 71', des regrets sur cette pénalité tentée par un buteur qui venait de rentrer et qui n'est plus un buteur !

Avant la fin, quelques spectateurs manquant de respect, se défilent et au coup de sifflet, c'est la débandade : les saucisses se recroquevillent, les pompes à bière se referment, les musiciens jouent dans le vide. La France du rugby part pour une nuit de migraine.

Samedi 8 septembre :

Deux journaux me racontent l'histoire de la lettre de Guy Môcquet, si chère à notre omniprésent Président, et me demandent mon avis sur le bien fondé d'une telle lecture, avant une rencontre. Cette lettre est terriblement émouvante. De là à dire que c'est à cause d'elle que les Argentins nous ont battus, c'est faire fi de la remarquable préparation stratégique et physique de nos vainqueurs, c'est oublier le rôle essentiel du Général Pichot... c'est aussi prendre nos internationaux, aux multiples sélections pour des gamins immatures. Par contre, il me semble que lire un tel chef-d'oeuvre à quelques heures d'un coup d'envoi est particulièrement maladroit d'autant plus que c'est Clément Poitreneaud, la "victime de la sélection", qui a été désigné comme lecteur : je devine les yeux mouillés de Clément, je devine l'émotion des amis de Clément ! Je me souviens qu'en 1970, lors d'un déplacement du TUC à Saint Junien, pour un match capital, Jean-Claude Baqué - entraîneur remarquable - Vice-Président maintenant de la FFR et Président de la FIRA - futur Président de la FFR ? - avait cru bon de nous faire visiter, le matin du match, Oradour sur Glane. Je n'oublierai jamais cette promenade terrible dans les rues dévastées, le dialogue avec une survivante. L'après-midi, à la mi-temps, le match était déjà perdu.

Dimanche 9 septembre :

Lionel Girardi a réalisé un montage remarquable sur France-Argentine afin d'informer nos amis Géorgiens : une trilogie, ruck, pick and go, up and under plus des montées - hors-jeu ? -h ultra rapides sur les demis. Leur second rideau n'est pas toujours bien fourni et ils paraissent fragiles sur les mauls. Côté coqs, quelles passivité dans le jeu au sol : excès de discipline dans ce domaine ? Peut-être aurait-il fallu s'adapter à l'arbitrage de M Spreadbury aveugle sur les plongeons et sur les mains trainardes.

Le château de Pizay qui nous héberge, à une heure de Lyon, est côté 4 étoiles : le paradis pour les Géorgiens qui se prélassent. Pour ma part, je crois que c'est la première fois de ma vie que je fréquente un établissement de pareil standing. A l'entrée, une plaque commémore l'exécution de 6 maquisards, le 15 août 1944. Je questionne le personnel... en vain ! Personne ne connaît l'histoire : une étoile en moins ?

La composition des Argentins vient d'être annoncée. Merab sait qu'il aura Hernandez comme vis-à-vis : "quel honneur", dit-il. Le bruit du forfait de Pichot nous parvient. Abu sourit quand je lui déclare : "Tu vois, il s'est "dégonflé" quand il a appris que c'était toi qui jouais".

Après le diner, le staff se réunit pour préparer les entraînements du lundi. Malkhay, le coach principal, ancien demi de mêlée, gloire sportive du temps de l'URSS m'aime bien - je le sais - et voudrait communiquer mais nous ne pouvons pas aligner deux mots communs !

George Tchumburidze traduit longuement, si longuement que nos yeux papillotent - ma chambre est un appartement !

Lundi 10 septembre :

Midi Olympique annonce 10 000 personnes aux entraînements des Blacks et des Australiens ! A Villefranche-sur-Saône, il y a 3 dirigeants et 1 journaliste ; pourtant nous n'avons pas exigé le huis clos ! Travail de la défense, du jeu au pied, un peu de mêlée - pas assez - quelques touches et beaucoup de mauls ; deux joueurs sont prévus pour le bel Hernandez.

Installations sportives remarquables : vastes vestiaires, salle de musculation fonctionnelle, terrain annexe en synthétique - Agen ? -. C'est un simple club de Fédérale 2, le club de Besarion, notre numéro 8 de demain, une belle boule d'1m80 et 105 kilos, toujours souriant sauf lors des séances supplémentaires de préparation physique mijotées par Nicolas Foulquier.

En soirée, départ pour l'entraînement du capitaine, à Gerland ; horaire 20h30, impossibilité de le changer ; 1 heure ½ de route ; retour prévu vers 23 heures pour diner ; coucher minuit : les petites nations ne sont pas privilégiées !

Pourtant, 4 motards nous ouvrent le passage, à grands renforts de sirènes : une expédition présidentielle ! Euphorisant sauf pour les autres usagers de l'autoroute qui paniquent devant un tel déploiement, derrière le bus, deux membres du GIGN qui nous suivent en permanence : je ne me suis jamais senti aussi en sécurité sauf que les Géorgiens n'ont pas de carte d'accréditation pour moi et que je suis obligé de m'inscrire dans la clandestinité ; me voilà dans le registre des faux papiers, brun, moustachu, quadragénaire. A peine l'entraînement débuté, je suis reconnu et prié de vider les lieux ; un sourire, un peu d'humour et je peux terminer ma fonction sur Gerland. Par contre, demain, il faudra suivre le car dans une voiture particulière, rester dans les tribunes, interdiction de tunnel, de vestiaires, de terrain... Nos deux agents de liaison Stéphane et Frédéric ont pourtant tout tenté. Des clins d'oeil avec le second, fils d'un copain de St Cyprien, accent bien toulousain qui ne me parle que de "recording day... briefing, training, captain's run... welcome ceremony...". Parle-moi français !

Mardi 11 septembre :

C'est vrai, nous avons peur du cataclysme, du tampon à l'italienne : rencontrer les vainqueurs des Français. Réveil musculaire dans le bosquet qui longe le château ; marche dans les vignes, au milieu des raisins murs (quelle tentation !) ; quelques étirements autour de Nicolas ; cercle des joueurs : ils vont se parler ? Non, ils répètent l'hymne national : émotion.

Vers 15 heures, séance prévue de strap, comme dans les grands clubs français. Laurence est la kiné, la 4ème compatriote, belle fille d'Arras, super caractère et super compétente et super mignonne - mais oui, on peut trouver des femmes qui réunissent ces 3 qualités. Vers 16 heures, je la questionne : "tu as eu beaucoup de clients ?

- Deux et très vite".

Les Lelos sont des rudes ; je pense à mes Agenais qui remplissent l'infirmerie d'Armandie pour le moindre bobo !

A l'entretien, le Vice-Président raconte une histoire qui les captive ; j'apprends qu'il s'agit de la victoire remportée au XIIème siècle, par leur roi David contre l'envahisseur musulman Salah-Ed-Din (Saladin) malgré une large infériorité numérique et des pronostics, là-aussi, défavorables.

Sur le tableau blanc de la salle de réunion, j'ai écrit une citation d'H. de Montherlant : "Quand il n'y aurait qu'une chance sur mille de trouver l'aventure au coin de la rue, il faudrait aller au coin de la rue". J'ai l'honneur de remettre les maillots aux 22 sélectionnés ; je suis très ému ; je me sens proche de ces garçons qui vont se lancer dans un combat inégal et je me souviens du Lombez-Samatan. Club, mon pays de rugby, quand nous allions défier Béziers, Brive, Narbonne... le Stade Toulousain !

Vendredi 14 septembre :

Hôtel Mercure de Mérignac. Personnel rôdé à l'accueil d'une équipe de rugby. Entraînement sur le stade municipal : ce stade a connu Simon, Seigne, Laussuq, Ph. Berbizier... mais la formation actuelle se retrouve en division d'honneur ; on dégringole vite en rugby. Installations, ici aussi, remarquables. Pour garde du corps, j'ai André Berthozat, ce type qui dans les annés 90, terrifiait les premières lignes françaises ; il est extraordinaire de gentillesse, de disponibilité, d'humour et dégage cette force tranquille que Serge Simon, Vincent Moscato et Bernard Laporte recherchaient.

Les coachs Géorgiens ont transformé l'équipe du mardi. Apparaissent des joueurs de Bastia, Nantes, Blois, Nice, Montluçon... L'Irlande présente l'équipe type. Je questionne les deux centres David et Malthaz : "Quels sont vos vis-à-vis ?". Ils citent O'Driscoll et ignorent D'Arcy ! Tant mieux !

A l'entraînement, encore et toujours la défense sur les largeurs, le jeu près des rucks, la mêlée au joug car nous n'avons plus deux premières lignes complètes.

Longue séance vidéo préparée par Lionel. Sur la dernière mêlée géorgienne, à 5 mètres de nos buts, Merab se décale au lieu de rester dans l'axe pour dégager : contre, nouvelle mêlée à 5 mètres, introduction puma et 4ème essai pour l'Argentine. J'interpelle mon 10 : "Que voulais-tu faire ?

- attaquer :" Colère à la Henry.

"Crois-tu que vous allez marquer un essai de 100 mètres à l'Argentine ? Crois-tu que vous allez marquer un essai de 100 mètres à l'Irlande ?"

L'ouvreur baisse la tête et comme je sais son moral en berne après quelques critiques - les ouvreurs battus sont toujours critiqués - je détends l'atmosphère : "Tenez, si vous marquez, un essai de 100 mètres contre l'Irlande, je vous donne ma voiture, ma carte bleue, ma femme et ma maison !" Rires.

Captain's Run à Chaban Delmas : tunnel éternel ; sur la pelouse, un blanc-bec, mal poli, vérifie mon accréditation du jour avec l'agressivité que lui autorise son superbe polo de responsable : "Qui vous a donné ce carton ?" J'ai deux grands amis, vous savez, de ceux qui portent les boucliers et les bouteilles d'eau, de ceux qui tracent, bottes aux pieds, les lignes, le dimanche matin. Ils font partie du comité d'organisation... Je vais quand même pas les dénoncer ! Je réponds : "Sarkozy" ; comme "godasses cirées" n'apprécie pas alors j'ajoute "et Bernard Laporte!".

Samedi 15 septembre :

Sur le tableau blanc j'ai inscrit la citation d'un poète Géorgien du XIIème siècle, Roustalavi, l'écrivain le plus célèbre du pays d'après Ilya : "Ce que tu donnes, reste tien. Ce que tu gardes, tu le perds". Je me souviens d'une promenade auprès de Michel Crauste ; le "mongol" m'avait dit : "ce que tu gardes, pourrit... ce que tu donnes, fleurit..."...

La 3ème mi-temps est longue au Mercure ; les Géorgiens ont demandé à faire la fête. Il y a longtemps que je n'ai bu autant de bières. Dans le petit jour, un groupe m'apostrophe : "Henry, sur l'envoi de Shkinin, tu as eu chaud : 80 mètres plus un détour de 10 mètres dans l'en-but&hellipon était pas loin !"

Dimanche 16 septembre :

Mi-temps de France - Namibie près de la Baïse. La vieille dame de 88 ans me dit : "Je vais me coucher : c'est pas intéressant le rugby quand le score est disproportionné ; toi aussi, tu devrais aller te reposer".

Mardi 25 septembre, dans le stade déserté par Guy Roux, nous jouerons notre finale de la Coupe du Monde contre la Namibie !

Dimanche 30 septembre, au Vélodrome de Marseille, nous rencontrerons l'Equipe de France. A la mi-temps, la vieille dame partira-t-elle au lit ?

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