Chazal : "Il faut une révolution"

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Professeur des universités, neurochirurgien et doyen honoraire de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand, Jean Chazal a été écarté début juillet des travaux de réflexion médicale de la FFR et la LNR. Il dit payer un discours de vérité, parfois anxiogène sur l’état de santé des joueurs. "Ils m’ont dit : il faut que tu te taises." Chazal fait tout l’inverse.

Rugbyrama : Le 2 juillet, on apprenait votre éviction de l’Observatoire médical du rugby. Comment cela vous a-t-il été signifié ?

Jean Chazal :Cela débute le 27 juin. J’avais écrit une lettre à Bernard Dusfour (président de la commission médicale de la LNR) en m’étonnant de la réticence de la Ligue à venir participer à un symposium international sur les commotions cérébrales et le retour au jeu, qui se tiendra à Clermont-Ferrrand les 9 et 10 novembre 2018. Le rugby, sa Ligue et sa Fédération, en première ligne sur le sujet, hésitent à venir ? C’est grotesque ! Dusfour a simplement fait savoir : "Nous ne voulons pas participer à une "tribune Chazal". Et je n’ai jamais eu de réponse officielle.

Ensuite ?

J.C. : Il m’a finalement téléphoné le 29 juin pour me dire, en substance : "On ne souhaite plus que tu viennes et que tu participes à nos réunions. C’est l’avis général, celui de la fédé et de la Ligue. Il faut désormais que tu te taises." Je m’occupe de neurotraumatologie depuis quarante-deux ans. C’est ma spécialité et celle du pôle de Clermont-Ferrand. J’ai opéré de nombreuses personnes sur ces pathologies, j’ai soigné entre 3 000 et 4 000 traumatisés crâniens. Je pensais pouvoir apporter une voix intéressante. Ils en ont jugé autrement.

Concrètement, ils vous reprochent de trop parler…

J.C. : Oui, clairement. Je parle trop ou alors, je parle vrai, quitte à dire des choses qui dérangent.

Lesquelles ?

J.C. : La Ligue et la Fédération n’ont pas encore pris les mesures suffisantes pour faire cesser la violence extrême du rugby. Ce discours ne leur plaît pas parce qu’il peut inquiéter des mamans et des papas, dont les enfants ont envie de faire du rugby. Ses dirigeants craignent une baisse du nombre de licenciés. Pourtant, il va bien falloir prendre les choses en mains et regarder la vérité en face : dans sa construction actuelle, la pratique du rugby n’est pas adaptée à un gamin de 15 ans, en plein développement ostéo-ligamentaire et cérébral. Cela présente trop de dangers. Ce n’est pas raisonnable.

Ces commissions, observatoire ou grenelle ont-ils une activité réelle, ou n’est-ce qu’une façade ?

J.C. : Bien sûr que ce n’est qu’une façade ! On va me répondre, après cette interview : "Les médias veulent du sensationnel et Chazal veut faire parler de lui." La vérité, c’est qu’en créant un grenelle ou un observatoire médical, on se donne surtout bonne conscience. C’est de la communication, clairement. Et quand des experts du sujet, dont je fais partie, veulent approfondir, on les vire ! Quand j’écris à Bernard Laporte sur ces sujets préoccupants, il ne prend même pas la peine de répondre. Peut-être que le président de la Fédération ne lit pas ses mails… À partir de là, comment penser que ces réunions ne sont pas une façade ?

Tout de même, ces réunions et ces échanges existent…

J.C. : Qu’est-il ressorti d’une année complète de réunions sur le sujet, à la Ligue ou à la Fédération ? Rien ! Si ce n’est le carton bleu, qui est une mesurette. Mais en disant cela, je mets ces gens en danger. Ils tiennent aujourd’hui les manettes du rugby. Si on leur supprime cela, ils ne sont plus rien. Ils protègent donc leur pré carré et évincent ceux qui sont en contradiction.

Quelles sont les blessures graves que vous avez eues à traiter ?

J.C. : J’ai eu à traiter le cas de Wesley Fofana, récemment. Sa lésion était extrêmement rare. Il s’en opère une par an de ce type, en France. Son diagnostic induisait un risque sérieux de tétraplégie, voire de mort. Je l’ai arrêté, je l’ai mis dans du coton et je l’ai opéré. Croyez-moi, j’ai serré les fesses, car on touchait une zone éminemment fonctionnelle ! C’était une intervention d’une extrême difficulté, qu’il fallait faire de façon minimale invasive pour qu’il puisse rejouer. Nous y sommes parvenus mais son cas était grave et Wesley l’a bien compris. Il a bien mesuré la part du risque. Autre cas, qui est passé plus inaperçu : Damien Chouly. Quand je l’ai opéré, il souffrait d’une paralysie totale de la main. Ensuite, j’entends des mecs dire : "Chouly, il n’a pas encore repris" ou "Chouly, il ne s’envoie plus comme avant". Mais je le comprends ! Il a 32 ans, il se remet d’une lésion très grave. Son entourage s’est questionné sur le fait qu’il revienne sur les terrains. Je les comprends aussi.

Ces cas sont-ils toujours liés à des commotions cérébrales ?

J.C. : Les traumatismes peuvent être multiples. La commotion, on sait ce que c’est : un choc direct ou indirect avec sidération du cerveau et des neurones. À la suite d’un choc direct, qui répond aux mêmes mécanismes que la commotion, il peut aussi y avoir un enfoncement de la boîte crânienne et particulièrement du massif facial, comme on l’a vu dans le cas de Rémy Grosso récemment. J’ai aussi eu à traiter un espoir de Clermont pour un diagnostic similaire. Ces traumatismes étaient la résultante de coups d’épaule au visage. Pour dire les choses clairement : on constate, sur ces cas, des dégâts équivalents à ceux causés par une balle de golf reçue à 150 km/h, en plein visage. C’est d’autant plus impressionnant que, dans les deux cas, les enfoncements étaient localisés sur l’arcade sourcilière, qui est un des piliers du massif facial et qui est normalement extrêmement résistante.

Les joueurs sont-ils trop spectateurs de ce débat sanitaire ?

J.C. : Les joueurs auront un rôle à jouer. Regardez le sport automobile : en Formule 1, il y avait énormément de morts. Un jour, à la demande des pilotes, on a renforcé les normes de sécurité sur les circuits et dans les voitures. Aujourd’hui, il n’y a plus de morts.

À votre échelle, que préconisez-vous ?

J.C. : Je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans… comme dit la chanson. Avant, il y avait deux groupes : les avants et les arrières, qui se rencontraient peu sur le terrain. Il y avait peu de collisions entre joueurs de calibres très éloignés. Aujourd’hui, quand Michalak est obligé de stopper Nadolo, cela pose un problème de santé.

On ne peut tout de même pas interdire à Nemani Nadolo de jouer au rugby…

J.C. : Nadolo, parlons-en. C’est un homme augmenté. Pourquoi ? La nutrition apporte une réponse. On sait que, sur ces îles, ils consomment dès le plus jeune âge beaucoup de plantes tropicales riches en saponine, donc un stéroïde, qui stimule la testostérone dans des proportions très importantes. On aboutit à un homme qui pèse 130 kilos, mesure 1,97 mètres et court le 100 mètres en 12 secondes. C’est un extraterrestre ! Si on lui met en face un mec de 80 ou 90 kilos, celui-ci prend un risque terrible !

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