New York : le grand saut rugbystique

  • Le vestiaire du Rugby United New York
    Le vestiaire du Rugby United New York
  • Entraînement du Rugby United New York
    Entraînement du Rugby United New York
  • Le stade de baseball utilisé par le Rugby United New York
    Le stade de baseball utilisé par le Rugby United New York
  • Stade New York
    Stade New York
  • Match du Rugby United New York
    Match du Rugby United New York
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INTERNATIONAL - Il y a près d'un mois, Midi-Olympique a pu pendant une semaine vivre aux côtés des joueurs de la franchise Rugby United New York, la future formation de Mathieu Bastareaud.

Au loin, il y a Manhattan. Ses buildings, tous plus hauts les uns que les autres. La nuit tombée, ils s’éclairent et offrent une autre perspective depuis Randall’s Island. C’est ici, sur cette petite île plantée sur l’East River, qu’a élu domicile Rugby United New York, première équipe professionnelle de rugby au cœur de "Big Apple". Le décor n’a rien du rêve américain. La pelouse synthétique a subi les frimas de l’hiver et du temps. Un volumineux bloc de glace est encore présent à l’entrée du complexe, rappelant que, quelques jours plus tôt, la ville était recouverte de neige.

Le froid est toujours saisissant en cette fin d’hiver, ce qui n’empêche pas les joueurs de Mike Tolkin, l’entraîneur de cette nouvelle équipe, de se changer dehors, les bancs métalliques de la minuscule tribune faisant office de vestiaire. Bienvenue à l’Icahn Stadium, petit complexe sportif surplombé par le viaduc autoroutier qui relie Randall’s Island à Manhattan. Depuis longtemps, le rugby de club américain rêve de se développer et de se professionnaliser. Se faire une place au pays de la NBA et du foot US n’est pas simple. Par le passé, plusieurs projets se sont révélés être des échecs. La Major League de Rugby voit finalement le jour avec sept équipes dès la première saison, en 2018. New York ne pouvait pas rester sur le pas de la porte. James Kennedy, entrepreneur dans le BTP d’origine irlandaise, est approché par les responsables de la "League".

Sa passion pour le rugby l’avait déjà poussé à étudier un projet précédent : Pro Rugby. En vain. "Pas sérieux", assène-t-il, assis à son bureau situé en bas de la mythique avenue de Broadway, juste en face de Wall Street. La MLR le convainc d’avantage. "Les chiffres étaient bons, les bases saines, dit-il. Et puis, je suis venu en France (à La Rochelle, Montpellier et au Stade français) pour étudier la façon dont étaient structurés les clubs. Je suis aussi allé au Munster, à Glasgow. J’ai beaucoup appris et j’ai compris que c’était possible".

Entraînement du Rugby United New York
Entraînement du Rugby United New York

En novembre 2017, il s’engage et verse 576 000 dollars (505 000 euros) pour intégrer la MLR quand les premières équipes n’ont payé que 80 000 (70 000 euros). "L’an prochain, les suivants paieront 1,5 million de dollars (1,3 million d’euros) car les responsables estiment que les premiers ont pris des risques et ont investi." À New York, le rugby n’est rien. Tout est à construire. "Il n’y a ni structure, ni histoire, juge l’ancien arrière du XV d’Angleterre (34 sélections) Ben Foden qui s’est engagé dans l’aventure pour deux ans (lire par ailleurs). Ici, tout le monde apprend, c’est ce qui est excitant. Moi, j’apprends, le comptable apprend, le mec du marketing apprend, le coach aussi. On veut réussir. Pas à pas, on y arrivera."

"Quand je vois les joueurs prendre le métro pour aller au match, le bus pour aller s’entraîner, se changer dehors, je trouve ça énorme, s’enthousiasme James Kennedy. Je savais que ce serait difficile de trouver un stade, des terrains, un centre d’entraînement. Le point noir, c’est le prix de la terre." New York, l’espace manque cruellement. Un club de quartier a même élu domicile sur le toit d’un building pour s’entraîner…

Avec Pierre Arnald, un ancien du Stade français

Mais, James Kennedy aime bâtir, c’est son premier métier. Très vite, il est rejoint par Pierre Arnald, ancien directeur général du Stade français, époque Thomas Savare. Ce Français, dingue de rugby (lire par ailleurs), investit un million d’euros. "Des investisseurs auraient pu venir avec des millions de dollars mais sans expertise, juge Kennedy. Lui, il a moins de dollars, mais il a de l’expertise. Pour moi, c’est intéressant." Arnald sera officiellement dans quelques semaines le Directeur Général de Rugby United New York. Lui aussi a senti que ce c’était le bon moment pour investir dans le rugby new-yorkais.

À ce jour, 54 clubs amateurs sont recensés dans l’état de NY. Trente collèges et 169 écoles possèdent des sections rugby, ce qui représente 35 000 jeunes joueurs. Ce jeudi 14 mars, veille du premier match de rugby professionnel à New York, les lycéens du "Xavier College", première école à avoir créé en 1976 une équipe de rugby aux Etats-Unis, s’entraînent sur les bords de l’Hudson, à l’ombre d’Hudson Yards, plus grand complexe immobilier de Manhattan après feu le World Trade Center. Ils sont une quarantaine sur un bout de pelouse synthétique dédiée au soccer.

Le stade de baseball utilisé par le Rugby United New York
Le stade de baseball utilisé par le Rugby United New York

"Nous avons 43 ans d’expérience, annonce fièrement Andrew Gheraldi, le directeur de la performance. Cette année, 150 élèves sont inscrits dans le programme rugby. Et désormais, grâce à l’arrivée d’une équipe professionnelle, cette génération de gamins a enfin une perspective d’avenir dans ce sport." " Mon rêve, c’est désormais de devenir professionnel pour Runy, annonce d’ailleurs Damian Morley, jeune New-Yorkais né sur Manhattan et ayant découvert le rugby au lycée français. J’aimerais même pouvoir aller jouer en France plus tard."

Mais c’est quoi ce ballon ?

Derrière les grillages du "Chelsea Waterside Athletic Field", des curieux s’arrêtent pour regarder ce sport encore méconnu de l’autre côté de l’Atlantique. "C’est de moins en moins fréquent, jure tout de même Henri Ross-Pelat, 17 ans joueur du Varsity A, l’équipe première du Xavier College. Avant dans la rue, on me demandait toujours : "Mais c’est quoi ce ballon". Aujourd’hui, c’est fini. Le rugby s’est vraiment développé ces cinq dernières années". Dans cette école jésuite, le programme est dense : cinq séances d’entraînement par semaine dont deux de musculation. "Et nous faisons aussi de la vidéo, annonce Greg Norris, l’entraîneur en chef venu d’Afrique du Sud. Il y a onze ans quand je suis arrivé, les gamins n’avaient pas toujours les bonnes attitudes dans le jeu. Mais avec la médiatisation du rugby, ils peuvent regarder tous les matchs européens ou de l’hémisphère Sud. Ça leur a permis de grandement progresser."

Et d’ajouter fièrement : "Même s’il nous manque encore la dimension physique, nous avons mis beaucoup de choses en place pour faire progresser les joueurs. Je ne suis pas sûr que dans les écoles sud-africaines, les jeunes aient la qualité technique de mes garçons." Dans la ville qui ne dort jamais, le potentiel humain s’affiche en taille XXL. James Kennedy en est convaincu. Avant de débuter la saison officielle en janvier dernier, Runy a organisé plusieurs matchs exhibition, le premier, "C’était au Gaelic Park dans le Bronx, raconte fièrement le proprio. Nous avons fait 4 000 spectateurs dans un stade de 2 000 places et nous avons vendu 40 000 bières. Et en plus, on a écrasé Boston 50 à 0. C’était parfait pour démarrer."

Stade New York
Stade New York

Il ajoute : "Pour cette rencontre, on a fait évoluer des joueurs locaux des clubs de New York." Ensuite, il a fallu recruter. D’abord, un manager général. James English, ancien joueur de rugby à XIII dont l’épouse travaille à Manhattan, est engagé. "Lui, contrairement à moi, sourit Kennedy en ajustant son tee-shirt signé Runy, il parle bien, est bien habillé. Il est grand, il est anglais. Il est parfait pour ce poste."

Pour les joueurs, l’Irlandais fait jouer son réseau. "J’ai appelé mes potes Shane Horgan, Jerry Flannery ou encore Alex Corbisero et puis on a recruté des joueurs américains en s’appuyant sur les universités et les collèges. C’est important pour nous. Je considère que c’est aussi mon devoir d’aider au développement de l’équipe américaine. Je ne voulais pas d’une équipe d’expatriés." Quelques Irlandais comme Cathal Marsh, doublure de Sexton au Leinster, débarque tout de même. "C’est un challenge excitant, explique le joueur de 26 ans. Je n’avais pas envie d’aller jouer dans un club de Pro D2 en France." Pour lui, comme pour les autres, l’argent n’est pas une motivation. Ici, Salary Cap oblige (510 000 dollars soit 447 000 euros), les joueurs ne perçoivent au maximum que 35 000 dollars (30 000 euros) sur huit mois.

Une date historique

Sur le plan des infrastructures, le club élit domicile au siège de MKG, la société de construction de James Kennedy. Un partenariat avec une salle de musculation et de crossfit, située dans l’Upper West Side, est signé. Mais Kennedy n’en oublie pas le business. Dans ses bureaux traînent de nombreux cartons remplis de produits dérivés. "Mon ex-femme est designer de mode, souligne-t-il. New York est une marque qui permet de vendre du merchandising. Je me suis persuadé que je vendrai plus que n’importe quelle équipe dans le monde parce que c’est New York. Et je savais aussi que les joueurs viendraient plus facilement à New York et pour moins cher car, encore une fois, c’est New York." La ville qui fait fantasmer.

Vendredi 15 mars, 2019. L’histoire retiendra que c’est ce jour-là que le premier match de rugby d’une équipe professionnelle s’est joué à New York. Pour l’événement, Runy a choisi d’évoluer au MCU Park, situé à Coney Island, dans le "borough" de Brooklyn. Une enceinte dédiée habituellement aux "Brooklyn Cyclones", équipe de baseball en ligue mineure.

Match du Rugby United New York
Match du Rugby United New York

Le terrain de rugby n’y a donc rien d’académique… "On va investir dans un stade quatre à cinq millions de dollars, mais on doit faire le bon choix, estime Kennedy. 7 000 personnes dans le MCU Park, c’est parfait pour débuter. Regarde, le Stade français a un stade de 20 000 places, mais il est trop grand. Regarde encore le soccer à New York, le club de Red Bull, ça fait dix ans qu’il est là, il n’a pas de stade. Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question d’espace disponible. Ils jouent donc au stade des Yankees pour des loyers énormes. Red bull paie un million de dollars par match plus des commissions. Soyons donc patients, si la MLR grandi, on verra…"

Ils étaient 3000

Pour accueillir Toronto, ils étaient presque 3 000 dans les tribunes du MCU Park. Une satisfaction pour James Kennedy qui ne manque pas d’idées pour séduire le plus grand nombre de fans. Un exemple ? Il veut organiser un match avec deux équipes "gay" en levée de rideau. "La communauté homosexuelle est grande à New-York, dit-il. Mais on veut rassembler tout le monde autour de ce projet." Son enthousiasme déborde. Profiter de la plage située à portée de drop du MCU Park pour organiser des tournois de beach-rugby, des barbecues, des journées pour les enfants, c’est aussi sa volonté.

Sur le terrain, ses joueurs font "le job" comme il dit. Jusqu’à ce vendredi 15 mars, Runy n’avait perdu qu’un seul match depuis le début de la saison. Et l’histoire retiendra que pour cette première rencontre de l’ère professionnelle au cœur de "Big Apple", Rugby United New York a battu Toronto. C’est peut-être ça le rêve américain…

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