Vitamine B12, dopage, maladies rares: l'étrange omerta des Springboks...

  • Joost Van Der Westhuizen  - afrique du sud - 2011
    Joost Van Der Westhuizen - afrique du sud - 2011
  • Kobus WIESE - afrique du sud nouvelle zélande - 24 juin 1995
    Kobus WIESE - afrique du sud nouvelle zélande - 24 juin 1995
Publié le Mis à jour
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Un mort, certains paralysés: les suspicions de dopage sont grandissantes chez les champions du monde 95. Eux gardent le silence. Pour que le mythe reste intact.

De la Coupe du monde 1995 remportée par les Springboks, les livres d’Histoire auront gardé cette image de la "Rainbow nation", une Afrique du Sud enfin débarrassée de l’Apartheid et deux hommes érigés en symbole: Nelson Mandela et François Pienaar. Le premier ayant oeuvré pour la cause des noirs dans son pays, le second ayant été le premier capitaine sud-africain à soulever la Coupe du monde. Pourtant, aujourd’hui, ce beau tableau, mis en scène par Clint Eastwood dans le film "Invictus", semble cacher une part d’ombre qui fait froid dans le dos. Et une question se pose: cette génération de joueurs a-t-elle été sacrifiée au profit de la quête du titre suprême ?

Je ne peux même plus les prendre dans mes bras. C’est difficile... Mais à part cela, je suis très heureux

Le 27 janvier 2010, le troisième ligne aile, Ruben Kruger (36 sélections), auteur de l’essai victorieux des siens en demi-finale contre les Bleus, décédait d’une tumeur au cerveau... à 39 ans. En juillet 2011, nouveau coup de tonnerre: Joost van der Westuizen, demi de mêlée mythique de cette équipe, annonçait être atteint du syndrome de Charcot, maladie neurologique incurable qui s’attaque aux fonctions du langage, aux muscles respiratoires et à la moelle épinière.

Dimanche, le magazine Stade 2 a diffusé une enquête "Springboks jusqu’au bout". On y retrouve entre autres Van der Westhuizen (43 ans, 89 sélections), obligé de se déplacer en fauteuil roulant et qui peine à articuler en guise d’introduction "Je vais très bien, merci...". A le voir ainsi affaibli, lui ce génial numéro neuf, provocateur à souhait sur les terrains du temps de sa superbe, on a presque l’estomac noué. Et celui-ci de confier: "Je me suis aperçu que quelque chose n’allait pas, je ne savais pas ce que c’était. Je ne peux plus jouer avec mes enfants. Et en plus, je ne peux même plus les prendre dans mes bras. C’est difficile... Mais à part cela, je suis très heureux".

On ne m’a jamais proposé de produit interdit de ma vie. Je ne fume même pas

Une mauvais sort s’abattrait donc sur les Boks ? Le reportage quitte alors Johannesbourg pour Le Cap, lieu de résidence de Tinus Linee (44 ans), international durant la même période. Lui aussi est atteint de cette "maladie qui touche 4 à 8 personnes sur 100 000". Cloué dans un fauteuil, son état est plus avancé puisqu’il est en incapacité de parler. C’est Diana, sa femme qui doit répondre pour lui. Elle ne croit pas au mauvais oeil: "Je ne pense pas que ce soit une malédiction mais si vous voulez mon avis, je pense que ça a un rapport avec le rugby". Et il existe encore une autre victime de ces années pourtant si réjouissantes pour les Springboks: André Venter (43 ans, 66 sélections). Troisième ligne de son état, il est touché depuis 2006 par la "myélite transverse, une inflammation de la moelle épinière qui touche une personne sur un million". Chaque matin, il stimule les muscles de ses jambes avec l’espoir de marcher à nouveau un jour.

Pourtant, ne parlez pas de dopage à ces joueurs, ils nieront. Kruger avance: "On ne m’a jamais proposé de produit interdit de ma vie. Je ne fume même pas". Van der Westhuizen confie sur son état actuel: "Je n’en connais pas la cause, personne ne sait". A ce jour, les spécialistes privilégient trois hypothèses pour expliquer ces maladies développées par les anciennes gloires du rugby sud-africain: les chocs violents, les pesticides sur les pelouses ou le dopage.

Il n’y avait rien d’illégal, c’était des vitamines. Mais plus tard, elles sont devenues interdites alors on a tout arrêté.

Dans son autobiographie, François Pienaar (47 ans, 29 sélections) confie avoir pris des pilules à l’époque de la Coupe du monde. Interrogé durant le reportage, il précise: "Il n’y avait rien d’illégal, c’était des vitamines. Mais plus tard, elles sont devenues interdites alors on a tout arrêté". Également questionné à propos des traitements reçus par les Boks, Kobus Wiese (49 ans, 18 sélections), massif deuxième ligne, livre le même discours: "Quand François parle de pilules, ce n’est rien de plus que des vitamines B12 ou ce genre de choses. Je n’ai jamais été controlé positif, ça ne pouvait être rien d’autre. On restait dans les limites, on faisait des piqûres de B12, des trucs pour les blessures. On était souvent contrôlé mais aucun d’entre nous n’a jamais été positif".

Or, justement, au cours de l’enquête, Nicolas Geay, journaliste à France Télévisions, et son équipe se sont intéressés à cette vitamine. "D’un point de vue scientifique, il n’y a pas de lien entre la sclérose latérale amyotrophique et le dopage mais nous devions poser la question et se poser celle d’une éventuelle prise d’EPO des Springboks. A ce sujet, les chercheurs français sont en train de travailler sur des nouveaux moyens de détection de l’EPO et leur conclusion numéro un, c’est qu’à chaque fois qu’on en prend, la substance qui l’accompagne, c’est la fameuse vitamine B12 pour en augmenter les effets. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont pris de l’EPO mais c’est important de le rappeler".

Kobus WIESE - afrique du sud nouvelle zélande - 24 juin 1995
Kobus WIESE - afrique du sud nouvelle zélande - 24 juin 1995
Pour moi, ce n’est pas du dopage, peut-être plus de l’empoisonnement

Consultant pour France Télévisions et invité sur le plateau de Stade 2 dimanche, l’ancien demi de mêlée, Fabien Galthié, a parlé de son expérience lors de son passage en Afrique du Sud (au sein de la Western Force) juste avant et juste après la Coupe du monde 1995. Dans un livre à paraître "Retour intérieur", écrit en collaboration avec Mathieu Lartot, il raconte un passage troublant: "On vient de se réveiller et le doc tape à la porte. Il crie: 'Vitamines, vitamines !'. Il entre dans la chambre, Smit s’allonge à plat ventre sur le lit, et le doc lui fait une piqûre dans les fesses. Il me propose la même chose, je refuse. Je fais le lien aussi avec le match perdu en 1997 au Parc des Princes. Ce jour-là, ils sont plus puissants, plus forts. Ils font tout plus vite que nous. On prend une raclée, 52-10. Après le match, on m’a dit que, dans leur équipe, 14 joueurs avaient des autorisations de traitement pour l’asthme. Ils étaient tous sous Ventoline ! Alors certes, on s’était fait laminer, mais par une équipe sous traitement !".

Et de conclure: "Quand on vous dit ‘est-ce que tu veux prendre de la vitamine, tu seras plus en forme’, il n’y a pas le mot dopage. Le médecin est là pour te soigner, pour t’apporter ce dont tu avais besoin et on ne savait pas du tout ce qu’il y avait dedans. Eux ne le savaient pas. Pour moi, ce n’est pas du dopage, peut-être plus de l’empoisonnement. […] Je me pose la question: est-ce que les médecins savaient ce qu’ils nous donnaient, est-ce qu’ils savaient ce qu’ils donnaient aux joueurs ? Car vitamine, ça ne veut absolument rien dire".

Pour revoir l'intégralité du reportage ici

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