Boudjellal et le monde du rugby : "On m'a fait payer le fait de ne pas être du sérail"

  • Mourad Boudjellal, une relation tumultueuse avec le monde du rugby.
    Mourad Boudjellal, une relation tumultueuse avec le monde du rugby.
  • Mourad Boudjellal President - Toulon
    Mourad Boudjellal President - Toulon
  • Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti avant la finale du Top 14 2016 au Camp Nou.
    Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti avant la finale du Top 14 2016 au Camp Nou.
  • Mourad Boudjellal et Bernard Laporte.
    Mourad Boudjellal et Bernard Laporte.
  • Mourad Boudjellal - J'en savais trop. Mourad Boudjellal - J'en savais trop.
    Mourad Boudjellal - J'en savais trop.
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GRAND ENTRETIEN (2/2) – Deuxième partie de notre entretien avec Mourad Boudjellal. Après le RCT, il revient cette fois sur ses relations tumultueuses et compliquées avec le milieu du rugby, évoque certains de ses pairs présidents et Bernard Laporte, sa rencontre la plus marquante. Et il le jure : il ne reviendra jamais dans le rugby.

De Patrice Collazo, votre dernier entraîneur, vous dites "Il a besoin de faire la guerre à tout le monde, peut-être est-ce son moteur". N'est-ce pas une phrase que vous pourriez appliquer à vous-même ?

Mourad BOUDJELLAL : Je pense qu'il est pire que moi. Je lui ai dit, "Patrice, tu fais des guerres sans arrêt". Il me semble qu'il perd beaucoup d'énergie là où ce n'est pas nécessaire. Moi, j'ai peut-être un peu changé. J'ai attrapé le 5 juin une maladie qui s'appelle la soixantaine, qui arrive à des gens très bien. Elle m'a peut-être apporté un peu de sagesse. Je pense que j'ai fait des guerres parce qu'elles étaient nécessaires. Si je ne les avais pas menées, il y a beaucoup de choses qui n'auraient pas changé dans le rugby. Je n'ai pas pu aller au bout de certaines et c'est bien dommage pour le rugby.

Mais vous avez quand même semblé en conflit permanent avec le milieu du rugby pendant 14 ans...

M.B. : J'ai été suspendu trente jours pour avoir été sur le banc. Aujourd'hui, tous les présidents le sont. Même celui qui m'a suspendu, Pierre-Yves Revol. J'ai été suspendu un mois, je crois, pour avoir mis une pub sur le cul des shorts. Tous les clubs le font aujourd'hui. Je dois avoir une dizaine de règlements qui ont été mis en place à la suite d'actions mises en place au RCT. Après j'ai été suspendu 120 jours pour avoir dit "sodomie arbitrale" (1). Suite à ça, il y a eu un grand débat sur l'arbitrage. Les arbitres ont été augmentés, on a eu plus d'arbitres professionnels. Il faut quand même savoir qu'avant cette sodomie arbitrale, les arbitres n'avaient pas de frais d'hôtels. Ça veut dire qu'on pouvait avoir un arbitre qui venait à Toulon et qui après avoir arbitré, rentrait chez lui après quatre-cinq heures de bagnole à trois heures du matin. Ce que les gens oublient, dans cette histoire de sodomie arbitrale, c'est toute la réflexion qui a été posée sur l'amateurisme de l'arbitrage et les améliorations qui ont suivi.

(1) En 2012, après une défaite contre Clermont, Mourad Boudjellal s'en prend à l'arbitre, Christophe Berdos, avec cette tirade devenue célèbre : "Ce qui est chiant, c’est que les arbitres font toujours pencher la balance. J’ai connu ma première sodomie arbitrale en demi-finale du Top 14 contre Clermont (en 2010, ndlr), ce soir je viens d’en connaître une seconde et je n’aime pas ça".

Votre fameuse sortie sur la sodomie arbitrale est un très bon exemple. Il y a le fond et la forme. Cette forme-là était-elle nécessaire pour faire parler du fond ? Et ne l'a-t-elle pas parfois éclipsé, paradoxalement ?

M.B. : Les mots ne sont jamais vulgaires. Seules les idées le sont. L'important, c'est de voir quelles idées véhiculent les mots. Goebbels, ce n'est pas ma référence historique, mais il a dit des choses horribles avec des mots choisis et très polis. Coluche, lui, a dit des mots très vulgaires, mais le fond ne l'était pas. Donc les idées ne sont jamais vulgaires. Peut-être que le rugby ne l'avait pas compris. Moi j'ai trouvé beaucoup plus vulgaire l'emploi du mot quota dans le rugby. Chaque fois qu'il a été utilisé dans l'histoire, il a eu un côté nauséabond. Plus que mes expressions à moi. Je viens de gagner contre l'EPCR qui m'accusait d'homophobie parce que j'avais dit que "pédé" était une insulte-réflexe. Si j'écoute ces gens-là, quand Renaud chante "Petit pédé", il est homophobe. Alors que la chanson est magnifique.

Tout est sans doute, aussi, affaire de circonstance. Quand vous lancez cette formule sur la sodomie arbitrale, il y a une part de provocation. Vous savez ce que vous faites, non ?

M.B. : Non. Ce qui m'avait le plus choqué, c'était la demi-finale contre Clermont à Saint-Etienne, où il y a un arbitre qui accepte un essai qui n'est pas valable. Il n'y a même pas de débat. Et derrière on ne dit rien. L'arbitre ne vient pas s'excuser. On est dans le couloir, l'arbitre nous passe devant, même pas un mot d'excuse, rien. On est en demi-finale du Top 14. Est-ce qu'il connaît les conséquences morales et économiques pour le club ? Pour moi, ça, c'était vulgaire. J'aurais juste voulu qu'on me dise : "Voilà, c'était une connerie de ma part, je suis désolé, ce n'était pas volontaire."

Votre relation avec les arbitres a-t-elle changé après cet épisode ?

M.B. : En tout cas, comme par hasard, on voit des arbitres qui viennent s'excuser aujourd'hui. Un an après cette histoire, j'ai un arbitre qui est venu me voir en me disant : "M.Boudjellal, je voulais vous dire que ce soir, je vous ai arbitré comme un cochon. Je suis passé à côté de mon match, il n'y a rien de volontaire." Ça fait plaisir. Jamais je n'ai dit un mot sur cet arbitre. Les arbitres veulent être acteurs, ils doivent assumer leurs responsabilités. Ils ont le droit de faire des mauvais matches. Mais ils ont aussi le devoir de le dire. Quand les mecs font ce qu'ils veulent et qu'ils ne s'excusent jamais, forcément, on devient paranos. Et c'était le cas. Maintenant, ça a changé.

Mourad Boudjellal President - Toulon
Mourad Boudjellal President - Toulon

Vous ne regrettez donc pas cette phrase ?

M.B. : Il a fallu en passer par là. Beaucoup de gens ont retenu "Sodomie arbitrale". Mais ça a été un tel choc dans ce vieux monde du rugby que ça a beaucoup bougé derrière.

Je l'ai souvent dit : Karl Marx en a rêvé, le rugby l'a fait

Selon vous, pourquoi a-t-il été aussi difficile de vous faire accepter dans ce milieu ? Est-ce dû à vos origines ? A votre façon de présider ? De faire ? De parler ?

M.B. : C'est d'avoir dit aux gens que j'avais compris qu'ils avaient construit un micro-monde dans lequel ils faisaient ce qu'ils voulaient, au détriment de toute équité. Et ça, je l'ai compris très vite et je l'ai dénoncé. Alors ils ont cru qu'ils pourraient me faire rentrer dans leur micro-monde pour me faire taire. Mais il n'en était pas question.

D'où vos multiples "croisades" ?

M.B. : J'ai mené beaucoup de combats. Par exemple, je me suis battu pendant des années pour avoir les comptes de la LNR. Je n'ai jamais réussi à les avoir. Ça m'intéressait de savoir comment était dépensé ou dilapidé l'argent des clubs. Je me suis battu pour comprendre comment fonctionnait l'arbitrage. Certains étaient influencés. Je me suis battu, il n'y a pas si longtemps, contre l'article 9 (sur la mise à disposition des internationaux). Personne n'est venu avec moi à l'époque. Aujourd'hui, ils attaquent tous là-dessus. J'ai attaqué le salary cap et les JIFF à Bruxelles. J'ai attaqué tous azimuts et on me l'a fait payer. On m'a fait payer le fait de ne pas être du sérail et de ne pas vouloir me fondre dans le moule, cette école Karakillo (Jean-Pierre Karaquillo, président de la section Salary Cap de la Ligue), NDLR, qui gère une partie du rugby français, voire du sport français, avec cette philosophie qui consiste à dire que l'argent est sale et abime le sport.

Ce que vous dénoncez comme une philosophie communiste...

M.B. : Je l'ai souvent dit : Karl Marx en a rêvé, le rugby l'a fait.

Ce milieu a quand même fini par vous accepter puisque vous avez été élu au Comité directeur de la Ligue en 2017. A la façon dont vous l'évoquez dans votre livre, on sent que cette reconnaissance vous a touché. Que vous êtes-vous dit à ce moment-là ? "Enfin !" ?

M.B. : Je sors de la campagne de Macron. J'étais à Bercy pour le meeting quinze jours avant. Macron vient d'être élu. Ce qui a fait la différence, c'est que certains se sont dit "Tiens, ça peut être pas mal d'avoir au Comité directeur un mec qui connait bien le Président".

C'était juste ça, vraiment ?

M.B. : Non, bien sûr. C'est aussi le fait que je devenais un vieux président, que j'avais la Pro D2 avec moi et plus suffisamment d'ennemis dans le Top 14 pour ne pas être élu. J'avais bien préparé ma campagne aussi et j'avais mis en avant le fait que Toulon n'avait jamais été représenté au Comité directeur ce qui était quand même une anomalie. Il fallait la rectifier.

Lorenzetti, j'ai adoré l'affronter

Vous étiez aussi un président-star, vous vous mettiez beaucoup en avant. Pourquoi ?

M.B. : C'était un subterfuge, pour qu'on foute la paix à mes joueurs. Je me disais tant qu'on s'occupe de moi, on laisse mes joueurs en paix et ils peuvent préparer leur finale, leur demi-finale... J'étais Guignol, pour pas qu'on embête mes joueurs.

Avant vous, un autre président, Max Guazzini, avait secoué aussi ce milieu, dans un registre différent. Quels étaient vos rapports avec lui ?

M.B. : On est très différents mais on est très proches. J'ai été son premier soutien quand il s'est présenté à la Ligue. J'ai un respect énorme pour Max Guazzini. Ce n'est pas un mec monoculture. Il a une culture générale extraordinaire, il a eu une vie extraordinaire. Puis il avait une vision du rugby. Il a fait avancer les choses de façon incroyable. Il a changé l'image du rugbyman. On est passé du rugbyman Paparemborde, que je respecte, au rugbyman athlète parfait. On a cru que c'était un phénomène de mode au début, avoir un beau calendrier, mais ça allait bien au-delà. Derrière le côté fantasque, fêtes et tout, il a changé le rugby, Max.

Il y a un autre président parisien, celui du Racing, Jacky Lorenzetti, avec lequel vous avez beaucoup ferraillé. Ça n'a pas toujours été tendre entre vous, mais vous donnez quand même le sentiment d'avoir du respect pour lui.

M.B. : J'ai d'abord le respect de l'entrepreneur. Il a fait des trucs incroyables. Il faut respecter ça. Il a passé les 70 ans et il a encore une vision à très long terme. Il ne s'arrête jamais. Je suis admiratif de ça. Après, c'est le patron du rugby français. De façon indirecte, il dirige le rugby professionnel de façon indirecte. Moi je le savais, d'autre non. Mais on n'était pas logés à la même enseigne. Donc on était forcément en conflit. Il a un côté chevalier blanc que je n'ai pas. Mais j'ai adoré l'affronter. Je l'ai beaucoup battu au début, moins à la fin.

Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti avant la finale du Top 14 2016 au Camp Nou.
Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti avant la finale du Top 14 2016 au Camp Nou.

De ce monde du rugby que vous quittez, garderez-vous des relations, avec d'anciens confrères présidents par exemple ?

M.B. : Je n'ai plus de relations dans le monde de l'édition et je n'en garderai pas dans le rugby. Les seules que je conserve, ce sont quelques journalistes avec qui je bosse, et Bernard Laporte. On se voit en dehors, en Corse. Pour le reste, quand les choses sont finies, ça ne sert à rien de s'y attarder. Ce qui m'intéresse, c'est demain.

Laporte va passer autant de temps avec un passant qu'avec un ministre

Bernard Laporte, cela restera votre rencontre la plus forte dans le rugby ?

M.B. Ça va au-delà. Quand je l'ai signé, Bernard n'avait pas une bonne image. J'étais un peu méfiant. Au bout d'un an, je me suis demandé pourquoi il avait cette image. Quand on le côtoie au quotidien, il est très différent de l'image que beaucoup donnent de lui. Je lis parfois des commentaires sur lui, je me dis "Ce n'est pas Bernard Laporte, ça." Ce que j'aime chez lui, c'est qu'il peut parler à n'importe qui sans se soucier de son rang. Il va passer autant de temps avec un passant qu'avec un ministre. Il s'intéresse aux gens, pas à leur statut.

Vous prenez sa défense dans votre livre dans "L'affaire Altrad"...

M.B. : Bernard Laporte a un grand défaut : il a une confiance aveugle dans les gens. Et comme il n'est pas tordu, il a pu se faire avoir parfois, c'est clair et on a pu lui faire porter le chapeau, alors qu'il faisait simplement confiance aux gens. On a bossé cinq ans ensemble. S'il avait fait des trucs tordus, je l'aurais su. On avait une telle relation de confiance qu'il aurait pu me proposer des trucs. Il ne l'a jamais fait. Jamais. Jamais. Jamais. J'en tire mes conclusions.

Quel genre d'entraîneur était-il ?

M.B. : Humainement, il avait un management incroyable. C'est le plus dur que j'ai eu mais aussi celui qui donnait le plus d'amour. Quand il était en colère, c'était particulier. Il est un peu frappé, et moi j'aime les mecs un peu frappés. Les lendemains de défaite, à la vidéo, les mecs arrivaient tôt, et pas pour avoir les places devant mais pour bien se mettre au fond. Mais il les voyait.

Mourad Boudjellal et Bernard Laporte.
Mourad Boudjellal et Bernard Laporte.

Et comme président de la FFR, quel regard portez-vous sur son travail ?

M.B. : Je pense qu'il a fait un boulot exceptionnel. On aura la Coupe du monde en 2023. Il a réveillé l'équipe de France. Il a aidé énormément le rugby amateur. Puis personne ne peut dire qu'il ne connaît pas le rugby. C'est peut-être notre problème d'ailleurs. Pour la première fois, on a un président de la fédé qui connaît peut-être mieux le rugby que les entraîneurs.

Vous souhaitez aller dans le football désormais. Mais imaginons que dans trois ans, dans cinq ans, le RCT soit en difficulté. Un retour de Mourad Boudjellal au club serait-il envisageable ?

M.B. : Le jour où vous refaites ce que vous avez fait, c'est que vous êtes mort. Et je n'ai pas encore envie de mourir. Je n'ai pas envie d'essayer de revivre des émotions. Je veux en vivre de nouvelles. Le sentiment de jeunesse après lequel on court tous, c'est la quête de joies et d'émotions inconnues. Dans le rugby, je connais toutes les émotions. Donc, non, je ne retournerai jamais au rugby. Jamais.

Mourad Boudjellal - J'en savais trop.
Mourad Boudjellal - J'en savais trop.
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