Baky écrit : Mal-être, dépression... Parlons-en !

Par Rugbyrama
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BAKY ÉCRIT - Dans sa chronique hebdomadaire, notre chroniqueur Bakary Meïté évoque l'interview qu'a donnée Paul Alo-Emile dans Midi Olympique. Pour l'ancien troisième ligne, qui a côtoyé le Parisien, il faut se saisir au plus vite du sujet de la dépression dans le rugby de haut niveau.

Lorsque que j’ai lu l’interview de Paul Alo-Emile dans les colonnes de Midi Olympique, la stupéfaction fut ma première réaction. Ensuite je me suis senti nul. Bête. Impuissant. Honteux même de ne pas avoir su pour sa dépression. Paul est un ami. L’un de ceux qui ont rendu ma saison parisienne moins amère. On est resté en bons termes et on échange régulièrement sur les réseaux sociaux. Du moins on échangeait. Car Paul s’était fait rare ces derniers temps. Sans même que je ne m’en aperçoive. La matrice et les algorithmes l’ont happé et remplacé aussitôt.

Cependant, le voir disparaître des compositions d’équipes ne m’a pas plus mis en garde quant à un éventuel mal-être. Je me suis simplement dit qu’il payait des contre-performances ou qu’il était blessé. L’infographie de Canal + le plaçait bien parmi les blessés de club parisien lors des matchs. J’étais pourtant loin d’imaginer qu’il n’était pas dans un protocole de réathlétisation, et que la blessure était bien plus profonde.

Cette interview m’a aussi interpellé et m’a fait me poser pas mal de questions. La plus cruciale étant : avais-je déjà moi-même traversé un épisode de dépression ?

Je me demandais aussi : combien de gens autour de moi était dans un état semblable à celui de "Paulie" ? Mutique ou sans signe avant-coureur ? Je ne saurais y répondre.

Sans trahir de secret, j’ai discuté avec un jeune joueur professionnel en échec actuellement dans son club. Il m’a confié jouer avec un pistolet sur la tempe. Comme pour mieux imager son cri d’alerte, il avait joint le geste à la parole. Morigéné qu’il était par son entraîneur. Je suis resté interdit.

La parole sur le sujet reste confidentielle. Et les clubs auraient tout intérêt à se soucier de la santé mentale de leurs joueurs comme ils le font pour leur santé physique. Le surmenage dans le sport n’est pas une vue de l’esprit. Et ne pas croire que les quatre semaines de congés obligatoires à l’intersaison sont rebouteurs de tous les maux. Et comme le dit Paulie dans son interview : le suivi psychologique lui a été d’un grand secours. Il lui a été offert l’opportunité de parler. Sans être jugé. L’importance de ce point n’est pas à négliger. Où sont les espaces de parole dans une pratique sportive professionnelle ? Je parle de vrais espaces, pas du débrief du match de la veille.

Paul Alo-Emile (Stade français)
Paul Alo-Emile (Stade français)

Par définition la pratique sportive est soumise au jugement permanent. Qu’il soit laudateur ou acerbe. Ce qui était l’apanage du journaliste sportif est devenu accessible à tout un chacun. On laisse sa petite trace numérique. On se hâte de condamner. On juge sans flagrance, s’imaginant que nos propos sont sans conséquence. Et que cela fait partie du jeu.

Pourtant la charge mentale d’un sportif ne devrait pas être alourdie par les quolibets des suiveurs. Certains journalistes sportifs, se rendant compte que l’outrance fait recette n’ont pas hésité à rejoindre la frange des supporters hargneux et corrosifs.

Zion Williamson, joueur NBA des plus prometteurs depuis plus d’une décennie, l’expliquait très bien lors d’une interview. Les railleries allaient bon train sur ses blessures et son surpoids sur les réseaux sociaux. Si bien que les questions des journalistes ne tournaient plus qu’autour de ce "topic". Ses performances sportives passant au second plan. Ce qui le plongea peu à peu dans un spleen dont il eut beaucoup de mal à se défaire.

Il y a peu de temps, Sbu Nkosi, l’ailier Springbok champion du monde, avait disparu sans donner de nouvelles pendant plusieurs semaines. Il avait voulu se soustraire à la "pression mentale" qu’il subissait en tant que joueur de rugby professionnel. Pris en charge par son père, il a décidé de donner la priorité à l’homme qu’il est avant le rugbyman qu’il était et qu’il sera sans doute à nouveau. Rien n’est moins sûr.

Sans doute est-il là, le nœud du problème. Dans la façon dont nous envisageons nos sportifs. Les élevant au rang de surhomme lorsqu’ils nous émerveillent et banalisent l’incroyable. Et les mettant plus bas que terre lorsque les standards établis arbitrairement ne sont pas atteints.

Au sortir de Movember, il apparaît encore plus évident que le mal-être d’un sportif, aussi bien payé et adulé soit-il doit être pris au sérieux. Chacun a un rôle à jouer. Le suicide évoqué par Paul Alo-Emile fait froid dans le dos.

Nous n’avions pas su entendre la détresse du regretté Jordan Michallet. Ouvrons les yeux et tendons l’oreille, pour apprécier les performances, mais aussi pour voir et entendre l’inaudible et l’invisible.

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