Baky écrit - La banalisation du KO : "la sortie d’un joueur sur une civière me glace le sang"

Par Rugbyrama
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BAKY ÉCRIT - Quelques jours après l'impressionnant K.-O. De l'Italien Negri sur la pelouse de Rome, notre chronique Bakary Meite élargit la question : le rugby en fait-il suffisamment sur la question des commotions cérébrales ? Il appelle à une prise de conscience : "Que le législateur prenne des mesures fortes, quitte à être taxé de dénaturer le sport."

Dimanche, Ellis Genge, le pilier Anglais a fait preuve d’un sang-froid incroyable au moment de venir en aide à un adversaire, Sebastian Negri. L’ironie du sort veut que ce soit ce même Genge qui, sur un plaquage, ait provoqué une commotion cérébrale au joueur italien. Il faut dire qu'il avait bien été aidé par son compère, le troisième ligne Nick Isiekwe. Mais quand il s’est agi de secourir Negri, c’est bien Genge qui fut le plus prompt.

Il raconte avoir vu le joueur transalpin s’étouffer. Il a tout de suite su que c’était grave. Il a fait signe aux soigneurs qui sont arrivés vite. Et pendant que Ben Youngs égalait le record de Justin Leonard avec une 114e apparition sous le maillot XV de la rose en pénétrant sur la pelouse, Genge, lui, s’enquérait de la santé de Negri.

La classe. Et surtout le calme et la réactivité sont à saluer ici. Genge a eu le bon réflexe en faisant basculer le joueur en position latérale de sécurité. Oui, car avant d’être un mot à la mode, "PLS" est une manœuvre qui peut s’avérer salvatrice. Ce fut probablement le cas pour l’italien.

Seulement voilà. C’est bien de ça qu’il s’agit. Negri aurait pu perdre la vie sur la pelouse du Stadio Olimpico.

Son en-avant sur l’impact qui pousse l’arbitre à interrompre le jeu, combiné au ressort de Genge ont donné une fin bien plus heureuse. Il serait évacué sur une civière après que les soigneurs lui aient prodigué les seconds soins. Les premiers ayant été l’œuvre du pilier anglais.

Voilà ce qu’on retient de cette histoire. Une happy end qui a réjoui les amateurs si prompts à brandir la médaille du mérite pour ce sport qui n’en est pourtant pas toujours digne.

Néanmoins, sans vouloir jouer les alarmistes de pacotille, l’information principale n’est pas qu’un joueur en a sauvé un autre. C'est plutôt qu’un joueur a failli y rester.

Voir un joueur inerte, étendu sur une pelouse, provoque au mieux le questionnement. Il a quoi ?! Genou? Cheville? Cervicales ? Ah non, il est K.-O.

Pas une seule journée de Top 14 et/ou de Pro D2 ne se déroule sans son carrousel de joueurs titubant remplacés par un autre

Les commotions cérébrales sont en passe d’être banalisées dans notre sport. Aujourd’hui le protocole commotion est devenu un juge de paix bien trop clément. L’immédiateté de son verdict (les 15 minutes allouées pour satisfaire à un test avant de revenir sur le terrain) revêt maintenant la même importance que l’homme en chemise blanche et nœud papillon impeccable qui agite ses doigts devant un boxeur hagard. Pourtant, la sortie d’un joueur sur une civière me glace le sang. Encore plus quand cela fait suite à une perte de connaissance.

Le malaise cardiaque du footballeur Christian Eriksen, pendant l'Euro l’an passé, avait provoqué l’effroi dans le stade et surtout auprès de ses partenaires et adversaires. Les circonstances étaient bien évidemment différentes et extrêmement rares dans le football et dans le sport en général. Fort heureusement. Mais la vue d’un corps inanimé sur un terrain de sport ne devrait pas devenir quelque chose d’habituel. Et si l’objectif dans les sports de combat, comme la boxe ou le MMA, est de gagner en faisant si possible bouger le cerveau de son opposant dans sa boîte crânienne, l’objectif du sport qui nous concerne reste de marquer plus de points que l’équipe adverse.

S’il faut appeler le plus commun des félidés par son nom vernaculaire, la commotion cérébrale, le K.-O., c’est n’est ni plus ni moins que le cerveau qui bouge dans son logement.

Pas une seule journée de Top 14 et/ou de Pro D2 ne se déroule sans son carrousel de joueurs titubant remplacés par un autre, fringant et avide de temps de jeu. Tout cela s’imprime dans la rétine comme situation normale.

J’ai pleinement conscience qu’il y a eu une avancée considérable de faite quant à la prise en charge des joueurs commotionnés. Le protocole éponyme a vu le jour. Un suivi a été mis en place. Cependant. C’est la normalisation de cet événement à laquelle je ne me fais pas. La prise en charge est réelle. Quand la prévention, elle, semble quasi inexistante.

L’entraînement peut être le terreau pour des expérimentations, à l’heure où les joueurs sont bardés de technologies embarquées. On parle de protège-dents connectés qui pourraient mesurer et enregistrer les chocs et notamment les mouvements du cerveau. Seulement, quand on sait que le protège-dents n’est pas obligatoire et que certains joueurs s’en passent allègrement, on se dit que le chemin est encore long.

Il faudra sans doute s’en remettre aux avancées techniques des équipements et que le législateur prenne des mesures fortes, quitte à être taxé de dénaturer le sport. Les règles ne sont pas gravées dans le marbre. Et elles devraient prendre le sillage de la courbe empruntée par le gabarit de poids et la puissance des joueurs. Pour que ce sport d’évitement le reste et que les victoires ne soient pas régulièrement à la Pyrrhus.

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