Baky écrit : Douce Fédérale...

Par Rugbyrama
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BAKY ÉCRIT - Retiré des terrains depuis l'été 2021, Bakary Meité profite de sa liberté retrouvée pour poser un regard libre, décalé et forcément engagé sur l’actualité du rugby, des belles histoires du monde amateur aux exigences du secteur professionnel. Ce mercredi, immersion dans le quotidien d'un joueur de Fédérale en proie à de grandes difficultés...

Je m’appelle Y. J’ai 25 ans et voici mon histoire. Je suis arrivé en France il y a 7 ans maintenant. J’ai intégré un centre de formation pour devenir rugbyman. Je jouais dans mon pays. Je suis même devenu international à 18 ans. Mais, d'où je viens, la France et son championnat sont des références mondiales.

Totalement livré à moi-même. Ne maîtrisant pas forcément bien la langue bien que je sois originaire d’une ancienne colonie française, j’ai rencontré beaucoup de difficultés. Oh j’ai bien croisé des éducateurs bienveillants. Je pense notamment à J.-P. qui a tout fait pour me trouver une porte de sortie quand, atteint par la limite d’âge et n’étant pas au niveau, le broyeur qu’est le centre de formation m’a charrié hors du rugby pro.

Alors comme beaucoup j’ai atterri en Fédérale. Le club qui m’accueille compte sur ma jeunesse, mon bagage technique, ma fougue et mon esprit revanchard. On me promet monts et merveilles. Qu’en réalisant de belles performances l’ascenseur qui mène vers les divisions supérieures n’attendra que moi. J’y crois. J’avale toutes ces belles paroles. On me propose un contrat bidon. Que je signe sans lire. L’agent que je n’ai jamais rencontré et qui m’a contacté sur Facebook m’assure que c’est le meilleur deal pour moi. Je le crois.

Je joue je m’aguerris mais je ne suis pas heureux et le club n’a pas de bons résultats. Les commentaires fusent. Je suis trop jeune. Je manque d’expérience. Le coach qui est censé m’aider à progresser n’en a que faire de ma progression. Il est sous pression. Sur un siège éjectable. Et le président a la gâchette facile. Alors mon bien-être…

Je joue blessé. Le médecin, qui s’écrase devant les anciens, fait le cador devant moi. Et relègue mes plaintes à des suppliques de diva. Et comme il a l’oreille du coach je suis sommé de jouer. Alors je joue parce qu’on me menace. On me menace de ne pas m’emmener à la préfecture pour le renouvellement de mon titre de séjour. Hors de question pour moi de retourner au pays la queue entre les jambes en ayant échoué. Plutôt mourir. Alors je joue.

La fin de saison approche. Il reste deux matchs à jouer. Fini les menaces. Le président me fait miroiter un contrat pour l’an prochain. Contrat qui sera augmenté de 50 €. Mais je dois jouer ce dernier match à domicile. Malgré ces douleurs qui m’irradient le dos. Je souffre mais je ne dis rien. Ces douleurs ne proviennent même pas du rugby. Elles viennent du fait que je dors dans ma voiture. Enfin ma voiture… La voiture que mon employeur a bien voulu me prêter. Non non pas le club. Mon employeur. Ah je ne vous l’ai pas dit : je travaille à côté. Je suis magasinier dans une superette. Je livre aux personnes âgées à leurs domiciles. Et mon patron a bien voulu que je garde la voiture pour faire les trajets domicile-lieu de travail. Ce n’est pas avec les 650 € que le club me paye que j’allais réussir à vivre. Mais bon, le président, grand seigneur, m’avait trouvé cette place de magasinier chez un ami.

Cela me permet de doubler mes émoluments. J’avais bien un appartement, mais le loyer qui représentait plus de la moitié de ce que je gagnais s’est vite transformé en épée de Damoclès qui n’a pas tardé à tomber. J’ai dû quitter les lieux, cédant aux menaces d’un bailleur qui arguait que la loi était de son côté. Et qu’on ne tarderait pas à me renvoyer manu militari d’où je venais.

J’ai récupéré le peu d’affaires que j’avais, direction la Renault Kangoo.

J’ai bien essayé d’alerter sur ma situation. On m’a répondu que beaucoup de joueurs de mon pays paieraient cher pour être à ma place. Alors je me suis tu.

Fin de saison, je suis sans doute une grosse alouette qui a cru dans les paroles d’un président bonimenteur. De nouveau contrat, il n’y aura point.

Mon agent invisible se manifeste. Il me propose peu ou prou le même contrat dans une autre équipe de fédérale. Je suis perdu mais j’accepte. Je veux retrouver le confort d’un lit. Je veux tenter ma chance à nouveau car je crois toujours en mes chances de devenir un jour professionnel… Et puis cette fois on me promet un titre de séjour long qui me donnera le temps de voir venir…

Deux saisons plus tard, ma situation n’a quasiment pas évolué… Et aujourd’hui je me suis résolu à rentrer chez moi. Je préfère rentrer chez moi sous les quolibets plutôt que de continuer à vivre dans l’indignité d’un rêve brisé…

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