"Cette fois, le racisme ne gagnera pas"

Par Rugbyrama
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Publié le Mis à jour
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BAKY ÉCRIT - Tout jeune retraité, Bakary Meité profite de sa liberté retrouvée pour intégrer l’équipe des chroniqueurs Midi Olympique. L’ancien troisième ligne a tout connu du rugby, d’abord amateur et finalement professionnel. Pour Rugbyrama, L’ancien international ivoirien va désormais s’attacher à poser un regard libre, décalé et forcément engagé sur l’actualité du rugby. Welcome "Baky".

Pour cette chronique inaugurale, j’aurais aimé vous parler de la reprise de la compétition par les joueurs au sortir d’une intersaison souvent trop courte, de la charge mentale, du besoin pour les athlètes de couper avec le rugby après une saison éprouvante.

De l’envie irrépressible pour certains d’aller visiter la Tanzanie et d’y goûter son fameux poulpe à la noix de coco ou encore d’aller crapahuter dans les rues escarpées de Positano, dans le sud de l’Italie.

Mais je n’en ferai rien. Car il faut dire que ce début de saison a été marqué par un événement tragique qui a eu lieu sur le terrain du stade Maurice David, à Aix-en-Provence.

Christian Ambadiang (Nevers) a fait l’amère expérience d’un racisme d’une violence inouïe alors qu’il pratiquait son métier et/ou sa passion. Insulté par un adversaire, ce dernier ayant reconnu les faits et présenté des excuses à la fin de la rencontre, il a décidé de parler. De raconter. Et c’est assez rare pour être souligné.

Il fera bien ce qu’il voudra demain. Mais qu’il sache que s’il souhaitait donner une suite judiciaire à cette sordide affaire, la loi est de son côté. Notre socle commun.

A l’heure où j’écris ces lignes, je ne connais pas l’identité du joueur qui a jugé bon de vouloir déstabiliser un adversaire en l’essentialisant de la sorte. Je vais me détourner de la vindicte populaire et de ceux qui vont hurler avec les loups en disant "le racisme c’est mal ".

D’autres tenteront d’expliquer que ce n’est pas du racisme. Que ça fait partie du folklore et que pour perturber l’adversaire, tous les mots sont permis. Même si ces derniers ne reflètent pas sa pensée. Ben oui, la preuve, il a des noirs dans son équipe…

Oui mais non. On ne fait pas appel à ce genre d’abjection innocemment.

Loin de moi l’idée de labelliser ce joueur avec l’étiquette "raciste". Néanmoins les mots qu’il a choisis l’ont été à cause d’un imaginaire collectif rétrograde, qui tend à faire passer celui qui a la peau un peu plus foncée pour un animal. C’est cela qu’il faut combattre.

En la matière les références culturels et cinématographiques sont malheureusement trop nombreuses. Et quand Christiane Taubira est grimée en singe on invoque le droit à la caricature…

Le combat doit commencer très tôt. L’éducation doit être une arme. Et surtout, il faut accorder le droit à la parole libre à toute personne qui se sentirait victime de racisme. Qu’elle ait le soin d’exprimer son mal-être en ne le frustrant pas avec la carte "humour", généreux fourre-tout pour les moins courageux d’entre nous...

Ce n’est pas seulement Christian Ambadiang qui a pris ce racisme en pleine face. C’est nous tous. Bons nombres d’entre nous se sont retrouvés groggys à la lecture de son témoignage sur Instagram et Rugbyrama. Pourtant, je l’ai trouvé calme, mesuré dans le choix de ses mots malgré le traumatisme. Car c’en est bel et bien un. Les propos racistes sont indélébiles. Ils vous marquent au fer rouge et se ravivent bien plus souvent qu’on ne le croit.

Que vous ayez 10 ans dans la cour de récréation ou sur un terrain de rugby, la déflagration est la même. Et rien ne vous y prépare. Vous essayez de comprendre les motivations de votre agresseur, vous vous remettez en question. Vous doutez. Je vous l’assure, il n’y a rien de simple. Ignorer ou faire abstraction est un vœu pieu.

Reste à savoir quelle réponse devons nous apporter à cet événement? Car au risque de me répéter, nous sommes tous concernés.

La crainte exprimée par Christian Ambadiang serait que cette histoire ne soit qu’un énième fait appelé à disparaître selon le flot de l’actualité, balayé par la prochaine journée de championnat et le futur doublé de Benoît Lazzarotto pour son retour à l’US Carcassonne.

Le spectre plane, de la poussière qu’on pousserait sous le tapis le regard tourné ailleurs, tant qu’à faire vers nos amis footballeurs qui, eux, ont un vrai problème de racisme (normal ils ont moins de valeurs).

Le rapport complet de l’arbitre et du délégué sont attendus. Leur responsabilité de relater les faits comme ils se sont déroulés est d’une importance capitale. Ensuite, la Commission de discipline de la Ligue devra s’appuyer sur ce rapport pour faire date. En s’appuyant sur le règlement qui n’est rien d’autre qu’une dilatation de notre socle commun.

Le club de Provence rugby a annoncé vouloir prendre des dispositions vis-à-vis du joueur incriminé. Là aussi, on attend. Aucune circonstance atténuante ne devra venir édulcorer la réponse apportée à cette affaire.

Être un joueur de rugby soumis à la pression d’un match ou d’un résultat ne serait constituer un blanc-seing pour ce genre de comportement. Au même titre qu’un passif vierge de toute incartade. Pas de barème. Prendre conscience de la gravité des faits en faisant fi d’un quelconque contexte.

Et si cette affaire a une résonance médiatique c’est parce que cela s’est produit lors d’une compétition professionnelle. Mais alors quid du niveau amateur? Là encore, l’attente est palpable. Tant par les victimes présumées que pour ceux qui pensent pouvoir agir en toute impunité dans ces eaux troubles.

À mon tour, j’ai parfois usé et abusé de mots bien sentis pour faire monter dans les tours mon adversaire. Mais là, le Rubicon a été franchi. Loin de moi l’idée de dire que c’est monnaie courante. Cependant c’est se fourvoyer que d’affirmer que cela n’existe pas à la manière d’un Noël Le Graet*

Je souhaite à Christian Ambadiang de marquer de nombreux essais et de faire chavirer le stade du Pré Fleuri à Nevers. Je lui souhaite surtout de se relever car il a été touché. Et je lui apporte un soutien sans réserve.

Je souhaite surtout que les dirigeants des instances du rugby français soient à la hauteur de la responsabilité qui les oblige.

Ce qu’il y’a de plus dangereux que le racisme c’est la négation de ce dernier.

"[…]Quand un black marque un but tout le stade est debout, le phénomène raciste dans le sport , et en particulier dans le football , n’existe pas ou peu "

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