Baky écrit - "Je m'asseyais toujours au milieu", petits histoires de sociologie du bus

Par Rugbyrama
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BAKY ÉCRIT - Tout jeune retraité, Bakary Meité profite de sa liberté retrouvée pour intégrer l’équipe des chroniqueurs Midi Olympique. L’ancien troisième ligne a tout connu du rugby, d’abord amateur et finalement professionnel. Pour Rugbyrama, l’ancien international ivoirien va désormais s’attacher à poser un regard libre, décalé et forcément engagé sur l’actualité du rugby. Welcome "Baky".

Quand on m’a demandé ce qui me manquera le moins dans le rugby, j’ai répondu sans sourciller : le bus. Comprenez les voyages en bus. Les déplacements. Un instant redouté tout au long de ma carrière. Un instant qui, s’il était mal vécu par moi, pouvait être un incubateur d’histoires, d’anecdotes et parfois même, de victoires ou de défaites. Eh oui, l’ambiance et les aléas du bus pouvaient devenir des actes fondateurs.

Chacun a ses petites habitudes et ses petites manies dans le bus. Moi, je voulais toujours avoir la même place. Plus par superstition que par habitude, je le confesse aujourd’hui. Je m’asseyais toujours au milieu du bus, rangée de gauche quand on regarde la route, siège de gauche. Le siège de droite étant réservé à mon sac à dos et tout ce qu’il contenait (ordinateur, tablette, snack, goûter…). En fin de carrière, j’ai pu tolérer qu’on vienne s’asseoir à côté de moi. Mais il fallait respecter une règle : ne m’adresser la parole qu’en cas d’extrême nécessité. Je pouvais m’adresser aux autres, mais, il fallait me laisser tranquille. Je m’isolais de mes compagnons de route par un bouquin, par la dernière série en vogue sur Netflix ou alors happé que j’étais par les méandres de Twitter.

Ça n’a pas toujours été le cas. A l’époque, jeune bizut, je m’asseyais là où il restait de la place et je me faisais le plus discret possible. C’était l’époque où l’on passait des films sur cassettes VHS, sur les deux télés que comportait le bus. Tout le monde regardait le même film. On a changé d’ère aujourd’hui et chacun a son dos voûté par son smartphone. Les joueurs de coinche sont en passe d’être supplantés par les joueurs de poker. Et les gros dormeurs s’en donnent à cœur joie, dans des bus toujours plus confortables.

Et si, comme je viens de l’évoquer, il y a plusieurs types de voyageurs, il y a aussi plusieurs zones dans un bus.

La zone avant, juste derrière le chauffeur, composée essentiellement de membres du staff. On se croirait dans un cyber-café. Là, ça joue du Power Point, ça affûte les stats des GPS, ça découpe de la vidéo. Parfois, on y trouve un joueur ou deux. En général, ceux qui se font laminer les intestins par le roulis du poids lourd. Toujours un sac en papier à proximité, en cas de dégobillage impromptu.

Jouxtant à ce district ultra connecté, la première zone de jeu. En règle générale, elle est réservée à la coinche, à la belote et au tarot. C’est un emplacement où règne un joyeux bazar. Au gré des doublettes et des couples qui se forment. Ça tape du carton sévère. Et la mauvaise foi est érigée en précepte.

On arrive au milieu du bus. Mon quartier autoproclamé. Une terre d’accueil pour les indécis, à condition qu’ils sachent se faire discret.

Derrière moi, on navigue dans les eaux internationales. En face de la deuxième porte du bus et de celle des toilettes. C’est à cet endroit qu’on peut capter différents idiomes. L’anglais, l’afrikaans, le fidjien, le géorgien… C’est un secteur où l’on aime se restaurer avec des spécialités bien de chez soi. Étant proche voisin, j’ai pu me délecter de certains mets venus d’ailleurs. Hum… le banana bread…

Nouvel arrondissement de jeu : celui du poker. Là, attention, il faut montrer patte blanche. N’entre pas qui veut. Surtout, on ne quitte pas la table comme on le souhaite. La liste des joueurs est définie à l’avance. Parfois, un membre du staff est là, en guest-star. Et son statut l’autorise à quelques fantaisies que personne ne saura lui faire remarquer. On éructe, on jubile, on rage et on crie. Parfois des badauds viennent jouer les spectateurs. Ce qui vient aussi perturber la quiétude du voisinage. La musique y a droit de citer, aussi. Par le truchement d’une enceinte surpuissante. Et gare à celui qui ne paierait pas ses dettes ! Son nom sera abandonné à la vindicte.

Le fond du bus. Enfin. Un territoire où règne la dictature du chef de la dernière rangée. Celui qui décide d’occuper de tout son long la dernière rangée du fond du bus. Sans que personne n’y trouve quoi que ce soit à redire. Autant vous dire que ce n’est pas le perdreau de l’année. Et que son comportement est en corrélation avec le poids qu’il a dans le vestiaire.

Bien évidemment, la subjectivité de ce descriptif n’est pas à préciser. Voilà l’archétype du bus qui sillonne les routes françaises avec, à bord, de joyeux drilles, qui veulent en découdre sur les terrains chaque week-end.

Ces moments, je me les remémore souvent lorsque je suis seul dans un train ou un avion. De là à dire que le bus me manque, c’est un pas que je ne franchirai pas.

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