Interview de légendes - Maso : "Il n’ y avait pas d’entraîneurs en 1968"

  • Tournoi des 6 Nations - Jo Maso, légende du Tournoi 1966 au sein du XV de France
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  • Les esthètes (1/4) : Jo Maso, le talent comme un fardeau
    Les esthètes (1/4) : Jo Maso, le talent comme un fardeau
Publié le Mis à jour
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TOURNOI DES 6 NATIONS 2022 - Retour avec Jo Maso sur le grand chelem 1968, le premier du genre, une aventure baroque vécue par une équipe bouleversée à mi-parcours et qui n’avait même pas d’entraîneur.

Ce premier grand chelem de 1968, quel souvenir vous a-t-il laissé ?

Mon impression, c’est que nous étions totalement libérés. Pour le dernier match, nous étions arrivés le mercredi ou le jeudi à Porthcawl, dans la banlieue de Cardiff et je me souviens qu’il n’y avait pas tellement de médiatisation. Bien moins qu’aujourd’hui évidemment. La télévision n’était pas en permanence à nos trousses. À cette époque, les journalistes entraient dans les vestiaires tranquillement, et jouaient même à toucher avec nous.

La performance a marqué les esprits, évidemment, mais on a coutume de dire qu’il y avait un côté un peu baroque à cette aventure, non ?

Oui, il s’est passé beaucoup de choses. Personnellement, je n’ai joué que le premier et le dernier match. D’abord je m’étais blessé pour le deuxième rendez-vous puis, entre temps, il y avait eu un match amical entre le XV de France et la sélection du Sud-Est (en marge des Jeux Olympiques d’Hiver de Grenoble, N.D.L.R.). La sélection régionale avait gagné et l’équipe de France avait été totalement remodelée. Les frères Cambérabéro avait été rappelés, ainsi que Noble, Greffe, Plantefol entre autres, ce qui a fait qu’en tout, seulement quatre joueurs ont disputé tous les matchs et 27 joueurs ont participé à l’aventure, à une époque où il n’y avait pas de remplaçants.

On a l’impression que ce grand chelem n’avait rien de très attendu...

Non, d’abord les matchs ont été très serrés, rappelez-vous que l’essai ne valait que trois points.

Non seulement les matchs étaient serrés, mais vous avez vraiment failli perdre contre l’Ecosse, l’Angleterre et l’Irlande qui n’avaient pas eu de chance contre la France. La presse était-elle sévère avec vous ?

Non, les journalistes étaient au soutien de l’équipe comme il n’y avait jamais eu de grand chelem, tout le monde espérait ce carton plein. Nous n’avions pas de pression particulière, nous n’étions pas hyper contractés. Beaucoup de joueurs avaient peu de sélections, ils avaient une forme d’insouciance. Nous ne nous sentions pas favoris face au pays de Galles, même si cette équipe galloise n'était pas encore ce qu’elle allait devenir dans les années qui suivraient. Elle était en reconstruction.

Les esthètes (1/4) : Jo Maso, le talent comme un fardeau
Les esthètes (1/4) : Jo Maso, le talent comme un fardeau

Parlez-nous de Christian Carrère, votre capitaine et troisième ligne…

C’était un joueur complet, un chasseur d’ouvreur fantastique en défense mais il était aussi très bon au ballon. C’était notre meneur, il parlait beaucoup avant les matchs, il était toujours très positif. On le suivait, c’était un leader charismatique.

Quels étaient les autres joueurs qui tiraient l’équipe vers le haut ?

Walter Spanghéro bien sûr. C’était le meneur par l’exemple. Il mettait la tête là où les autres ne mettaient pas les mains. Un gars comme Elie Cester donnait aussi confiance aux autres. C’était une poutre maîtresse.

Et qu'amenaient les frères Cambérabéro ?

Ils étaient complets, ils étaient d’abord très complémentaires. Lilian avait une passe de 25 mètres qui mettait son frère Guy dans les meilleures conditions pour taper ou donner. Mais ils avaient la maîtrise du jeu au pied. En Écosse, alors que le vent soufflait très fort, ils avaient été prépondérants. Ils l’avaient eu aussi à Cardiff où il pleuvait. Guy avait une régularité précieuse dans le jeu au pied, jusqu’à 40 mètres, c’était aussi un dropeur hors-pair. Je me suis régalé de jouer avec lui. Mais en 1968, on parlait d’eux parce qu’ils étaient les antithèses de l’école lourdaise, incarnée par Jean Gachassin qui était plus instinctif. C’était un débat.

Que faut-il penser de vos associations au centre avec Jean Trillo, puis avec Claude Dourthe ?

J’étais clairement proche de Jean Trillo dans ma façon de jouer, on disait que nous étions les jumeaux de l’attaque. J’ai joué le premier match avec lui et j’ai joué le dernier match avec Claude Dourthe. Il n’avait pas le même style, il était plus raide, il fallait que je le calme. Il était très jeune n’oubliez pas, il avait débuté en sélection à 17 ans et demi. Il voulait toujours monter très vite pour casser l’adversaire.

Et quid de Claude Lacaze, l’arrière ?

Très beau joueur, lui représentait vraiment l’école lourdaise. Pas une faute de goût, il savait cadrer. Les gars formés à Lourdes avaient l’art du cadrage. Ils ne se sentaient pas obligés d’aller sur l’adversaire pour l’éliminer, il pouvait le faire de loin en faisant semblant de revenir à l’intérieur, pour faire "cadrer" le défenseur et l’éliminer sur la passe.

Mais quand même, ce contexte qui faisait que les sélectionneurs pouvaient changer d’un coup la moitié de l’équipe… Ce contexte qui voyait des tendances s’affronter au sein du comité de sélection… N'était-ce pas difficile à vivre ?

C’était très énervant, c’est sûr. Le seul truc, c’était que quand on était viré, on se disait qu’on ne le serait pas à vie. Et puis, il y avait les tournées, je me disais que j’avais ma chance car je pouvais jouer ouvreur ou centre.

Ce grand chelem, il est aussi resté célèbre par la java qui a suivi...

Oui, on a demandé à Roger Lerou (figure mythique, plus ou moins mangeur du XV de France) si on pouvait rester à Paris un jour de plus. Les joueurs mariés sont revenus le lundi chez eux, les célibataires sont restés davantage, pendant deux jours nous avons été invités par dessus, chez Castel au Sunny Side. On ne payait nulle part, il y avait trois ou quatre restaurants où nous étions chez nous. C’était le rugby de l’époque, la troisième mi-temps se fêtait vraiment.

N’aviez-vous pas peur des journalistes indiscrets ?

Non, les journalistes, ils étaient avec nous.

Le plus incroyable pour les jeunes générations, c’est qu’il n’y avait pas d’entraîneur de cette équipe...

Non, c’est vrai. Jean Prat, premier "vrai" entraîneur du XV de France avait été écarté par le pouvoir fédéral, alors il y avait autour de nous des gens qui avaient été de grands joueurs, Henri Fourès, Fernand Cazenave, Michel Celaya. Ils étaient censés être entraîneurs, mais ne l’étaient pas vraiment. Il n’y avait pas de figure centrale. Ça ne nous empêchait pas de respecter ces hommes. Mais ils nous laissaient préparer nos matchs ensemble, nous les joueurs. On peaufinait nos tactiques nous-mêmes.

Quels étaient les principes de jeu ?

C’était le règne de l’arrière intercalé et des combinaisons avec les fausses croisées et tout ça. Nous étions les héritiers des frères Boniface et du duo lourdais Maurice Prat - Roger Martine. Nous étions dans le mimétisme. Plus jeune, je les observais quand eux, jouaient en équipe de France.

En ces temps où les images circulaient peu, connaissiez-vous vos adversaires ?

Non, pas vraiment. On lisait des récits écrits, mais moi j’en connaissais quelques uns car j’avais joué avec eux avec les Barbarians ou les Wolfhounds. Nous n’avions pas de vidéos. En plus, on se donnait rendez-vous le mercredi qui précédait les matchs. On s’entraînait deux fois, le jeudi et le vendredi et on allait au match avec notre vécu.

On retient aussi de ce grand chelem ce succès 8-6 en Écosse après avoir subi un siège terrible….

Oui, les centres écossais comme John Frame étaient costauds, mais revenaient beaucoup vers les avants. On avait tenu en défense, nous étions vigilants mais à un moment leur arrière Stewart Wilson s'intercale, "Jos" Rupert lui file une cravate : pénalité face aux poteaux. Mais les Écossais font justement buter cet arrière qui venait d'être traumatisé. Il n’était pas dans son assiette, il a manqué la cible.

Y a-t-il eu une grosse reconnaissance sur le moment ?

Oui, nous avons été reçus par Georges Pompidou (Premier ministre à l’époque, NDLR), mais nous nous sommes vraiment rendus compte de la performance après coup. À l’époque, la médiatisation n’était vraiment pas la même. Les journalistes spécialisés parlaient de nous, c’est vrai. Mais les médias grand public passaient vite à autre chose. Ça n'avait rien à voir avec ce qu’on vit aujourd’hui.

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