Colin Slade : «Je veux jouer les premiers rôles avec Pau»
L’ouvreur néo-zélandais est impatient de vivre vendredi soir son baptême du feu face au Racing 92, au stade du Hameau. Dans cette longue interview, il nous parle de ses ambitions avec la Section, de son amitié avec Dan Carter, de son combat pour retrouver les All Blacks et de ses études de journalisme.

Comment se sont passés vos premiers pas avec la Section ?

J’ai un peu galéré au niveau de la langue. Autrement, cela s’est merveilleusement bien passé. Je suis très content d’être à Pau. La Section est un club qui veut grandir. J’ai été reçu comme un prince depuis mon arrivée. J’ai profité des premiers jours pour faire la connaissance de mes coéquipiers. J’ai hâte d’en découdre vendredi à leurs côtés.

Est-il vrai que dès le lendemain de votre arrivée, vous étiez déjà sur le terrain ?

Les nouvelles vont vite. Plutôt que de rester cloîtré dans ma chambre d’hôtel, j’ai voulu toucher le ballon. Je me sais très attendu à Pau et je ne veux pas risquer de mal jouer.

Comment vous sentez-vous actuellement ?

Bien. J’avais besoin d’une pause après le Mondial, surtout mentalement. Je n’ai pas beaucoup joué durant la Coupe du monde, donc mon corps est en bonne forme. Je me sens prêt.

Qu’avez-vous fait après les célébrations du titre en Nouvelle-Zélande?

Durant plusieurs jours, j’ai défilé avec mes coéquipiers dans les grandes villes de Nouvelle-Zélande. Puis, j’ai dû préparer mon déménagement, faire mes cartons... J’ai détesté ces instants. Les adieux qui s’éternisent, ce n’est pas trop mon truc. Je voulais juste fermer ma maison et venir à Pau le plus vite possible.

Est-ce la première fois que vous quittez la Nouvelle-Zélande ?

Oui. Ma mère était d’ailleurs un peu triste de me voir partir. Je devais l’appeler ce matin, mais comme j’étais en retard à notre rendez-vous, je lui ai dit « à demain Maman ! ».

Quels joueurs connaissiez-vous avant de débarquer à Pau ?

Pas grand monde pour être honnête. Seulement Daniel Ramsay, Chris King et Taniela Moa avec qui j’ai joué en Nouvelle-Zélande, et un peu Santiago Fernandez. Il me sert d’ailleurs de traducteur depuis mon arrivée. C’est mon ange gardien.


Et Damien Traille ?

Non car il est plus âgé que moi. Je ne l’ai jamais affronté avec les All Blacks.


Et Simon Mannix ?

Je ne l’ai vu que l’an dernier, en Nouvelle-Zélande. Nous avons pris un café ensemble pour parler du projet du club.

Quelle réputation a-t-il en Nouvelle-Zélande ?

J’étais jeune quand il jouait, je ne me souviens pas très bien. Et je ne le connais pas en tant que manager.

Vous avez la mémoire sélective... Son seul match avec les All Blacks est resté dans les mémoires néo-zélandaises : c’était face à la France à Christchurch en 1994. Les Blacks avaient pris une dérouillée...

Vous savez, on ne commente jamais les défaites en Nouvelle-Zélande. (rires)

Qu’est-ce qui vous a convaincu de vous engager avec la Section ?

Simon s’est montré insistant. Je ne compte plus le nombre de coups de fils qu’il m’a passé pour me convaincre. Ce n’était pas facile de faire une croix sur les All Blacks. J’ai eu d’autres offres émanant de France, mais j’ai choisi Pau qui nourrit de très grandes ambitions. Je voulais faire partie de l’aventure dès le début. Je suis encore jeune. J’ai encore six ou sept ans devant de moi avant de prendre ma retraite. Mais si je prolonge un peu le plaisir, je pourrai faire comme Bobo et jouer jusqu’à 40 ans.

Pourquoi n’avoir pas opté pour Toulon ?

Le RCT est un très grand club mais il y a déjà un embouteillage de superstars.

A Pau, vous serez confronté à un toute autre défi : aider le club à se maintenir en élite. Cela ne vous intéressait-il pas de rajouter de nouveaux trophées à votre collection (N.D.L.R : il a remporté six ITM Cup avec Canterbury et deux Coupes du monde avec les All Blacks)?

Que ce soit pour les Crusaders ou les All Blacks, j’ai à chaque fois joué pour des équipes qui avaient le statut de favoris, à l’exception peut-être des Highlanders. Le défi palois m’a plu car il est différent de tout cela. Ne vous détrompez pas. Ce serait une énorme satisfaction d’aider ce club à se maintenir et à devenir plus attractif. Que ce soit au niveau du rugby, de mes partenaires, de la vie, je repars à zéro. La France est très attractive pour tout Néo-Zélandais. Tous les Kiwis évoluant en Top 14 sont dithyrambiques à propos du mode de vie à la française. J’ai toujours su au fond de moi qu’un jour je partirais de Nouvelle-Zélande.
Il y a des équipes très fortes, toutes renforcées par des internationaux. Ce ne sera pas toujours une partie de plaisir avec un énorme accent mis sur le combat.

Abandonnez-vous l’idée de rejouer pour les All Blacks ?

A 28 ans, il me reste peut-être une chance infime de revêtir à nouveau le maillot à la fougère argentée. Je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait, comment je serai dans trois ans. Pour l’instant, je suis déterminé à rester en France.

En restant en Nouvelle-Zélande, vous auriez eu l’immense opportunité d’affronter les Lions britanniques et irlandais en 2017...

J’y ai bien sûr pensé. Mais mon désir d’exil était plus fort et il n’y a pas de regrets.

Que pensez-vous du Racing 92 que vous affronterez vendredi soir au Hameau?

De ce que j’ai pu voir, c’est une équipe solide dans tous les compartiments de jeu. Mais je suis persuadé que la Section sortira un gros match à domicile.

Que pensez-vous du Top 14 qui ressemble plus à un marathon quand le Super Rugby est un sprint ?

Je n’ai pas vu suffisamment de matchs pour donner un avis pertinent. Mais vous avez raison de dire que j’ai une longue saison devant moi ! Il y a des équipes très fortes, toutes renforcées par des internationaux. Ce ne sera pas toujours une partie de plaisir avec un énorme accent mis sur le combat. C’est un style de rugby différent mais c’est pour cela que je suis venu en France. Je veux me frotter à autre chose qu’en Super Rugby.

Vous aurez plus de pression, en raison des deux relégations en fin de saison...

Je préférerais honnêtement que Pau soit en haut du classement mais cela fait partie du jeu. Je ne veux pas regarder trop loin. Mon objectif personnel est de rapidement jouer les premiers rôles avec ce club. Pour cela, la Section va devoir lutter ferme pour ne pas descendre cette saison. L’équipe doit prouver que sa place en Top 14 n’est pas usurpée.

La campagne béarnaise doit vous rappeler votre Canterbury natal…

C’est très vert et il y a des montagnes partout. Je ne suis pas trop dépaysé. Les Français sont charmants. Personne ne s’est énervé envers moi car je ne suis pas capable de parler votre langue. Conduire à droite est aussi un défi quotidien : il m’est arrivé par inadvertance de glisser de l’autre côté de la route (rires).

En raison des mauvais résultats de la Section, les supporters vous attendent un peu comme le Messie…

(il sourit) Je sais que les attentes sont immenses mais un joueur ne peut pas tout faire à lui tout seul. J’aurai besoin de tous mes coéquipiers pour faire gagner la Section.

Vous pouvez jouer ouvreur, centre, ailier, arrière et même demi de mêlée. Quel est votre poste favori ?

Sans hésitation à l’ouverture même si cela ne me dérange pas de glisser à l’arrière. Lorsque tu es demi d’ouverture, tu influes plus sur le cours d’un match. Je jouerai où on me demandera mais ma préférence va au n°10.

Avez-vous déjà mémorisé les annonces et le système de jeu ?

J’ai de la chance : beaucoup de membres de l’encadrement sont anglophones. Je trouve que certaines combinaisons ressemblent beaucoup à ce que j’ai connu en Nouvelle-Zélande. Il me faut juste mémoriser les annonces.

Cela ne vous dérange-t-il pas d’être considéré comme un trois-quarts polyvalent ?

Pas du tout. Pour s’améliorer, il n’y a pas mieux que de s’installer à un poste mais l’intérêt du groupe passe avant. Si je dois jouer à plusieurs postes pour le bien de l’équipe, je le ferai. C’est cette polyvalence qui m’a permis d’intégrer les All Blacks.


Avez-vous pu visionner des matchs de la Section avant votre arrivée?

Cela n’était pas évident en streaming puisque le championnat français n’est pas disponible sur internet en Nouvelle-Zélande. Je suis toujours dans une phase d’apprentissage et je ne débarque pas ici en terrain conquis. J’ai trop de respect pour le rugby français. C’est à moi de m’adapter.

Devrez-vous simplifier au maximum votre jeu en tant qu’ouvreur ?

Cela va m’être difficile dans un premier temps de bien combiner avec mes partenaires. Mon objectif sera en effet d’épurer mon jeu au maximum : prendre le ballon, le passer, jouer au pied, réussir mes plaquages. Avec le temps, j’introduirai d’autres facettes de mon jeu.

Aimeriez-vous buter pour la Section ?

Oui, j’aime cette responsabilité. Le but est une partie importante de mon jeu.

Quel est l’événement dont vous êtes le plus fier dans votre carrière ? Gagner la Coupe du monde et redevenir All Black après avoir été tenu éloigné des terrains durant près de 16 mois ?

Le Mondial occupe une place à part au fond de mon cœur même si je n’ai pas autant joué que je l’aurais souhaité. Mais je suis très fier d’avoir fait partie de cette aventure. Quand j’avais 15/16 ans, je rêvais de gagner la Coupe du monde... Mais rejouer pour les All Blacks après toutes les galères que j’ai connues, est un exploit peut-être plus important. J’ai dû passer neuf fois sur la table d’opération en dix-huit mois. Peu de personnes croyaient alors en moi. Je suis très satisfait de leur avoir prouvé qu’ils avaient tort. Toutes ces blessures m’ont endurci et m’ont fait grandir plus rapidement. Ce n’est pas un hasard si j’ai joué mon meilleur rugby après cette période noire. Je pense que j’en ai encore sous les crampons. Je suis encore plus fier d’avoir servi d’exemple à de jeunes joueurs confrontés à un cercle infernal des blessures. Certains sont même venus me remercier de les avoir inspirés. C’est le plus beau compliment qu’on m’ait jamais fait.
A vrai dire, je ne savais pas trop à quoi m’attendre (après les attentats du 13 novembre). Si j’allais être en sécurité, si mon avion allait atterrir... Mais dans ces moments terribles, on ne peut pas penser qu’à soi. Il faut d’abord penser aux gens qui ont été directement affectés. Les images étaient très dures à regarder depuis l’étranger.

D’où tenez-vous cet entêtement ?

Je suis juste obstiné, je ne veux jamais rien lâcher. Je suis très compétiteur. Je ne sais pas de qui je tiens ça, pour être honnête. Peut-être de mes deux parents, notamment de mon père qui est assez têtu.

Êtes vous issu d’une famille de rugby ?

Personne ne joue au rugby ou pratique un sport dans ma famille. Ils aiment regarder. Mon père est assez petit. Mes frères ne jouent pas. Comme la plupart des jeunes de son âge, ma sœur de 18 ans joue un peu à toucher.

Êtes-vous l’aîné ?

Non, je suis le second de la fratrie. J’ai un frère de 29 ans. Et ensuite j’ai ma sœur, 18 ans, et un frère qui a 17 ans.

Viendront-ils vous voir en France ?

Oui, ils doivent venir pour les vacances. Ils en profiteront pour visiter. L’année prochaine, je pense. Pas pour Noël, je crois qu’ils veulent venir pour profiter de l’été ici, plutôt que de venir maintenant alors qu’il fait froid et qu’il neige. Vous savez, les Kiwis n’aiment pas trop la neige.

Vous avez donc pu négocier une grande maison...

Nous avons plusieurs chambres d’ami. Et puis aussi un bon canapé.

Avez-vous été inquiet de rejoindre la France après les attentats terroristes survenus le 13 novembre dernier?

A vrai dire, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Si j’allais être en sécurité, si mon avion allait atterrir... Mais dans ces moments terribles, on ne peut pas penser qu’à soi. Il faut d’abord penser aux gens qui ont été directement affectés. Les images étaient très dures à regarder depuis l’étranger. Avec ma femme Emma, nous étions très choqués et attristés pour le peuple français. Mais dès que je suis arrivé, tout était parfait. J’ai pu voir tous les efforts faits en termes de sécurité, ce qui aide beaucoup à se sentir tranquille.

Quels sont vos passe-temps en dehors des terrains ?

Je joue au golf mais je lis aussi beaucoup. J’aime dévorer les biographies d’autres sportifs. J’aime apprendre ce qui motive les autres.
Jonah a été une inspiration pour beaucoup de All Blacks actuels, et c’est très triste qu’il nous ait quittés si jeune. Nous savions tous qu’il était en mauvaise santé et se battait comme un lion contre la maladie. Mais personne ne s’attendait à ce qu’il parte aussi vite et ce fut un vrai choc pour tout le pays.

Avez-vous un modèle ?

J’ai bien aimé la biographie de Mike Tyson, mais ce n’est pas un modèle car c’est plutôt un mauvais garçon. Si je devais choisir, je dirai André Agassi. Ce gars ne l’a jamais eu facile. Il a dû travailler très dur pour se détacher d’un père trop envahissant et atteindre ses objectifs. Au niveau des rugbymen, j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Andrew Merthens mais aussi Christian Cullen et Jonah Lomu... Jonah a été une inspiration pour beaucoup de All Blacks actuels, et c’est très triste qu’il nous ait quittés si jeune. Nous savions tous qu’il était en mauvaise santé et se battait comme un lion contre la maladie. Mais personne ne s’attendait à ce qu’il parte aussi vite et ce fut un vrai choc pour tout le pays.

Vous dites avoir lu des biographies de sportifs, avez-vous lu celle de Dan Carter ?

J’attends toujours mon exemplaire gratuit ! Peut-être qu’un jour il m’en donnera un !

Quel est le futur des All Blacks avec tous ces départs de cadres comme McCaw, Carter, Smith, Nonu?

J’ai pas d’inquiétude. Quand un joueur part, il y en a toujours un autre pour le remplacer. Richie parti, Sam Cane est déjà prêt pour prendre la relève. A l’ouverture, nous avons Cruden, Barrett... Quand tu débarques chez les All Blacks, les anciens mettent toujours les jeunes dans les meilleures dispositions pour reprendre le flambeau un jour.

Toute forme d’égoïsme serait-elle proscrite ?

A ce niveau, c’est la notion d’équipe qui s’impose. Toutes les équipes néo-zélandaises ont la même approche. Aucun joueur ne vaut mieux que l’équipe, tout est mis en œuvre pour qu’elle gagne. Il n’y a aucun ego qui tienne. Il te faut rester humble, autrement c’est la porte direct. Malgré tous les énormes succès des All Blacks, on t’apprend à rester humble et travailler plus que les autres pour rester au top.

Quelle sont vos relations avec Dan Carter ?

Quand j’ai débuté, c’était un modèle pour moi. Mais au fil des années, c’est devenu un très bon ami. Toute ma carrière j’ai joué avec lui. Je l’ai contacté hier par SMS pour savoir comment se passait son installation, et puis aussi pour savoir s’il allait jouer car tout le monde me le demande ! Mais pour le moment, il fait le mort...

Est-ce une motivation de l’affronter ?

Tous les demis d’ouverture néo-zélandais, moi le premier veulent dépasser Dan. Je lui tire un grand coup de chapeau sur la manière dont il a terminé sa carrière internationale. Jamais il n’a semblé aussi fort. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. Ces dernières années, il est resté longtemps éloigné des terrains à cause de ses blessures. Nous, ses remplaçants, en avons profité pour jouer de mieux en mieux. Avec Aaron (Cruden) et Beauden (Barrett), nous l’avons aidé à devenir meilleur. Mais il reste la référence au poste...

Qu’avez-vous étudié à l’université du Canterbury ?

J’ai une licence en histoire et média. Faites attention car dans quelques temps je prendrai votre place. Non, non, je rigole.

Sur le site internet des All Blacks, il est dit que vous rêvez d’embrasser la carrière de journaliste…

Oui, vous savez, quand vous débutez, vous ne savez pas trop comment votre carrière va évoluer. A l’époque tout le monde m’a dit : «Mais pourquoi tu veux te lancer dans une carrière de journaliste ? C’est très dur de se faire une place dans les médias en Nouvelle-Zélande.» Finalement, ils ont eu raison de moi. Je pense que je ne serai pas journaliste une fois ma carrière terminée.

Pourquoi ?

Je ne veux pas être celui qui crache dans la soupe. Je ne veux pas que les gens me détestent ! Vous avez un métier difficile, je ne serai donc pas journaliste. Ou alors, il faudra que je sois journaliste de bowling ou de cricket. Pas de rugby en tout cas !
Vous êtes hors-jeu !
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