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200 ans d'histoire (23/52) : en 1965, Roques invente la passe au pied

Par Jérôme Prevot
  • Jean-Claude Roques, ouvreur de Brive et international français.
    Jean-Claude Roques, ouvreur de Brive et international français.
Publié le Mis à jour
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La façon de se transmettre le ballon, la fameuse offrande, n’a cessé d’évoluer, avec des inventeurs restés anonymes ou flous. Mais Jean-Claude Roques, ouvreur de Brive, a bel etbien inventé un nouveau geste, avec le pied.

Il n’est pas toujours aisé de repérer l’inventeur d’un geste technique, ces moments qui bornent la grande histoire du rugby et qui permettent à certains de rester dans l’Histoire. C’est le cas de Jean-Claude Roques, figure du rugby corrézien, demi d’ouverture international de Brive, son seul club. Tout les observateurs s’accordent à lui donner la paternité de la passe au pied : une vraie trouvaille pour un geste qui a traversé le temps. Il est utilisé plus que jamais d’ailleurs, avec le renforcement moderne des défenses. Récemment, les Frédéric Michalak et Camille Lopez en furent des adeptes doués.
Jean-Claude Roques était un ouvreur élégant et talentueux, un vrai attaquant qui, paradoxalement, n’aimait pas trop se servir de ses pieds, ne se sentant pas l’âme d’un buteur par exemple. Mais cette trouvaille, il l’a vécue comme une arme supplémentaire à son arsenal offensif. « Oui, sur le moment, j’ai eu l’impression de créer un truc nouveau. Avec Michel Marot et Pierre Besson, mes coéquipiers, on avait vu que les défenses se tenaient à hauteur des poteaux. Ce qui laissait un décalage énorme sur le côté. Sur touche ou sur mêlée mais aussi sur pénalité jouée vite, on mettait notre trois-quarts aile en face de son vis-à-vis et on annonçait la Cazouls. »

 "On devait avoir trois combines"

La Cazouls tirait son nom de la localité de Cazouls-lès-Béziers où le CAB avait préparé un match contre l’ASBéziers, équipe qui, effectivement, jouait très regroupé. Jean-Claude Roques et ses comparses avaient choisi de se lancer à cette occasion. « Notre ailier se décalait complètement au dernier moment sur le bord de touche et je tapais vers lui. Je le répète, les ailiers de l’époque étaient obnubilés par le paquet d’avants et le ballon. Ils n’étaient pas attentifs à leurs vis-à-vis, c’était comme ça. Nous avions, bien sûr, répété notre combinaison à l’entraînement mais je ne peux pas vous dire combien de temps. Vous savez, les entraînements de l’époque, ce n’était pas grand-chose… Quand j’ai débuté en 1959, il n’y en avait quasiment pas ; à la fin de ma carrière, on devait s’entraîner deux fois par semaine. Mais seuls les plus jeunes faisaient des tours de terrain. Ceci dit, ma génération était composée de gars qui avaient beaucoup joué dans la rue ou dans la cour d’école. »

Le rugby des années 60, très haché par les coups de pieds directs en touche, n’était pas très exigeant. On pouvait jouer au plus haut niveau avec un talent naturel et quelques astuces. Celle de « Rocky » devait passer à la postérité. Il fut le chef d’orchestre d’une ligne de trois-quarts qu’on appelait « l’attaque mitraillette ». Mais il n’est pas du genre à se vanter. Quand il revoit les matchs auxquels il a participé, il prend conscience de la relativité des choses : « On jouait à toucher à l’entraînement. Nous avions l’impression d’attaquer beaucoup mais quand on visionne de nouveau les matchs, c’était assez pauvre. On devait avoir trois combines. Pour la passe au pied, je ne tapais pas sur la pointe mais sur la partie large du ballon. Au sujet du coup de pied, je me rends compte qu’on aurait mieux fait de taper sur la pointe. Aujourd’hui, ils font ainsi, ça va plus vite, ça monte plus haut. Ceci dit, la qualité des ballons étaient plutôt nazes. Alors, on tentait de vriller en tapant sur la partie large du ballon. Mais j’ai vu que l’arrière écossais Hogg faisait encore ça. »
Jean-Claude Roques n’a connu que quatre fois les Bleus, toutes la même année, en 1966, pour le dernier Tournoi des frères Boniface et de Michel Crauste. Il a perdu cinq finales majeures (trois en championnat et deux en Du-Manoir).
Mais il est le genre de joueur qui peut constater qu’au delà de ses souvenirs personnels, son passage dans le rugby n’a pas été vain. Ils ne sont pas si nombreux, ceux qui peuvent revendiquer l’invention d’un geste aussi généralisé. Il reçoit de temps en temps des textos quand, à la télé ou en tribunes, ses amis constatent que son héritage ne se perd pas.

  • Les aventures de la passe

Il y a plusieurs façons de passer le ballon en rugby. On rappelle que la passe n’existait pas au début de l’histoire de notre sport. Elle serait apparue dans les années 1860-1870. On cite souvent un certain Harry Vassal, un Anglais d’Oxford, comme le premier joueur à l’avoir maîtrisée, avec l’idée de la faire en arrière dans une logique de jeu d’échecs. C’était sans doute à la fin des années 1870. Considérons ainsi Vassal comme l’inventeur de la passe à deuxmains classique.
On a connu ensuite plusieurs variations à ce geste de base. La passe « corbeille » des All Blacks de 1905 marqua aussi les esprits. Elle se faisait à une main sous le bras qui ne portait pas le ballon. La « passe croisée » adressée à un partenaire qui ne court pas dans le même axe que le passeur, a été magnifiée par les frères André et Guy Boniface dans les années 50-60. André Boniface en aurait fait quelques-unes aussi avec Jean Dauger lors d’un match d’une sélection de Côte basque. Mais elle aurait été inventée dans les années 40 par Joseph Crespo, joueur de l’Usap passé à XIII à Roanne, qui la pratiquait avec son partenaire, René Dufforc. La « passe plongée » du demi de mêlée a été inventée par Danie Craven, le célèbre Sud-Africain lors de la tournée des Springboks de 1937 en Nouvelle-Zélande. Quant à la « passe renversée » du demi de mêlée fut inventée par le célèbre Gallois Gareth Edwards à la charnière des années 60 et 70.
La passe façon football américain ou « passe javelot » fut inventée par le français Jean-Marie Bonal lors de la tournée 1968 en Nouvelle-Zélande. Christophe Deylaud fut l’un des premiers à tenter une passe entre les jambes à haut niveau, en 1993 avec Toulouse contre Grenoble en quart de finale du championnat.
Enfin, l’origine de la « passe chistéra » (à une main) reste à nos yeux d’origine obscure. Difficile d’imaginer qui fut le premier à en tenter une. Idem pour la « passe vrillée », « sautée », « double sautée » et « main-main ».

  • Le coup de pied banane

La passe au pied est devenue très courante dans le rugby. Et le modèle de Jean-Claude Roques n’a pas tellement vieilli. Mais la passe au pied a connu une variante, constaté en 2007 quand, en match de poule, face à l’Irlande, Frédéric Michalak fit marquer un essai mémorable à Vincent Clerc. Il utilisa l’arme de la passe au pied non vers le côté ouvert -pour un partenaire positionné en bout de ligne- mais pour son ailier côté fermé en utilisant l’extérieur du pied. Un service assez court par dessus le pack d’avants qui venait de conquérir le ballon. La passe profite du fait que l’ailier adverse soit parti défendre vers le milieu du terrain. L’essai de Clerc fut toutefois marqué après un rebond mais on peut l’assimiler à une passe. On peut appeler ça un banana kick, coup de pied « banane » même si le terme est aussi utilisé pour un coup de pied de dégagement en touche.

  • Les passes après contact

La passe fut révolutionnée dans les années80 avec l’apparition de la notion de passe après contact (off-load en anglais). On s’est rendu compte qu’on pouvait se passer le ballon en étant plaqué mais en prenant le dessus sur son adversaire et en transmettant le ballon derrière son corps. On appelait ça « passer les bras ». Difficile de trouver un pionnier, peut-être le treiziste australien Artie Beetson dans les années 70. Philippe Sella maîtrisa ensuite très bien ce geste fondamental. Il permettait d‘éliminer un adversaire et de lancer un partenaire dans un intervalle. Dans les années 2010, Sonny Bill Williams popularisa sa fameuse « passe coudée » Ce off-load à une main, sorte de chistera décroisée. Ce geste vient du XIII et fut, à notre souvenir, esquissé à XV par le All Black Carlos Spencer (35 sélections entre 1999-2004), l’un des attaquants les plus doués de sa génération. Mais SBW en fit sa marque de fabrique en s’enroulant autour du corps de son adversaire avant de faire son offrande.

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