"Quand on est une fille, on doit prouver à vie", quand Isabelle Ithurburu se livrait à Midi Olympique

Par Emilie Dudon
  • Après quatorze ans sur Canal +, Isabelle Ithurburu va rejoindre TF1.
    Après quatorze ans sur Canal +, Isabelle Ithurburu va rejoindre TF1. Icon Sport - Anthony Dibon
Publié le Mis à jour
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Isabelle Ithurburu accordait un entretien fleuve à Midi Olympique sur son ascension, sa place dans le paysage médiatique français, mais aussi son parcours étonnant. Son départ pour TF1 à l'issue de la saison est l'occasion de se replonger dans cette interview de 2014, où elle évoque justement - déjà - ses sollicitations pour des émissions hors rugby.

Attablée dans un salon de thé à Orly, la journaliste de Canal + accepte, fraîche et souriante comme à son habitude, de se livrer sur sa vie depuis son arrivée dans le rugby, sa notoriété, ses joies, ses difficultés, ses moments drôles et moins drôles. Un témoignage symbole de l'évolution d'un sport jugé conservateur.

On voit de plus en plus de filles dans le rugby. Pensez-vous que ce sport a besoin de se féminiser, d'un peu plus de glamour ?

Je ne sais pas si c'est un besoin mais je me rends compte avec étonnement que ça plaît. Aujourd'hui, le rugby est plus médiatisé, les joueurs sont plus attentifs à leur look... Et puis, ceux qui aiment le rugby aiment aussi montrer que ce n'est plus uniquement un sport de clocher. Je le ressens quand je vois les gens dans les stades : ils me parlent autant de mes robes que de rugby! Moi, je n'étais pas du tout glamour avant, j'étais plutôt un garçon manqué. C'est Canal + qui m'a rendue très glamour. J'avoue que j'ai eu très peur quand Cyril Linette m'a dit qu'il voulait tenter le coup avec moi. Quand j'ai vu ce que les stylistes me proposaient, à savoir uniquement des robes assez féminines, je lui en ai parlé et il m'a dit : « Fais-nous confiance. Tu es là depuis quatre ans (sur Infosport, N.D.L.R.) alors tu as déjà ta crédibilité. Tes robes ne vont pas changer la donne. »

Êtes-vous surprise de la popularité qui est la vôtre ?

Oui. Je m'en suis particulièrement rendu compte l'année dernière à Toulouse (contre le Racing-Metro, le stade avait scandé son prénom alors qu'elle était en direct à l'antenne). Je suis vraiment tombée de très haut. C'était incroyable ! Jusque-là, je voyais toujours une cinquantaine de supporters mais ça n'allait pas plus loin. Et ça m'a franchement surprise. Je ne comprends pas trop pour tout vous dire, et ce n'est pas de l'humilité. Mais je le vis très bien parce que ce sont surtout des gens gentils. Ils m'aiment bien, et sentent que je les aime bien aussi. Moi, quand je vais quelqu'un de connu, je suis hyper timide, alors qu'eux viennent me parler comme si on se connaissait depuis toujours. Ça me touche plus encore.

N'est-ce pas pesant parfois ?

Non parce que ça reste du rugby. On parle d'une chaîne cryptée en plus, alors ça touche assez peu de monde au final. J'habite à Paris et je ne vais pas vous cacher qu'en dehors des stades, il ne m'arrive pas grand-chose.

Êtes-vous consciente que le pari fait sur vous par Canal+ repose beaucoup sur votre image?

Quand il s'agit de télé, une fille est toujours féminine, quel que soit le sujet dont elle parle. On a vu Anne-Sophie Lapix être ultra-crédible en minijupe. J'avoue que quand je suis arrivée au rugby, j'avais très peur de ne pas être à la hauteur. Même si je travaillais aux sports depuis plus de trois ans, j'avais une plus grosse pression avec le rugby, parce que c'était un sport qui me plaisait vraiment. Mais je ne l'ai jamais pratiqué alors je ne savais pas ce que cela allait donner. C'est pour ça que j'ai dit non quand on m'a montré toutes ces robes: je voulais être simple, pour me protéger. Je me disais que si ça se passait pas mal, on oublierait vite. Pour me convaincre, Cyril Linette m'a dit que je n'avais pas à m'excuser d'être une fille et d'aimer le rugby. Alors il ne s'agit pas tellement de mettre l'image en avant... C'est juste que l'un n'empêche pas l'autre.

On prend toujours la place de quelqu’un […] Qu’on soit une fille ou un garçon, on prend goût à la télé. Et je sais qu’il faut se préparer à ce qu’un jour, tout s’arrête.

Chaque week-end pour Jour de Rugby, les robes que vous portez sont presque aussi attendues que les résumés de matchs !

(Elle rit) Du coup, c’est devenu drôle !

Mais Canal + utilise néanmoins beaucoup votre image…

Oui mais sur le rugby uniquement. Par exemple, je m’habille comme je veux quand je vais au stade. Pendant la Coupe monde de football, j'ai vu des journalistes féminines en minijupes ou en robe moulante sur les matchs. Je ne comprends pas ça. Pour tout vous dire, je ne suis pas à l'aise en robe et en talons, et ce serait encore pire sur un terrain. Les gens me connaissent comme je suis sur les terrains. Et à la télé, ils voient les paillettes. C'est juste quarante minutes dans la semaine et c'est sympa... Même s'il est vrai qu'on en joue un peu quand même.

Au point que le rugby français, au-delà de Canal +, utilise aussi votre image. La LNR par exemple vous sollicite depuis plusieurs années pour présenter la Nuit du rugby.

Je ne suis pas folle, je sais que si je suis l'attraction actuellement, c'est parce qu'il n'y a pas beaucoup de filles dans le rugby à la télé. Il y en a au foot mais pas au rugby, alors ça crée un mini-phénomène. Mais ça va partir aussi vite que c'est venu, Je connais des filles qui aiment ce sport, comme Clémentine Sarlat, et je sais que ça va faire bouger des choses.

Avec quelques années de recul, estimez-vous qu'être une fille est un avantage ou un inconvénient ?

Les deux. Pour commencer, c'est un avantage, à la télé particulièrement. Quand je suis arrivée en 2009, il y avait seulement Nathalie lannetta et deux ou trois filles qui faisaient des mini-plateaux. Donc effectivement, c'était clairement un avantage parce que Canal + cherchait une fille spécifiquement.

Pensez-vous que vous en seriez là si vous n'aviez pas été une jolie fille ?

Non. Mais c'est pareil pour les garçons. La télé, c'est de l'image et, au-delà d'être jolie, il faut être présentable. Je ne parle pas des consultants, qui sont là parce qu'ils ont réalisé quelque chose dans leur domaine, mais des journalistes. Et je vous mets au défi de me citer un homme moche. Je parle d'esthétique, pas de beauté. Il y a un physique de télé, il faut l'avouer, et c'est vrai que ça aide au départ. Mais pour durer, cela ne suffit pas. Cela rend même les choses plus dures. Il faut être costaud.

Pourquoi ?

Je suis encore sujette aux critiques aujourd'hui mais je ne les regarde plus. Au début, j'ai eu le malheur d'aller voir ce qui se disait... Il ne faut surtout pas faire ça. C'était gratuit, les gens n'écoutaient même pas ce que j'avais à dire. Je remarquais aussi qu'au moindre lapsus, tout était immédiatement remis en question. Les gens sautaient dessus, disaient: « Voilà la preuve que cette fille est une imposture. » Si mon collègue masculin commettait la même erreur, on explosait tous de rire et on passait à autre chose. Après, je pense malheureusement que ça se passe de la même manière dans tous les secteurs réservés aux hommes.

Le milieu du rugby vous a-t-il fait sentir que vous n'étiez pas la bienvenue?

Sincèrement, non. Au début, je prenais certaines choses pour moi, quand un entraîneur me remballait en disant que ma question était nulle par exemple. Mais j'ai vite remarqué que mes collègues masculins étaient considérés de la même manière. D'ailleurs aujourd'hui, c'est l'inverse : mes collègues m'envoient parfois au charbon parce qu'ils savent que les entraîneurs auront plus de mal à m'envoyer sur les roses. Le milieu reste quand même assez gentleman. Je suis très bien accueillie et j'ai l'impression d'être respectée, en face-à-face au moins. C'est important pour bien travailler.

Y avait-il des joueurs ou des entraîneurs qui vous impressionnaient au départ ?

J'avoue qu'il y avait presque de l'adrénaline à aller interviewer certains d'entre eux. Je parle toujours de Vern Cotter... C'est peut-être le plus timide de tous au final mais la première fois, ça faisait peur. Il y avait Guy Novès aussi. Mais maintenant, il me fait rire, et il le sait. Quand il s'énerve, ça me fait marrer parce que je sais que c'est un rôle qu'il joue. Il est d'ailleurs très bon là-dedans. Marc Delpoux, aussi, est imposant physiquement mais super convivial.

Depuis quatorze ans, Isabelle Ithurburu est le visage du Top 14 sur Canal +
Depuis quatorze ans, Isabelle Ithurburu est le visage du Top 14 sur Canal + Icon Sport - Andre Ferreira

Votre arrivée à Canal + a été plus ou moins bien vécue en interne. A-t-il été difficile de vous imposer dans l'équipe auprès de vos collègues ?

Les choses se passent très bien. Mais je peux imaginer que certains collègues se soient un peu émus de mon arrivée parce qu'on prend toujours la place de quelqu'un... Qu'on soit fille ou garçon, on prend goût à la télé. Avant, j'étais dans les bureaux et je gagnais le SMIC. Mon dernier job consistait à faire des cotations maritimes. Ça me plaisait mais je ne peux pas comparer avec le bonheur que je vis aujourd'hui. Ce n'est pas un métier pour moi ! Je suis beaucoup plus fatiguée aujourd'hui (rires), je n'ai plus mes week-ends et je suis un peu coupée de mes amis mais j'ai une pile au fond du ventre. Et je sais qu'il faut se préparer à ce qu'un jour, tout s'arrête.

Vous l'a-t-on fait sentir ?

J'ai eu la chance d'être à Infosport avant. Comme c'est la même maison que Canal +, tous les collègues qui m'ont accueillie au rugby me connaissaient. Je n'arrivais pas de nulle part. Cela aurait été plus difficile dans ce cas. Certes, je n'avais rien prouvé dans le rugby et j'ai senti qu'il y avait de la déception chez certains, mais très vite, j'ai même été aidée. J'en ai d'ailleurs demandé immédiatement, du soutien, parce que ces gens-là étaient des pros. J'ai voulu leur montrer que je savais que je mettais les pieds dans un monde inconnu, que je n'avais pas leurs connaissances ni leur expérience, que je partais de loin, qu'on m'avait mise là et que je n'allais pas refuser parce que c'était un rêve. Je sais que vous visez sûrement François Trillo mais tous les journalistes, et François le premier, m'ont aidée. Vraiment.

Le fait d'être mariée avec Gonzalo Quesada est-il bien perçu selon vous ?

J'en ai assez d'en parler... (elle souffle) Dans le milieu, c'est un avantage, une chance. Je ne vais pas vous cacher que je suis protégée... C'est un milieu d'hommes et ils me respectent en tant qu'épouse de l'un des leurs. Je vois des consœurs célibataires qui sont beaucoup moins respectées que moi. Par ailleurs, je précise que j'ai rencontré mon mari parce que j'aimais le rugby. Je n'ai pas découvert le rugby à travers lui. Le seul inconvénient, et on en revient à ces gens qui tiquent quoi qu'il arrive, c'est que, du coup, certains estiment que je suis là grâce à lui. De toute façon, c'est simple avec ces personnes-là: soit je suis blonde, soit je suis la femme de... Mais ce qui me fait rire, c'est que Gonzalo est Argentin, qu'il n'a jamais fait de télé et qu'il ne connaissait personne à Canal +. Il sait que tout s'est fait par hasard et qu'il n'avait rien à voir là-dedans. Après, je ne pourrai pas empêcher les gens de penser ce qu'ils veulent.

Le fait d'être introduite de cette manière dans le milieu vous aide-t-il dans votre quotidien de journaliste ?

Je connaissais beaucoup de gens avant alors quand j'ai commencé, on me connaissait aussi. Ça m'a facilité les choses, oui. Et encore aujourd'hui, quand je regarde les matchs avec Gonzalo et que je ne comprends pas pourquoi il y a eu pénalité sur une mêlée, je lui demande. Parfois, il ne comprend pas lui non plus ! (rires) Mais je lui pose des questions et c'est intéressant

Êtes-vous une journaliste différente de celle de vos débuts?

Bien sûr. D'abord en ce qui concerne l'animation. Je suis plus à l'aise, j'ai moins peur. Je me demande beaucoup moins ce que les gens pensent de moi. J'ai toujours la crainte du mot de travers parce que ça continue d'être impardonnable pour une femme... Nathalie lannetta m'avait prévenue que quand on est une fille, on doit prouver à vie. Par contre, j'arrive à me détacher un peu plus. Je me sens plus sûre de moi et je me détends. Tout va plus vite, je percute plus, c'est plus naturel. Mais je me rends compte que j'ai encore beaucoup à apprendre.

À l'avenir, pensez-vous que vous pourriez faire autre chose que du sport?

Jusqu'à maintenant, je n'y pensais pas. J'avoue qu'on m'en parle à Canal + mais je ne sais pas quoi leur dire ! J'aurais déjà eu l'occasion de passer dans un autre sport plus médiatisé et je n'en ai eu aucune envie. Il faudrait qu'on me propose autre chose qui me passionne autant que le rugby. Pour l'instant, rien ne correspond, rien ne me laisse imaginer autant de plaisir que celui que je prends actuellement. Alors, je ne suis pas pressée. Je n'ai pas de plan de carrière.

M6 vous a proposé de présenter l'émission Rising Star. Pourquoi avoir refusé ?

Je ne l'ai pas du tout envisagé. J'ai été très flattée mais j'ai été très claire avec la personne avec qui j'ai été en contact. Cela m'a juste ouvert l'esprit dans le sens où je me suis rendu compte que des grosses machines pensaient à moi. Mais en quelques heures, je savais que je ne prendrais pas du tout de plaisir à faire ça. En plus, je me suis dit que je n’avais pas d’intérêt à quitter un travail aussi confortable. Les gens m’aiment bien, je les aime bien et je ne suis pas très exposée. C’est le bonheur ! Alors il n’a pas du tout été question d’accepter de présenter cette émission, bien que je la regarde. J’adore les télécrochets, même si je l’ai très mal vécu quand j’y ai participé en tant que candidate (La Nouvelle Star, en 2007).

Que s'était-il passé ?

Je n'étais pas du tout faite pour ça et cela m'a fait perdre énormément de confiance en moi. D'ailleurs, j'ai complètement arrêté de chanter depuis. J'aimais chanter avec mon frère dans les petits villages, et quand on m'a jugée, je me suis rendu compte que je n’étais pas pro. Je n'avais pas le caractère pour ça. Souvent, on relie ma candidature à la Nouvelle Star à ma place de journaliste télé mais ça n'a vraiment rien à voir. Après avoir été éliminée, je suis revenue vendre de l'huile d'olive à Aubagne et j'étais très heureuse. Je me sens à ma place aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas à Baltard. Je ne fais pas de la télé, pour faire de la télé. Ce qui me plaît le plus, c'est d'être sur les stades et je ne sais pas si je trouverais cette adrénaline ailleurs.

Je ne vais pas vous cacher que je suis protégée... C'est un milieu d'hommes et ils me respectent en tant qu'épouse de l'un des leurs.

Cette participation à la Nouvelle Star est-elle un boulet dans votre vie professionnelle aujourd'hui ?

Pas du tout. Si je n'avais pas fait de la télé à Canal +, personne ne se souviendrait que j'y suis passée. J'ai été éliminée tout de suite ! J'ai sûrement été la candidate la plus discrète ; j’étais hyper timide et je pleurais chaque fois que je finissais une chanson. C'était horrible! (rires) Ça ressort simplement parce que les gens font des recherches...

On vous reparle souvent de votre élection de Miss Pau-Béarn 2001 aussi...

Ça, je n'en ai pas honte. Ce n'était pas du tout le circuit de Fontenay, mais simplement une élection de Miss et Mister Pau qui permettait de remporter un voyage. Ce n'était pas un vrai défilé, mais plutôt Miss Camping! (rires) Je vais vous expliquer avant leur retraite, mes parents étaient épiciers, ne prenaient jamais de vacances et je rêvais d'amener ma mère en voyage. Au final, on est allées à Palma De Majorque et c'était génial parce qu'on n'avait jamais quitté la France. L'autre truc, que je n'avais pas calculé et qui m'a fait du bien, c'est que le couple d'élus accompagnait le maire, André Labarrère, toute l'année dans ses manifestations. À l'époque, j'allais voir tous les matchs de la Section paloise avec lui. Il adorait m'amener et il a continué à le faire au-delà de cette année passée ensemble. Cela m'a vraiment ouverte au monde. J'avais 18 ans, j'étais très timide, je n'avais même jamais eu de petit copain et d'un coup, on me propulsait avec des préfets et des gens importants. Cela me sert aujourd'hui, dans le sens où je n'ai pas peur de quelqu'un haut placé. Quand j'y repense, cette élection est la plus belle chose qui me soit arrivée à ce moment-là.

Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux. Est-ce une manière de gérer votre image ?

Les gens croient ça, mais j'étais déjà très active sur Facebook avant de passer à la télé. Quant à Twitter, c'est Canal + qui nous a demandé d'ouvrir un compte. Je m'en sers beaucoup pour vendre nos programmes, surtout pour le rugby. Je ne comprends pas pourquoi j'ai autant d'abonnés et certains disent que je suis un peu trop « corporate » mais je l'utilise à fond pour mettre en avant le rugby. Par exemple, j'essaye de vendre La Séance rugby, qui n'est pas encore bien installée... Je ne m'en sers pas pour mon image mais pour ce que je fais.

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