Abonnés

200 ans d'histoire (19/52) : le premier match course-poursuite

Par Jérôme Prévot
  • Lors de la tournée des Lions de 1955, on assista au premier vrai match course-poursuite de l’Histoire.
    Lors de la tournée des Lions de 1955, on assista au premier vrai match course-poursuite de l’Histoire.
Publié le Mis à jour
Partager :

Lors de la tournée des Lions de 1955, on assista au premier vrai match course-poursuite de l’Histoire. Un 23-22 à l’époque, ça ne courrait pas les rues.

Bienheureux les 95 000 spectateurs serrés comme des sardines qui en ce 6 août 1955 ont assisté à ce match. L’opposition entre l’Afrique du Sud et les Lions est considérée comme le premier match moderne, la première course-poursuite avec deux équipes qui dépassent le cap des vingt points (avec un essai qui ne valait que trois points). Neuf essais furent marqués, cinq pour les Lions et quatre pour les Sud-Africains et l’avantage changea trois fois de camp.
Les Lions commandés par le deuxième ligne nord-irlandais Ben Thompson s’imposent 23-22. Il faut se mettre à la place des spectateurs de l’Ellis Park et de ceux qui écoutèrent les débats à la radio avant de les dévorer dans les journaux. Les matchs de l’époque étaient souvent conclus par des scores étriqués, les essais y étaient presque miraculeux, et souvent laborieux. Alors, voir deux formations se livrer à une telle orgie offensive, ça relevait du mirage en plein désert. Comparons avec les deux scores de la tournée magnifique des Français de 1958 : 3-3 et 9-5. En 1949, les Springboks avaient infligé un retentissant 4 à 0 aux All Blacks en tournée sans jamais marquer plus de 15 points et sans en encaisser plus de onze (15-11, 12-6, 9-3, 11-8). En 1950, les All Blacks avaient gagné trois tests (plus un nul) face aux Lions sans marquer plus de onze points en 80 minutes.

C’est dire si en cet été 1955 tout le monde fut sidéré par la beauté du spectacle. Il ne nous en est resté que des récits écrits et quelques images captées par les actualités cinématographiques. Sur YouTube, on peut voir l’essai marqué par le pilier droit springbok Chris Koch, une charge sur vingt mètres, d’un dynamisme en avance sur son temps. On voit aussi celui de l’ailier Theuns Briers au soutien d’une avancée de ses avants : accélération en débordement suivi d’un cadrage-débordement sur l’arrière. Cette action non plus n’a pas tant vieilli que ça.

Cliff Morgan à son sommet

Les autres essais, nous n’avons pu que les imaginer, les marqueurs Lions méritent bien la citation : Jeff Butterfield, Jim Greenwood, Cliff Morgan, Tony O’Reilly, Cecil Pedlow plus quatre transformations de l’arrière écossais Angus Cameron. Les Lions avaient séduit par les attaques de leurs trois-quarts, on n’avait jamais vu une équipe aussi peu jouer au pied. Le contexte de la tournée avait servi leur confiance et leurs automatismes. Ces offensives étaient animées par un demi d’ouverture d’exception, le Gallois Cliff Morgan, très connu en Grande-Bretagne car il devint journaliste télé après sa carrière. C’est son accent qu’on entend sur les images du Barbarians-All Blacks de 1973. En 1955, il était l’inspirateur du jeu et le meilleur chanteur de la délégation. Un autre nom a traversé l’histoire, Tony O’Reilly. l’ailier irlandais de 19 ans. Il sortait tout juste de l’école et n’avait joué que cinq fois pour son pays. Il finira la tournée avec seize essais au compteur, puis deviendra un homme d’affaires très prospère. Cliff Morgan avait aussi demandé in extremis la sélection d’un demi de mêlée anglais non international, Dickie Jeeps. Par hasard, les deux hommes avaient joué un match amical ensemble et Morgan avait été conquis par la qualité de sa passe. La fluidité de cette charnière joua un grand rôle dans l’exploit de Johannesbourg.

Les Lions marquent les premiers par l’ailier irlandais Pedlow (3-0) puis les Sud-Africains reviennent à 11-3, puis les Lions inscrivent quatre essais d’affilée, une séquence fantastique avec un Cliff Morgan en apesanteur. Mais le troisième ligne anglais Reg Higgins sort sur blessure laissant ses partenaires à quatorze. Mais, marque de génie, Cliff Morgan choisit de ne pas jouer « petit bras » et continue à affoler la défense adverse. Le pari tourne au triomphe ; 23-11 vers l’heure de jeu. Puis l’altitude de Johannesbourg fait son effet, les Sud-Africains reviennent, servis par leur puissance avec trois essais dans une ambiance de folie, dont le dernier de Briers qui s’abstient d’aller jusqu’aux poteaux. Fatalité ! L’arrière Van der Schyff manque la transformation, l’image restera, elle est injuste. En cette après-midi folle le jeu avait été entraîné vers des rivages inconnus.

Les tournées, des Coupes du monde avant la Coupe du monde

Évoquer ce match entre les Springboks et les Lions de 1955, c’est l’occasion de montrer combien ce genre de tournées était le pivot du rugby mondial de cette époque. En fait, les tournées des Lions faisaient figure de Coupes du monde avant l’heure. Une sélection des quatre pays britanniques qui se mesurait aux deux nations majeures de l’Hémisphère sud : les Sud-Africains et les Néo-Zélandais, c’était une sacrée concentration de talents. Et puis cet événement avait le privilège de la rareté.
Les nations sudistes, isolées, avaient assez peu de matchs à domicile à leur programme, elles n’avaient pas l’équivalent du Tournoi des 5 Nations.
En Afrique-du-Sud par exemple, la tournée de 1955 fut vécue comme un événement exceptionnel qui marqua toute une génération, le public ne les avait plus vus depuis 17 ans. Chaque province voulait se mesurer à eux. Il faut aussi se rappeler que les nations britanniques en elles-mêmes ne faisaient pas de tournées. La France ne commença qu’en 1958. La tournée dura trois mois et compta 25 matchs dont quatre test-matchs. Les deux formations se séparèrent sur un bilan de deux victoires partout mais au bilan général, les Lions finirent avec 19 victoires, un nul et cinq défaites.
Les Lions avaient fait ce long voyage à 31 joueurs seulement. C’était la première fois qu’ils se déplaçaient en avion. Il est assez jouissif de se rendre compte que les tournées des Lions ont survécu jusqu’à nos jours avec autant de prestige. Elles se sont même adaptées au professionnalisme et à la concurrence des Coupes du monde et de la multiplication des matchs. Elles ont été orchestrées commercialement et médiatiquement bien sûr et les chiffres ont changé. Elles comportent désormais une dizaine de matchs à peine, mais impliquent près de 40 joueurs avec très souvent des joueurs appelés en cours de tournée pour pallier les blessures.

Van der Schyff, le martyre

e match extraordinaire eut son martyre, l’arrière sud africain Jack Van der Schyff. C’est lui qui manqua l’ultime transformation, le moment de peine fut immortalisé par une célèbre photo qui le montre tête baissée, seul au monde devant une tribune remplie à ras bord. Ce fut la dernière apparition de Van der Shyff sous le maillot national, alors qu’il avait réussi quatre coups de pied dans ce premier match de Johannesbourg. Il avait vingt-sept ans et son nom resterait à jamais associé à cet échec alors qu’il avait pourtant joué les quatre fameux tests gagnants face aux All Blacks en 1949.
On a dit qu’à Johannesbourg, il avait subi dans les minutes qui précédaient un gros plaquage qui l’avait étourdi. Les buteurs n’utilisaient pas de tee dans les années 50, c’est son demi de mêlée Tommy Gentles qui lui tenait le ballon au moment de la frappe. A-t-il joué un rôle dans cette frappe manquée de si peu ?

L’album de Tom Lyons

Il subsiste peu d’images de ce match extraordinaire. Mais un document formidable existe dans une famille galloise. Un certain Tom Lyons (ça ne s’invente pas), Gallois, s’était établi en Afrique du Sud en 1954 pour diriger un grand magasin de Johannesbourg. Il réussit à suivre la majeure partie de la tournée auprès de l’équipe (son beau-frère, joueur de Cardiff l’avait introduit auprès des joueurs gallois), jusqu’à être assis juste à côté des remplaçants, juste au bord des pelouses. Il envoya à sa femme restée au pays tous les billets, tous les programmes des matchs auxquels il avait assisté. Il avait aussi découpé une série d’articles parus dans les journaux locaux avec des photos (dont celle de Jack Van der Schyff), sa femme et sa fille ajoutèrent des coupures des journaux gallois. Tout ça fut rassemblé dans un cahier qui constitue désormais un ouvrage extraordinaire. Morceau de choix : une lettre écrite par Tom Lyons à sa femme Viv où il décrit dans une langue superbe le scénario du fameux premier test. Témoignage incroyable.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?