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Champions Cup - Dublin, cimetière des illusions toulousaines

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    Dublin, cimetière des illusions toulousaines
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Mieux préparé et indéniablement plus fort que l’an passé puisqu’il a su mettre le Leinster à mal à de nombreuses reprises, le Stade toulousain a encore subi un lourd revers à l’Aviva Stadium, face à son bourreau. sévère et cruel, mais c’est aussi la réalité d’une génération pourtant exceptionnelle.

Les années se suivent et se ressemblent… Fichu dicton, que les Toulousains avaient de quoi exécrer samedi soir. Encore une fois, comme en 2019 et 2022, ils ont lourdement chuté sur cette même pelouse de l’Aviva Stadium, à ce même stade des demi-finales de Champions Cup, face à ce même Leinster. Et ceci a quelque chose de cruel et de désespérant. C’est donc à un satané voyage dans le temps qu’il a fallu s’adonner après la rencontre. Première escale annoncée, l’amertume qui va avec, par le manager Ugo Mola : "J’ai l’impression d’être revenu un an en arrière, presque jour pour jour, et de vous dire à peu près les mêmes choses." Parce que le score final (41-22) confine à une "ère de déjà-vu" (40-17 en 2022). Aussi parce que les mêmes causes entraînent les mêmes effets : des cartons jaunes meurtriers (comme lors des deux précédentes virées à Dublin) et le sentiment que tout fout inexorablement le camp… "Plusieurs faits de jeu ne tournent pas en notre faveur, explique le technicien. Contre le Leinster, on les paye cash. Il faut se préparer à être beaucoup plus lucide pour exister contre ce genre d’équipe. C’est râlant au regard de l’investissement et de l’état d’esprit affiché par les joueurs. Je suis déçu pour eux car ils s’étaient mis le Leinster dans un coin de la tête après le quart contre les Sharks. J’ai rarement vu une équipe se préparer comme ça. Mais il en manque encore pour pousser dans ses retranchements cet adversaire." Pêle-mêle : blessure prématurée de Pierre-Louis Barassi, combinée à celle de Dimitri Delibes plus tôt dans la semaine, qui oblige à une réorganisation majeure ; deux infériorités numériques ; quelques décisions litigieuses de Wayne Barnes dont un plaquage cathédrale sur Juan Cruz Mallia miraculeusement effacé des cartes mémoire… C’était trop. Mais, malgré le tribunal des réseaux sociaux, le capitaine Antoine Dupont est venu rappeler que, comme le Stade toulousain, le hasard a aussi ses limites : "Quand on prend deux cartons jaunes, qu’on fait des fautes sur lesquelles on leur donne des points, c’est dur de discuter derrière. Que ce soit de l’arbitrage, de notre jeu ou de notre stratégie sur l’ensemble du match. Quand il y a quarante points contre soi, on ne parle de rien." Alors, on se tait et on écoute le meilleur joueur du monde.

"Quarante points, c’est la barre fatidique"

Le pire ? C’est que, si les deux dernières représentations toulousaines à l’Aviva ont accouché du même bide, les mises en scène étaient diamétralement opposées. L’an passé, l’illusion n’avait tenu qu’à la grâce d’un essai tombé du ciel sur une interception à 80 mètres de l’en-but adverse d’Antoine Dupont, mais ce Stade-là n’avait franchement pas existé face à la machine du Leinster. Pour être honnête, il n’avait alors strictement aucune chance de l’enrayer. Et si le même Dupont (héroïque samedi, comme le furent Meafou, Willis ou Ahki) semblait cette fois tellement blasé derrière son pupitre en conférence de presse, c’est parce qu’il sait mieux que personne combien les temps avaient changé : "J’ai senti une grande différence. La physionomie du match est totalement autre. Là, nous avons réalisé une bonne entame et avons marqué rapidement. Mais tout s’est enchaîné après le premier carton jaune… Pourtant, nous arrivions à porter le ballon, à les déborder, à casser les plaquages, à "breaker" leur ligne. Physiquement, l’équipe était bien. Certes, eux rattrapaient les coups mais nous étions dangereux, en position de marquer. C’était beaucoup plus compliqué l’an passé." Puis de dresser l’accablant constat : "Le Leinster se déplace énormément, parvient à ne pas prendre d’essai malgré les longues séquences. C’est là que cette équipe est forte, elle n’encaisse pas de points sur beaucoup de ses temps faibles. Nous n’avons pas su en faire autant." Et il y a là une forme de dépit, lui qui a aussi rendu les armes à Dublin début février avec les Bleus, face à ces diables de Verts qu’ils retrouvaient pour la plupart samedi. Ces mecs froids, cliniques, sans pitié. "C’est un rouleau compresseur, souffle Matthis Lebel. Dès qu’il met la marche avant… À quatorze, tu prends la grêle !" 28-0 exactement en deux fois dix minutes, pour filer au tableau d’affichage un écart probablement trompeur mais terriblement réel. "Quarante points, c’est la barre fatidique en rugby, reprend Lebel. Les prendre, ça ne fait jamais plaisir." Et Emmanuel Meafou d’ajouter : "A quinze contre quinze, on a fait bien mieux que rivaliser. Je n’ai pas senti le Leinster plus puissant que nous, mais on doit se poser les bonnes questions."

Le fameux point laissé à Sale…

Alors, il est aussi l’heure de faire un autre bond dans le passé, moins lointain. En janvier dernier, dans un duel qu’il a dominé de la tête et des épaules sur le terrain de Sale, le Stade toulousain a vu s’échapper un bonus offensif qui lui tendait les bras et qui aurait sensiblement modifié la trame de ce film. Une seule petite unité qui aurait offert de doubler La Rochelle et de bénéficier d’un parcours plus dégagé, sans croiser le Leinster avant la finale… "Nous avons tous conscience que le point laissé à Sale, avec un scénario assez hallucinant puisqu’on avait eu cinq ou six occasions franches sans marquer, était une balle dans le pied ou en tout cas un frein, reconnaît Mola. Et que ça nous mettait sur la route du Leinster à Dublin, qui va enchaîner son quatrième match à domicile. Il nous aurait peut-être permis de venir à Dublin à la fin du mois de mai. Voilà, c’est notre histoire." Et elle s’acharne, au point que la fatalité de l’Aviva est devenue son pire ennemi. Sa morale, c’est sûrement que – malgré tous ses efforts sur et en dehors du terrain – cette équipe doit encore mieux maîtriser son destin pour asseoir sa suprématie et en finir avec cette fable du bourreau irlandais. L’épisode de Sale n’en est que l’illustration. "C’est dur quand on voit les moyens mis par le club pour qu’on arrive dans les meilleures dispositions, en optimisant notamment la régénération des troupes, même avec les périodes internationales, regrette Lebel. On pensait être prêts mais, apparemment, la marche était encore un peu haute." Ce que confirme Mola : "Les échecs sont faits pour s’aguerrir. Ce groupe grandit, évolue et on aimerait que nos leçons soient apprises plus vite. Le Stade toulousain n’a pas été catastrophique, loin de là. Il s’est jeté dans la bataille mais a manqué de précision dans les moments clés."

"Essayer encore. Rater encore. Rater mieux."

Enfin, puisqu’il ne sert à rien de constamment se retourner, surtout quand les flash-back sont aussi douloureux, cette exceptionnelle génération doit aujourd’hui avancer. Encore et toujours se projeter sur le jour d’après. Parce que, si le Leinster venait à décrocher – comme Toulouse – un cinquième titre européen (pardon aux Sud-Africains, c’est la nostalgie qui parle) dans trois semaines, elle aura d’autres occasions de remporter la guerre des étoiles dans les années à venir. Aussi parce qu’elle a de fortes chances de recroiser les Irlandais à un moment ou à un autre d’ici quelques mois, et qu’il faudra les rayer des nominations officielles pour viser la récompense mondiale. Et puis, parce que les Dupont, Ntamack, Marchand, Ramos et consorts ont un énième volet de leur légende grandissante à écrire en Top 14. "Ne vous inquiétez pas, la saison n’est pas terminée, prévient Mola. Nous sommes abattus et avons besoin des 24 ou 48 heures nécessaires pour digérer cette défaite. Mais on va se préparer pour essayer de finir dans les deux premiers. C’était notre objectif, quoi qu’il puisse arriver au Leinster. Il n’y a pas de raison qu’on ne soit pas à la hauteur de ce qu’on est capables de faire en championnat depuis le début de saison. Comptez sur nous pour être présent." En 2019, ils avaient su relever la tête pour soulever le vingtième Brennus du club. "Il n’y a plus de calcul à faire", lance Meafou. "Je vous assure que, dès le week-end prochain, on sera compétitifs en Top 14", renchérit Lebel. Une conviction ou un soin palliatif ? Dupont sonne la révolte : "Il reste une compétition, donc un titre. Soit on baisse la tête et on arrête la saison, soit on se remobilise et on va le chercher. Ce groupe a de l’ambition mais, au-delà de dire qu’on se focalise sur le championnat, il faut surtout continuer à travailler et être plus exigeant envers nous-mêmes. Des détails ne pardonnent pas, des fautes trop bêtes qu’on ne peut pas faire, qu’on ne doit plus faire. On les fait encore. Il faut donc qu’on apprenne et qu’on l’applique pour aller chercher quelque chose." Et prouver que, si l’Aviva est leur tombeau, il doit aussi être le fruit de leur renaissance. Finalement, l’inspiration des Toulousains viendra de la formule de Samuel Beckett, célèbre écrivain… irlandais : "Essayer encore. Rater encore. Rater mieux."

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