Baky écrit - Un dimanche au Stade de France

Par Rugbyrama
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    Baky Écrit Midi Olympique - Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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BAKY ÉCRIT - Pour cette nouvelle chronique, Bakary Meité nous raconte comment il a vécu le match du Tournoi des 6 Nations entre la France et l'Écosse, en compagnie de son fils. Âgé de sept ans, ce dernier a animé la rencontre de notre chroniqueur, c'est le moins qu'on puisse dire...

Tous ceux qui ont une petite fille ou un petit garçon d’environ 7 ans, tous ceux qui ont déjà emmené ce chérubin au Stade de France pour la première fois se reconnaîtront sûrement dans cette chronique. Quant aux autres, faites preuve de complaisance ici. Je vais vous partager les élucubrations de mon fils, qu’on appellera pour l’occasion : le tipeu.

Avec une tentative d’explication pour chacune de ses interventions. J’insiste sur le mot tentative. Dieu seul sait ce qui se passe réellement dans la tête d’un gamin de 7 ans.

Pour son septième anniversaire, j’ai donc décidé de l’emmener voir un match du Tournoi des 6 nations. Grâce à son tonton qui joue en équipe de France. Son effacement m’oblige à le laisser dans un anonymat relatif. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il a pleinement rempli son rôle de finisseur après son entrée à la 63e min.

Mon père ne m’a jamais emmené voir un match de rugby pendant le Tournoi. Son intérêt pour le rugby devait être à peu près égal à la température qui régnait du côté de Saint-Denis, dimanche. Difficile dès lors de lui faire grief. Je me contentais des deux Pierre dans mon poste : Albaladejo et Salviac.

Après un petit cheminement dans les rues dionysiennes à bord du bus 153, nous arrivâmes au pieds du Stade. Le tipeu arpenta les escaliers qui mènaient au parvis avec appétit, mais sans vergogne pour les vieux genoux de son père.

  • C’est ça le Stade français ? C’est là que t’a joué ?

  • Stade de France. Et non, j’y ai jamais joué.

Confusion.

  • Ah oui le stade français c’est à Paris. Mais là, on est à Paris aussi. Ah ouais, c’est comme à Carcassonne, t’as plusieurs stades. Y’a le vrai stade où tu jouais et y’a le stade à côté de la crèche. Et tu sais, papa ? Tu sais que le frère de mon copain il est à la crèche ?

Ne me laissant aucune chance de lui demander de quel copain il s’agissait, il changea de sujet aussi vite que son cerveau d’enfant de 7 ans le lui permettait.

  • Papa, elles sont où les vaches ?

  • Les vaches ?

  • Ben oui, comme à Carcassonne. Quand tu jouais, y’avait des vaches.

Comprenez : il y avait des éleveurs bovins qui présentaient leurs plus belles bêtes sur l’esplanade devant le stade, lors de certains matchs à domicile de l’US Carcassonne.

Là encore, la réponse lui importait peu.

À notre entrée dans le stade, le tipeu laissa échapper un waouh d’émerveillement.

Nous nous assîmes à nos places quand la présentation des joueurs débuta. Les yeux rivés sur l’un des écrans géants, il reconnut aisément les têtes d’affiche de ce XV de France. Jalibert, Dupont, Ntamack… Avec des réactions exaltées lorsque Reda Wardi et Sékou Macalou apparurent.

  • Papa, la chanson de la France, tu l’as apprise à l’école ?

  • La Marseillaise.

  • Quoi ?

  • C’est le nom de la chanson de la France.

  • Et pourquoi moi je l’ai pas apprise encore ?

  • Et ben on l’apprendra ensemble.

Sachez que dans les jours et les semaines à venir, je vais avoir droit à des rappels multi-quotidien qui reprendront à peu près ces termes : "papa tu te rappelles t’avais dit que t’allais m’apprendre la chanson de Marseille ?" Je n’y échapperai pas. Le tipeu n’oublie jamais et le respect des engagements pris endosse une importance des plus capitales pour lui.

Le match débuta et, presque instantanément, les premiers Allez les Bleus descendirent des travées. Nouvelle occasion pour le tipeu.

  • Papa, mais les Bleus, c’est l’Écosse !

  • Oui mais c’est parce que…

  • Papa, Scotland ça veut dire Écosse. Je l’ai vu sur mon globe que tu m’as acheté. C’est comme l’Afrique du Sud. Tu sais comment on dit en anglais ?

  • Dis-moi

  • Soute-Africa

  • Presque ça.

Ses yeux ne quittaient que très brièvement l’immense panneau de leds.

  • Aux Jeux olympiques, quand on est plaqué la balle elle sort toute seule.

  • Pardon ?

  • Aux Jeux olympiques, quand on est plaqué la balle elle sort tou-teu seu-leu.

En appuyant sur les syllabes comme pour me signifier que je ne faisais aucun effort de compréhension. Après un moulinage intensif, je compris l’intervention du tipeu.

Comprenez, au rugby à 7 (présent aux Jeux Olympiques) la balle elle sorte tou-teu seu-leu : les rucks vont beaucoup plus vite. Ce qui était fondamentalement vrai.

  • Papa, tu m’as dit que le match commençait a 16 :00 ?

  • Euh oui.

  • Ça fait 9 min que ça joue donc il est 16h09 ? ajouta-t-il goguenard.

  • Il est 16h13, avouai-je.

  • Comment ça se fait ?

Le tipeu expérimenta sa première OLA dans une excitation silencieuse. Je n’y participai pas. Trop occupé que j’étais par l’immortalisation de ce moment sur la pellicule de mon smartphone. Entendu que je ne regarderai jamais cette vidéo. Et qu’elle viendra simplement réduire la mémoire disponible de mon téléphone de quelques octets.

  • Le numéro 10 de l’Écosse, il tire bien.

  • Il joue au Racing. C’est Finn Russell

  • Quoi ? c’est un Français ?

  • Non c’est un Écossais.

  • Mais pourquoi il joue en France ? Ça veut dire qu’il peut jouer en France et en Écosse ?

J’abdiquai de lui expliquer les spécificités de la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne.

  • Là, papa, y’a eu 2 cartons rouges à 2 joueurs ! Mais il a pas fait exprès, en plus… Hé papa, tu savais que Zidane il avait pris 2 cartons rouges ? C’est parce qu’il avait mis un coup de tête dans le ventre de quelqu’un. Et une autre fois parce qu’il avait marché sur quelqu’un.

  • Ah bon ?

Danse frénétique sur les essais français, malgré un intérêt approximatif pour ce qui se passait sur le pré. Entrecoupé par d’innombrables questions. Rien ne me fut épargné.

  • Papa, tu sais, normalement on devrait supporter l’Écosse. Tu sais pourquoi ?

  • Non…

  • Parce qu’on a un aimant sur le frigo, y’a marqué Scotland avec le drapeau et un mouton. Pourquoi y’a un mouton ?

  • Ah oui, c’est moi qui l’avais ramené quand j’avais joué là-bas.

  • T’as joué là-bas ?

  • J’ai joué contre.

  • Mais t’as pas joué avec l’équipe de France et t’as joué avec la Cote d’Ivoire !

  • C’était en coupe d’Europe.

  • Coupe d’Europe ? Mais la Côte d’Ivoire c’est pas en Europe, c’est en Afrique

J’aurais pu continuer longtemps, tant la sagacité du tipeu est inépuisable. J’ai décidé de vous servir ce florilège. Il ne se rappellera sûrement pas des phases tactiques de ce match, son attrait pour le rugby se limitant au visionnage des matchs à la télé où, en l’occurrence, au stade. Selon ses propres termes, le rugby est un sport un petit peu trop violent… "Moi je veux faire du basket".

Mais j’aime à penser qu’il a passé un bon moment. Qu’il était peiné pour Mohamed Haouas, qu’il était content de la victoire et aussi parce qu’il a vu un feu d’artifice. Que ses souvenirs seront ailleurs que sur le terrain. Par exemple : "papa, le monsieur il a une jupe".

Il ne le sait pas, il le découvrira peut-être dans quelques années, vu que tout est gravé dans le marbre numérique, mais il m’a donné de la matière pour ma chronique.

Il m’a surtout permis de chérir ce moment qui, pour sûr, n’est pas près de me quitter. Merci le tipeu.

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