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200 ans d'histoire (6/52) : 1871, la fin du hacking, le début du vrai rugby

  • Le Hacking était une pratique très douloureuse.
    Le Hacking était une pratique très douloureuse. Fabien Aigrin-Védille - Fabien Aigrin-Védille
Publié le Mis à jour
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Les débuts du rugby en tant que sport à part entière datent de 1871 quand la Rugby Football Union écrivit les premières règles à vocation universelle. Elles proscrivaient le hacking, une pratique jugée comme barbare mais qui avait ses partisans.

Qu’est ce qui définit vraiment le rugby ? À quel moment s’est-il séparé de son sport cousin, le football ? Quand a-t-il vraiment trouvé son identité et son unité ? Autant de questions qui nous renvoient à la période de gestation de notre sport. Elle a duré, en gros, trente ans entre 1840 et 1871. On peut la faire cesser au moment de la fondation de la Rugby Football Union, la fédération anglaise, qui fixa les premières règles spécifiques. On se souvient que le premier test entre l’Angleterre et l’Écosse de mars 1871 fut joué selon des règles, sinon incertaines, du moins discutées de gré à gré. C’était le cas pour les matchs interclubs de l’époque, précédés de longs palabres sur les gestes interdits ou autorisés.

En janvier 1871, vingt clubs anglais se réunissent pour jeter les bases d’une fédération, et en juin 1871 ; un comité directeur, puis une assemblée générale adoptent les premières lois du jeu, au nombre de 59. Elle sont le canevas du rugby que nous connaissons aujourd’hui.

Algerron Rutter, de Richmond, fut le président sous l’autorité de qui le rugby émergea du marécage des premiers âges. On rappelle qu’au début, le jeu ne connaissait quasiment pas de passes, il consistait à gagner le ballon via de grosses mêlées, en frappant le ballon avec le pied, plus ou moins loin, mais le collège de rugby avait accepté le principe de la saisie du ballon avec la main.

Quand on se replonge dans les débats de cette période, on se rend compte que la principale controverse concernait le hacking, ou l’art de donner des coups de pied à l’adversaire, avec la pointe de la chaussure et en dessous du genou avec tous les risques de fracture "tibia-péroné" que cela comportait. Cette pratique était admise et même encouragée par les règles du collège de Rugby. Mais beaucoup la jugeaient barbare et dangereuse. Le hacking fut d’ailleurs au cœur des bisbilles de 1863 qui aboutirent à la création de la Football Association (fédé anglaise de football). Les tenants du "football rugby" firent sécession parce que la majorité des clubs voulaient en finir avec ce geste technique si douloureux.

M. Campbell dirigeant de Blackheath déclara : « Le hacking est le véritable football, si on le supprime tout le courage et tout le cœur propre au jeu disparaîtront. » Mais dès les années 1867, même les partisans du « football rugby » commencent à se poser des questions. Le club de Richmond décide de limiter la pratique aux seuls porteurs du ballon et aux joueurs en contact avec la balle dans les mêlées. Et puis, lors des fameuses sessions de 1871, Algerron Rutter et son équipe franchissent le pas. Le hacking est interdit, ainsi que son corollaire, le croc en jambes. Le rugby quitte les âges farouches, il n’accepte plus les coups incisifs infligés au corps de l’adversaire. Celui qui rédige les règles, L.J. Maton avait d’ailleurs été victime d’une fracture d’une jambe peu de temps auparavant.

Et les passes firent leur apparition

La fin du hacking correspond à la marche du jeu vers la modernité et la maturité, on s’affronte désormais entre gens civilisés. Au cours de ces années décisives 1870, elle se couple avec l’autorisation d’une nouvelle pratique plus douce, ce que nous appelons aujourd’hui le plaquage : on peut bloquer avec ses bras un adversaire sur tout le haut du corps, à noter que les règles du collège de rugby autorisaient déjà la saisie d’un bras du porteur du ballon. Dans les premières années, il est interdit de plaquer un adversaire aux jambes, mais la pratique est vite légalisée sous l’influence des écoles écossaises au nom d’un culte de la virilité.

Le rugby que nous connaissons aujourd’hui est vraiment en train de prendre forme. Le dernier développement fut celui de la passe, très rare au début, de plus en plus fréquente au fil des ans. La disparition du hacking avait rendu le jeu aéré moins dangereux et les joueurs ressentaient le désir de sortir des sombres combats d’avants. On comprit que le football rugby pouvait aussi favoriser les actions rapides et vives. Il est difficile de dater avec précision l’apparition de l’idée d’une passe, forcément en arrière. Les témoignages ne sont pas très clairs à ce sujet. Mais les règles de 1871 la consacrent. Les équipes jouaient avec dix avants, deux demis derrière le pack et trois arrières chargés essentiellement de défendre. Mais on se rend compte qu’à partir des années 1875-1876, les équipes ajoutent un trois quart aux côtés des demis. Sa mission est offensive, le jeu de passes était né. On évoque comme promoteur, Harry Vassal capitaine de l’Université d’Oxford des années 1878-1880, qui se serait inspiré de la philosophie du jeu d’échecs.

Déjà, les débats sur la sécurité des joueurs

A la fin des années 1860, la question du hacking provoqua une vraie campagne de presse en Angleterre. Dans sa « fabuleuse histoire du rugby » Henri Garcia relate l’existence d’un article du Times qui sous une signature anonyme (« Un médecin »), dénonce une série de blessures graves au Collège de Rugby à cause du hacking. Le Punch (journal satirique) publie de nombreuses critiques du même acabit et demanda à ce que le parlement légifère. Dans les années 1910, le magazine The Cornhill publia un reportage assez édifiant sur les pratiques du collège de rugby racontées par un ancien élève : « Il y avait beaucoup d’incidents graves, comme on pouvait s’y attendre, avec d’aussi nombreux joueurs, des mêlées interminables et un « hacking » inconsidéré. On admettait comme une chose naturelle que bras, jambes, clavicules, genoux, chevilles, soient fréquemment cassés, disloqués, fracturés. Ainsi je me souviens du cas tragique d’un garçon, que je connaissais bien dont le dos fut brisé sous une mêlée. Je suis étonné qu’il n’y en eut pas davantage. » Comme quoi les controverses sur la sécurité des joueurs ne datent pas d’aujourd’hui.

En 1892, A.G. Guillemard, président de la RFU témoigna de ce qu’il avait vécu comme joueur dans les années 1860 . Pour lui, le hacking n'était pas aussi dangereux qu’on le supposait, il l’assimilait à un simple croche-pied. Il reconnaissait néanmoins que c’était en mêlée que le hacking était le plus dangereux. Il précisait tout de même : « Il n’était pas rare de voir un couple de joueurs engagés vigoureusement à se distribuer des coups sur les tibias, bien longtemps après que la mêlée se soit disloquée. » Quant à l’ineffable Francis Maule Campbell de Blackheath, après la fameuse déclaration citée ci-dessus il a ajouta cette curieuse phrase à la limite du mépris et de l’admiration pour le peuple de France : « Sans le hacking, vous supprimerez du jeu le cran et le courage et je me fais fort de vous amener un grand nombre de Français [sic] qui vous battront après une seule semaine d’entraînement . »

On avait oublié le ballon

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la forme et les dimensions du ballon de rugby ne furent pas mentionnées dans les fameuses règles de 1871. La forme ovale ne sera consacrée par écrit qu’à partir de 1892 avec des dimensions proches de celles que nous connaissons. Au tout début, les ballons de rugby avaient plus la forme d’une prune que d’un œuf. Puis le ballon de rugby prit naturellement la forme de la vessie de porc avec laquelle il fut fabriqué à partir des années 1850-1860. A Rugby, la ville, plusieurs cordonniers s’étaient spécialisés dans sa production, dont le célèbre William Gilbert (dont l’entreprise existe toujours) et son concurrent Richard Lindon (il introduisit le caoutchouc comme matière première ainsi qu’une pompe pour le gonfler). La forme ovale épousa parfaitement la pratique du football rugby à mesure que le jeu à la main se généralisait. Par comparaison, le football précisa que son ballon devait être parfaitement sphérique, dès la création de la Football Association en 1863. Sa rotondité se prêtait mieux à un jeu uniquement pratiqué avec les pieds.

 

On avait aussi oublié les arbitres

C’est une autre curiosité rétrospective. Les premières règles unifiées du rugby ne donnaient pas une grande place aux arbitres. Cette fonction n’apparaissait pas comme indispensable aux législateurs, l’idée est que les joueurs devaient s’autogérer s’imposait à tous les esprits. On estimait que les deux capitaines devaient s’expliquer entre eux pour résoudre les litiges. Quelques expériences arbitrales étaient tentées de ci de là. En 1871, lors du fameux premier test Ecosse-Angleterre, il y avait bel et bien un arbitre, H.H. Almond, directeur du collège écossais de Loretto. Les joueurs étaient allés le voir en fin de match pour reprendre pour un quart d’heure ou vingt minutes la pratique du Hacking, il refusa.

Mais la Rugby Union ne prévoira expressément le recours à un arbitre qu’en 1874, si les deux équipes le désiraient, mais les deux capitaines devaient être d’accord avec ses décisions.

On estime que l’émergence d’un arbitre omnipotent ne s’est imposé qu’au cours des années 1880, avec l’apparition des pénalités vues comme des sanctions, du droit d’expulser des joueurs et de l’utilisation d’un sifflet. Le terme referee apparaît en 1885, on parlait avant de Umpire (un mot qui existe toujours dans certains sports et dans un langage soutenu).

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