La tendance de Marc Duzan : ne plus jamais se taire...

Par Marc Duzan
  • Anton Peikrishvili s'est exprimé il y a quelques semaines, appelant à l'aide.
    Anton Peikrishvili s'est exprimé il y a quelques semaines, appelant à l'aide. Laurent Frezouls / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Il est des appels qui marquent plus que d’autres. Des images qui résistent à l’évanouissement naturel du flot de nos pensées quotidiennes. Il s’est passé quoi ? Quinze jours, trois semaines depuis le soir d’hiver où le pilier géorgien Anton Peikrishvili m’a contacté ?

Pour autant, je n’ai rien oublié de son visage déformé par la douleur, de ses yeux rougis par les larmes, de sa grosse carcasse de pilard international (27 sélections avec les Lelos) se traînant, par moins 10 degrés et les pompes dans la neige, aux abords d’un monastère de Koutaïssi accroché aux montagnes du Caucase. "Peikri", ancien joueur de Castres, Bayonne et Agen, disait alors être anéanti par une terrible dépression, demandait de l’aide et exigeait du mal le rongeant depuis six mois qu’il ne cesse enfin : "Dès que je ferme les yeux, il y a une voix qui martèle dans ma tête : "Regarde-toi : tu n’es qu’une merde. Tu es fini. Depuis que tu as quitté le Top 14, tout le monde t’a oublié. Tu ne mérites pas de vivre".

Cette voix, ce type, je n’arrive pas à les faire taire. Je n’y arrive plus… " Ce soir de janvier, l’appel au secours d’Anton Peikrishvili faisait donc suite au témoignage tout aussi poignant du capitaine du Stade français Paul-Alo Emile, qui nous avait confié dans Midol, fin décembre, un mal-être similaire : "Je n’avais plus envie de rien. Je n’avais plus d’énergie. Un jour, j’ai même failli m’ôter la vie… […] En fait, tu arrives à un point où tu vois tout en noir. J’aime ma femme et mes enfants plus que tout au monde mais ce mal, en moi, ne me permettait même plus de les voir. Je n’étais plus personne. Mon cerveau m’envoyait de mauvais messages". 

Anton Peikrishvili, ancien pilier d'Agen, s'est confié sur son mal-être.
Anton Peikrishvili, ancien pilier d'Agen, s'est confié sur son mal-être. Icon Sport - Icon Sport

Qu’est-ce qui fait donc que nos champions souffrent-ils donc tellement ? Et le rugby pro en fait-il finalement assez pour préparer ses poilus à l’"après" ou les accompagner psychologiquement, lorsque les blessures persistent et que le déclin guette ? On n’en sait rien. On demande. Mais on se souvient aussi de ce qu’ajoutait au téléphone le bon Anton, ce soir de crise : "Les clubs pros, ils sont tous à la pointe pour leurs entraînements : ils ont des analystes vidéos, ils nous collent des GPS sur la nuque mais ne nous aident pas, quand notre tête va mal. Moi, personne ne m’a préparé à l’après-carrière. Personne ne m’a dit que ce serait peut-être difficile : un jour, tu es sur le toit du monde au Stade de France et le lendemain, tu n’es plus rien. La plus grosse problématique du rugby, ce n’est pas les billets de Sébastien Chabal pour la Coupe du monde : c’est l’état mental des joueurs pros". 

Au moins, le tabou sur la dépression du sportif semble aujourd’hui tomber. Au moins, la parole se libère et lorsqu’un champion n’en peut plus, il accepte désormais de crier à l’aide et de mettre des mots sur les maux : il parle de "maladie" quand il ne concédait, jadis, qu’une "fatigue mentale" ou une "méforme passagère". Et dans le sillage des maquisards ordinaires de sa première ligne, le rugby français exhume enfin ce que le vestiaire et sa culture du secret s’obstinaient jusqu’ici à enterrer. Ne craignez plus de parler, garçons. Les rugbymen ont aussi le droit de pleurer…

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