La dépression dans le rugby pro, un sujet de moins en moins tabou

  • Mathieu Giudicelli, ancien joueur pro et actuel directeur général de Provale
    Mathieu Giudicelli, ancien joueur pro et actuel directeur général de Provale Provale
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Hasard du calendrier, le Blue Monday, jour le plus déprimant de l'année, intervient dans une période où les rugbymen professionnels, en activité ou retraités, évoquent le thème de la dépression qui touche beaucoup d'entre eux. Un sujet de moins en moins tabou.

Le concept est davantage mathématique que scientifique. Le Blue Monday est considéré comme le jour le plus déprimant de l'année. Et ce n'est pas le résultat d'une grande étude mais en fait un simple calcul du calendrier, puisque ce jour intervient le troisième lundi de janvier qui combine un éloignement des fêtes de fin d'année, les dettes engendrées par celles-ci et la météo hivernale peu emballante.

Il n'empêche que cette année, la coïncidence veut que le thème de la dépression soit repris dans le rugby. Ce dimanche, Anton Peikrishvili a tenu à s'exprimer sur sa situation. L'international géorgien (35 ans, 27 sélections), passé par Agen, Castres, Brive et Bayonne, exprime ceci : "Il y a sept mois que la dépression me ronge, dit-il à présent. Dès que je ferme les yeux, il y a une voix qui martèle dans ma tête : "Regarde toi : tu n’es qu’une merde. Tu es fini. Depuis que tu as quitté le Top 14, tout le monde t’a oublié. Tu ne mérites pas de vivre". Cette voix, ce type, je n’arrive pas à les faire taire. Je n’y arrive plus..."

Un jour, j'ai même failli m'ôter la vie

S'il a décidé de sortir de son silence, c'est en raison du témoignage du capitaine du Stade français Paul Alo-Emile. Le pilier avouait : "Un jour, j'ai même failli m'ôter la vie". Depuis le monastère dans la région de Koutaïssi où il est en retraite pendant plusieurs jours, l'ancien pilier poursuivait : "Je sais que beaucoup de joueurs souffrent du même mal que moi. Mais ils n’osent pas le dire. Il faut pourtant qu’un jour ou l’autre, la parole se libère. Quand j’ai lu l’interview de Paul Alo-Emile, j’ai eu envie de lui faire un câlin et de lui dire : "Nous sommes dans la même galère, mon petit frère." Les clubs pros, ils sont tous à la pointe pour leurs entraînements : ils ont des analystes vidéos, ils nous collent des GPS sur la nuque mais ne nous aident pas, quand notre tête va mal. Moi, personne ne m’a préparé à l’après-carrière. Personne ne m’a dit que ce serait peut-être difficile : un jour, tu es sur le toit du monde au Stade de France et le lendemain, tu n’es plus rien. La plus grosse problématique du rugby, ce n’est pas les billets de Sébastien Chabal pour la Coupe du monde : c’est l’état mental des joueurs pros."

Ce qui se passe chez ces joueurs c'est un syndrome dépressif, des maux de tête chroniques, une irritabilité, des problèmes de couple, des problèmes dans l'après sport, et donc c'est la gestion de la vie d'après rugby et c'est dramatique

Dire que déjà, les confessions de Paul Alo-Emile faisaient écho à celles de Christopher Tolofua, qui concédait : "J'ai développé une forme de dépression". Les raisons à ce mal-être récurrent peuvent être trouvées dans les commotions cérébrales subies tout au long d'une carrière pouvant durer huit à quinze ans.

"Elles appartiennent au traumatisme crânien léger, définissait le neurologue Jean-François Chermann sur Europe 1 au début du mois. C'est une altération des fonctions neurologiques à la suite d'un impact qui est transmis au cerveau." Le professionnel de santé a commencé à travailler sur la question en 2005 : "Ce qui se passe chez ces joueurs c'est un syndrome dépressif, des maux de tête chroniques, une irritabilité, des problèmes de couple, des problèmes dans l'après sport, et donc c'est la gestion de la vie d'après rugby et c'est dramatique."

Ce n'est pas tout, l'isolement social est un facteur déterminant. "On passe d'une vie en groupe, avec des copains autour d'un sport qu'on aime, à un quotidien isolé, avec du kiné, déplore Mathieu Giudicelli. En plus, j'ai fini handicapé physiquement..." Le directeur général de Provale a vécu la même transition difficile : "Ma carrière s'est arrêtée brusquement et j'ai passé des moments très difficiles car y arriver demande beaucoup de sacrifices et j'étais jeune."

Aussi, le syndicat des joueurs professionnels s'est emparé du sujet. "Il existait déjà un numéro vert et on l'a fait évoluer avec la mise en place d'une cellule psychologique prise en charge par Provale. Les joueurs sont suivis grâce à deux psychologues à disposition et un processus individualisé." La partie reconversion a été accentuée, pour lever au maximum les doutes qui frappent les joueurs en fin de carrière.

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