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200 ans d'histoire (1/52) : William Webb Ellis, la génèse d’un mythe

  • En 1987, le nom de William Webb Ellis a fini d’entrer dans la postérité. On a baptisé de son nom la toute nouvelle Coupe du monde.
    En 1987, le nom de William Webb Ellis a fini d’entrer dans la postérité. On a baptisé de son nom la toute nouvelle Coupe du monde.
Publié le Mis à jour
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En cette année 2023, le rugby fête ses 200 ans. Midi Olympique vous propose de célébrer cet événement à travers une série d’articles qui retraceront l’histoire de notre sport depuis 1823. Le lundi, ils concerneront les dates clés de l’évolution du rugby : le jeu lui-même, le style, la technique, l’organisation des compétitions, son économie ou son impact sur la société. Le vendredi nous évoquerons les moments les plus forts et les plus émouvants de deux siècles de passion ovale, en toute subjectivité.

C’est avec lui que tout aurait commencé, il y a deux siècles, à rugby. Âgé de seize ans, William Webb Ellis, poussé par on ne sait quelle inspiration, aurait saisi le ballon à pleines mains au mépris de tous les usages.

Quand il est arrivé devant le créateur, l’humble pasteur n’a peut-être présenté qu’une vie d’austérité et de vertu ; peu de péchés à admettre, peu de tentations bassement assouvies. Le recteur William Webb Ellis a quitté ce monde dans l’anonymat après un ministère à Londres, puis dans l’Essex avant un séjour, sans doute médical (lire ci-dessous), sur la Côte d’Azur, touche d’exotisme dans un parcours marqué par le puritanisme.

S’il y a vraiment une vie après la mort, alors Williams Webb Ellis a, depuis les limbes, assisté avec stupéfaction à la résurrection de sa mémoire. Son nom est en effet connu partout sur la planète ovale. Tout ça parce qu’il aurait commis LE geste originel. Élève au très vieux collège privé de Rugby, dans le Warwickshire, il aurait ramassé le ballon au cours d’un match de football (au sens large du terme) pour courir droit devant lui vers l’en-but, le camp opposé. Webb Ellis avait seize ans. L’action s’est déroulée sur le terrain du Bigside, qui existe encore.

Un geste iconoclaste

Il faut bien comprendre qu’à l’époque, le collège de Rugby pratiquait un jeu où l’on était censé s’échanger des coups de pied jusqu’à envoyer le ballon derrière la ligne de but. L’équipe qui n’avait pas le ballon avait le droit de foncer jusqu’à l’endroit où l’adversaire avait pris la balle. Par son initiative iconoclaste, Williams Webb Ellis ouvrit donc la porte d’un nouvel univers.

200 ans plus tard, on ne sait pas précisément si ce geste a vraiment conduit directement à un changement des règles du jeu pratiqué à Rugby. Aucun document n’en atteste. On sait juste que William Webb Ellis a quitté le collège en 1825, à 19 ans, pour entrer à l’université d’Oxford. Personne ne l’a décrit comme un meneur charismatique susceptible de changer à lui seul le cours d’une pratique séculaire. Mais les témoignages estiment qu’à cette époque, un jeunot ou un être insignifiant qui aurait aussi brutalement transgressé les usages se serait exposé à une raclée en bonne et due forme par les plus anciens.

Surtout, on ne sait pas non plus si ce geste a vraiment été réalisé. Et c’est là où l’histoire de William Webb Ellis prend tout son caractère mythologique. La scène a-t-elle vraiment eu lieu ?

Ressuscité par un témoignage, 57 ans après

L’évocation du moment décisif de 1823 repose sur un seul témoignage, celui de Matthew Bloxam, un antiquaire de Rugby (la ville). En 1880, à l’âge de 75 ans, il avait écrit un article dans la revue des anciens élèves, « Rugby Meteor », pour rappeler ce qu’était le football de la célèbre école dans les années 1815-1825. C’était un récit biographique puisque Bloxam était lui-même un ancien élève du prestigieux collège, l’un des plus anciens encore en vie. Et c’est dans les pages de cette publication qu’il écrivit les lignes donnant naissance au mythe : « Dans la seconde moitié de 1823, il y a 57 ans, fut provoqué vraiment sans aucune préméditation, ce changement à l’une des règles qui, plus que toute autre, a depuis distingué le jeu de l’école de Rugby des règles de l’association. Un garçon du nom de William Webb Ellis, garçon de la ville et boursier (…) prit la balle dans ses bras. (…) Cette fois-là, il trangressa la règle et en saisissant la balle, au lieu de reculer, fonça droit devant lui... »

Pourquoi, comment ce récit émergea-t-il ? Il fut mis en avant par la société des anciens élèves du collège qui avait nommé une commission d’enquête sur les origines du jeu. Elle était composée de quatre notables méticuleux dont le président de la RFU en personne, Arthur Guillemard. Il fallut à cet aréopage sept ans de travaux pour enfin publier un rapport en 1895, et l’imprimer en 1897. Noir sur blanc, on pouvait y lire ce passage capital : « A une certaine date entre 1820 et 1830, l’innovation fut introduite de courir avec la balle. Cela fut fait selon toute probabilité dans la seconde moitié de 1823 par M. Webb Ellis, qui est crédité de l’invention par M. Bloxam. »

Le mythe était lancé, on posa illico une plaque sur un mur du collège. Le rugby tenait son créateur, un héros innocent touché par la grâce. Tout porte à croire qu’il n’a pas pris conscience de la portée de son geste et qu’il ne s’intéressa plus guère au rugby jusqu’à la fin de son existence.

76 ans après sa mort, on retrouve sa tombe en France

Après ses années de collège et d’université, William Webb Ellis a mené une vie plutôt discrète. Il n‘était pas marié et ne laissa pas d’enfants pour perpétuer son souvenir. Dans les années 1950, Roger Driès, journaliste vivant à Nice, qui collabora avec Midi Olympique, apprend de la bouche d’un confrère anglais que Webb Ellis dont on avait perdu la trace avait été probablement enterré dans le sud de la France où beaucoup de ses compatriotes avaient l’habitude de venir soigner leur tuberculose (C’est ainsi que le tourisme azuréen s’est lancé). Roger Driès chercha d’abord vers les Baux-de-Provence avant d’apprendre l’existence d’un vieux cimetière abandonné de Menton, où reposaient beaucoup de Russes et de Britanniques exilés. Il était situé sur la Colline du Vieux Château, à Menton, à 800 mètres de l’ancienne frontière italienne.

En 1958, il y pénétra et explora les tombes souvent recouvertes de mousses et de ronces. Les noms étaient presque illisibles, il gratta la pierre et, sur l’une d’elles, découvrit peu à peu les lettres, fatiguées mais encore déchiffrables. D’abord « LLIS » puis le E initial s’est offert à lui et en quelques minutes, la graphie complète du nom tant recherché est apparue, comme surgie des ténèbres. Tous les amoureux du rugby auraient aimé vivre cet instant magique ou Roger Driès se sentit dans la peau d’Howard Carter retrouvant la tombe de Toutankhamon.

Pas de doute, c’était bien William Webb Ellis, mort en 1872. Roger Driès appela deux amis pour partager sa découverte : André Béhotéguy, capitaine de l’équipe de France dans les années 30, et Michel Sorondo, ancien international. » À peine arrivés devant la tombe, André et Michel se sont mis à pleurer. Michel m’a dit : « Tu te rends compte que sans ce type, on aurait passé une mauvaise jeunesse ». Les fédérations anglaise et française firent remettre la sépulture en état, on y ajouta même un bout de gazon du collège de Rugby. Depuis, le monument a reçu bien des délégations pleines de dévotion.

La Coupe du monde porte son nom

En 1987, le nom de William Webb Ellis a fini d’entrer dans la postérité. On a baptisé de son nom la toute nouvelle Coupe du monde. Dans ses souvenirs Marcel Martin, représentant de la France à l’International Board, explique. « Le nom a été unanimement accepté, pour rappeler le nom du père légendaire du jeu, et l’école de Rugby dont il était l’élève le plus illustre. »

Au milieu d’une montagne de questions financières et administratives à régler, cette décision de l’International Rugby Board (rebaptisé World Rugby en 2014) fut une respiration. Dix ans plus tard, en 1997, William Webb Ellis eut droit à une statue à son effigie à Rugby, non loin du collège. Elle a été sculptée par Graham Ibbeson, artiste très connu en Grande-Bretagne. On lui doit des statues de divers personnages du sport, des arts, des spectacles ou de héros de guerre dans plusieurs villes du pays.

Et si c’était Jim MacKie ?

Si on admet que le geste de William Webb Ellis relève de la légende, comment expliquer que le collège de Rugby ait adopté un football où l’on pouvait jouer à la main ? Les « anti » Webb Ellis estiment que la pratique s’est développée dans les années 1830, peu à peu. Thomas Hughes, juge et écrivain, témoigne : « Dans ma première année en 1834, courir avec la balle pour avoir un essai n’était pas absolument défendu, mais un jury de garçons de Rugby aurait prononcé un verdict «d’homicide justifiable » si un garçon avait été tué en courant en avant. La pratique se développa, fut d’abord tolérée avant de devenir populaire dans les années 1838-1939 à cause des prouesses d’un certain James «Jim» MacKie, surnommé « le grand fonceur », il était très en jambes, costaud d’épaules et quand il attrapait la balle, il était très dur à arrêter. » Jim McKie devint ensuite député d’une circonscription écossaise (comme son père l’avait été avant lui). Il est mort en 1867, à 46 ans.

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