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Carnet Noir - Doddie Weir, digne jusqu’à son ultime souffle

  • Samedi soir, on a appris que Doddie Weir, qui luttait depuis six ans contre la maladie de Charcot, venait de s’éteindre dans sa maison de Galashiels, au Sud-Est de Glasgow. L’occasion, pour nous, de rendre un ultime hommage à un homme à part…
    Samedi soir, on a appris que Doddie Weir, qui luttait depuis six ans contre la maladie de Charcot, venait de s’éteindre dans sa maison de Galashiels, au Sud-Est de Glasgow. L’occasion, pour nous, de rendre un ultime hommage à un homme à part… PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
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Samedi soir, on a appris que Doddie Weir, qui luttait depuis six ans contre la maladie de Charcot, venait de s’éteindre dans sa maison de Galashiels, au Sud-Est de Glasgow. L’occasion, pour nous, de rendre un ultime hommage à un homme à part…

Samedi, en fin d’après-midi, Doddie Weir a donc perdu la vie. L’ancien deuxième ligne du XV du Chardon (61 sélections de 1990 à 2000) et des Lions britanniques avait été diagnostiqué porteur de la maladie de Charcot en 2016 et depuis, avait combattu comme un fauve pour repousser l’inéluctable. Weir ? Il fut l’un des avants écossais les plus fougueux de l’histoire et, du haut de ses 2 mètres et des poussières, une bénédiction pour un alignement celte qui, avant lui, n’inspirait guère la crainte. Comparé à « une girafe folle » par Bill McLaren, l’ancienne voix de la BBC, Doddie Weir avait pour lui, hors du terrain, une gouaille incroyable, un sourire d’enfant et cet humour so british dont il se servait, les dernières années de sa vie, pour désamorcer les mines accablées qui s’approchaient de lui, au gré des circonstances. Au sujet de Weir, l’ancien coach des Lions britanniques racontait récemment : « Doddie avait le pouvoir de s’allumer et s’éteindre en un clin d’œil. Quand il était éteint, il se comportait comme un gosse, vous poussait pour vous déséquilibrer puis vous coinçait au sol avant de vous coller son immense doit dans l’oreille. Et quand il s’allumait, le plus souvent au moment des hymnes, il devenait un tout autre animal : concentré, féroce et dangereux ».

Weir : «J’ai reçu des coups de coude de Martin Johnson, des coups de poing de Wade Dooley. Mais jusque-là, on ne m’avait jamais assommé comme l’a fait ce médecin… »

À l’hiver 2018, en marge de l’Ecosse-France qu’avaient alors remporté les coéquipiers de Stuart Hogg à Murrayfield (32-26), on avait eu le bonheur de rencontrer Doddie Weir au « Petit Paris », un café de Grassmarket, le quartier branché d’Edimbourg. Là-bas, avant d’évoquer les tourments liés à sa maladie, le grand Doddie avait tenu à évoquer ces Français qui, « Merle et Roumat exceptés », avaient « toujours été adorables » avec lui. Il contait : « En 1993, on perd au Parc des Princes. À la sortie du banquet d’après-match, je vois six motos de policiers garées devant notre bus. Je m’approche de la première, grimpe à l’arrière et je dis au gars : « Tu m’emmènes où, camarade ? » Le mec s’est marré et a démarré. On a bu quatre pintes sur les Champs Elysées puis il m’a ramené à l’hôtel. Il ne parlait pas anglais et mon français se limitait à « bonjour », « merci ». Mais on a passé un moment extraordinaire, ce soir-là ». De 1990 à 2000, Doddie Weir affronta donc neuf fois les Bleus et des années plus tard, nous jura n’avoir rien oublié de la chistera de Gregor Townsend, qui avait permis aux Ecossais de mettre un terme, en 1995, à 25 ans de disette à Paris. Comme il se souvenait parfaitement de Gavin Hastings, esseulé au banquet d’après-match et trahi par un traducteur nommé Damian Cronin, deuxième ligne des London Scottish autoproclamé francophone : « Gavin avait sorti le speech classique, remerciant les Français pour leur accueil, les félicitant pour leur magnifique victoire et blablabla, blablabla… Puis Damian s’était saisi du micro pour traduire aux Français les mots de notre capitaine : « Gentlemen, je suis en retard parce que j’ai descendu quelques bières au bar de l’entrée. À cet instant précis, je préférerais certainement être avec ma femme mais on m’a demandé de parler, alors je vais vous raconter trois conneries avant d’aller rechercher le serveur… » Les Français étaient morts de rire ».

Comment la maladie l’avait mis à genoux

Au « Petit Paris », le temps du rire avait alors été brusquement interrompu et sans qu’on lui demande, le géant de Galashiels avait évoqué la maladie de Charcot, cette saloperie qui avait emporté avant lui Joost van der Westhuizen, le demi de mêlée des Springboks. Doodie disait : « Sur le terrain, il fallait trois mecs pour attraper Joost. À la fin de sa vie, il ne buvait plus seul ». Chez Doddie, les premiers symptômes étaient donc apparus en novembre 2015. « Un jour, je me suis coincé le bras dans une porte. Je pensais que ce n’était rien ». Pourtant, le fermier des Borders perdit rapidement en force : la poigne de sa main droite sembla faiblir, la peau de ses avant-bras fut en permanence secouée par d’étranges frémissements. Deux mois d’examens médicaux (« C’est long, hein ? Je crois que les médecins ont eu du mal à trouver mon cerveau, lors du scanner… ») accouchèrent finalement du terrible verdict, à propos duquel il écrivit dans le Telegraph : « J’ai reçu des coups de coude de Martin Johnson, des coups de poing de Wade Dooley. Mais jusque-là, on ne m’avait jamais assommé comme l’a fait ce médecin… ».

« Il voulait que je devienne son chevalier contre la maladie de Charcot. Alors, je me bats contre cette saloperie. Je me bats contre le système »

Il faut dire qu’au même moment, sa mère Nanny luttait contre un cancer, son fils aîné (Hamish, 16 ans) préparait des concours importantissimes et Doddie ne savait pas vraiment comment annoncer la nouvelle à son entourage. Le jour où il se décida à briser le silence, il décida de réunir ses garçons dans le salon de la maison familiale, à Galashiels : « Ils ont eu peur, c’est normal. Hamish a tout de suite cherché des infos sur internet. Il s’est vite rendu compte qu’il n’y avait rien à faire… Pour couper court à leurs pleurs, je leur ai annoncé qu’on partait dans quelques semaines en Nouvelle-Zélande pour la tournée des Lions ». La famille Weir resta plus d’un mois au bout d’un monde mais, passé l’extase d’un inoubliable voyage, le retour à la réalité fut difficile. « Arrivé en Ecosse, je n’arrivais plus à boutonner mes chemises et étais incapable de porter une pinte de bière… Je sais que bientôt, je ne pourrai plus manger, boire et respirer ». À cet instant-là de l’interview et alors qu’on devait tirer une tronche pas possible, il éructa, faussement agressif : « Changeons de sujet ou on va tous chialer ! Je ne veux surtout pas inspirer la pitié ! »

Il était en croisade contre le système

Doddie Weir (52 ans), marié à Kathy et père de trois garçons (Hamish, Angus et Ben), a donc toujours su que ses jours étaient comptés. À la table du Petit Paris, alors qu’on lui demandait si la foi lui fut d’un quelconque secours, il avait secoué la tête, nous rappelant par l’anecdote le seul échange qu’il ait jamais eu avec le Très Haut : « À 27 ans, j’ai eu un grave accident de la route. La voiture était brisée, j’étais dans un sale état. Dans mon demi coma, j’ai dit à Dieu : « Si tu as besoin d’un deuxième ligne, prends-moi maintenant ». Il ne l’a pas fait parce qu’il voulait que je devienne son chevalier contre la maladie de Charcot. Alors, je me bats contre cette saloperie. Je me bats contre le système ». Doddie Weir expliquait alors que les laboratoires pharmaceutiques ont stoppé depuis bien longtemps leurs recherches sur la maladie de Charcot. « Ils se disent : « à quoi bon chercher un médicament pour une affection ne touchant actuellement que 450 personnes au Royaume-Uni ? Quels seront les bénéfices, pour nous ? » Si je suis parti en croisade, c’est pour tenter de changer tout ça ». Via des dîners de charité, en mobilisant la famille du rugby et en lançant le « Doodie Gump », une communauté qui marche, court et combattait pour lui, l’ancien deuxième ligne avait même récolté des centaines de milliers d’euros, destinés à aider une poignée de scientifiques indépendants dans leurs recherches. Cet après-midi-là, peu avant de dire au revoir, sa bouille ronde s’était figée dans un sourire d’une infinie tendresse. Il avait conclu : « L’énergie déployée m’aide à oublier que je ne verrai probablement pas mes garçons grandir, que je ne serai pas là pour debriefer leurs matchs de rugby, les serrer dans mes bras ou les mettre mal à l’aise devant leurs petites amies. Mais je n’ai aucun aucun regret… »

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