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Capitaine Fracasse (2/5) : Jean Sébédio, le Sultan qui jouait les shérifs

Par Jérôme Prévot
  • Jean Sébédio, le Sultan qui jouait les shérifs. Jean Sébédio, le Sultan qui jouait les shérifs.
    Jean Sébédio, le Sultan qui jouait les shérifs. Archives Midol. - Archives Midol.
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Il fut la première grande gueule du rugby français, un taureau furieux qui ne rechignait pas sur les moyens pour secouer les adversaires. Neuf fois international, Jean Sébédio fut le capitaine emblématique de Carcassonne et de Lézignan, à une époque où le rugby français ne faisait pas toujours dans la finesse.

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Midi Olympique consacre une série aux capitaines qui ont forgé l’histoire de ce jeu. Pas forcément les plus grands joueurs, mais des hommes incomparables pour convaincre les autres de les suivre dans les plus dingues des combats.

 

 Des courses puissantes, des contacts rugueux et un tempérament volcanique. Il fut sans doute la première grande gueule du rugby français. Et le premier avant à faire la nique aux maîtres britanniques, jusqu’à les faire trembler dit-on. Sébédio ! Aujourd’hui, ce nom ne dit plus grand-chose à grand monde, mais avant-guerre, il inspirait à tout son univers un mélange de fascination, de crainte et de réprobation. Un cocktail sulfureux qui a coûté cher à notre rugby, malgré le charme canaille qui en faisait un sport à part.

Écoutons le portrait qu’en faisait notre confrère Henri Garcia (ancien rédacteur en chef de L’équipe) : « Une tête de tribun à la Danton, un cou de taureau énorme et un extraordinaire corps d’athlète, tel était l’homme qui régnait sur le Languedoc au lendemain de la Première Guerre mondiale. » À ceux qui douteraient de la dimension pantagruélique du personnage, il ajoutait : « C’est qu’il ne craignait personne le Sultan, ni sur un terrain, ni devant un comptoir ». Avec sa toison épaisse et sa petite moustache, typique de l’époque, Jean Sébédio n’avait pas l’air commode et se montrait avare de sourires.

Son image est restée attachée à Béziers (un peu), surtout à Carcassonne et Lézignan, ses plus beaux terrains d’expression. Mais il ne venait pas des vignes de la zone Corbières-Minervois où l’on roulait les R de façon triomphale. Sébédio était basque, né à Saint-Jean-de-Luz (les R y sont plutôt raclés). Il fut d’abord joueur de pelote avant de découvrir le rugby à 18 ans, à Hendaye.
 

Garagiste à Carcassonne

Le déroulé de sa carrière dit tout du rugby français de l’époque, sport jeune, officiellement amateur mais en passe d’être débordé par une passion sans borne. Jean Sébédio porta les couleurs de six clubs : Hendaye, Tarbes, Biarritz, Béziers, Carcassonne, Lézignan. L’enthousiasme des foules était tel que les équipes s’arrachaient les talents. Ils apprirent vite à monnayer leur savoir-faire, plus ou moins directement, en nature ou en dessous-de-table.

Il avait débuté en équipe de France le 1er janvier 1913 au poste de pilier droit. Les Bleus furent surclassés par l’Écosse, 21-3, mais Sébédio marqua le seul essai tricolore, confirmant sa classe supérieure.

Entre sa troisième et sa quatrième sélection, il se passa six ans… pour cause de guerre de 14-18.
Jean Sébédio servit dans les armées du Proche-Orient, en Syrie. C’est ce qui lui valut son surnom : « Le Sultan ». C’est à cette époque que se manifesta son aptitude à commander les autres, pas toujours en finesse. Son régiment se retrouva à Salonique, un peu désœuvré, et il créa de toutes pièces un XV militaire qui battit l’armée coloniale anglaise. Il fut l’auteur des deux essais qu’il transforma lui-même. Libéré de ses obligations militaires, il passa une saison à Béziers puis fut approché par Carcassonne qui lui offrit un garage automobile, gâche extraordinaire. Elle était située à l’angle du Boulevard Camille Pelletan et de la rue de l’Hospice : « Chez le Sultan », pouvait-on lire sur un écriteau triomphant. Jean Sébédio pouvait jouer pilier, troisième ou deuxième ligne. C’était un démon, par la violence de ses charges, mais aussi par la puissance de son verbe. Il savait aussi encaisser et démarra longtemps ses journées par des doses d’absinthe et de Cinzano. Ce qui, longtemps, n’affecta pas ses performances.

On disait aussi qu’il était la terreur des arbitres, dont il faisait ce qu’il voulait. Son chef-d’œuvre : un match Carcassonne-Le Boucau. Les Audois échouaient à un mètre de la ligne : « Essai », s’exclamait alors Sébédio ! L’arbitre montrait qu’il y avait encore du chemin à faire et Sébédio de répondre illico : « À Carcassonne, cela fait un essai ». Bédère, le capitaine boucanais protesta, mais Sébédio se tourna vers l’arbitre et poursuivit avec un aplomb imparable : « Monsieur l’arbitre, il vous insulte ! Faites votre devoir, mettez-le à la porte ! » Et celui-ci de l’expulser sous la pression du Sultan.

En bleu, il participa à deux exploits majeurs du XV de France : la première victoire à l’extérieur, en Irlande en 1920 (15-7). Il jouait troisième ligne au sein d’un pack conquérant. La veille du match, il avait décidé de traîner dans les rues de Dublin, alors en pleine guerre civile. Avec Marcel Lubin-Lebrère et Théophile Cambré, il se fit refouler de deux établissements. La troisième fois, il força l’entrée d’un coup d’épaule pour enfin se siffler des bières, totalement indifférent au contexte politique très tendu. On a ensuite dit qu’il fut arrêté par la police pour avoir entonné « La Marseillaise » dans un pub, chant assimilé au camp des indépendantistes. Lubin-Lebrère expliqua que c’est le manageur du XV de France qui avait donné l’alerte en constatant l’absence prolongée. Les Irlandais du pub les avaient pris en sympathie et avaient multiplié les tournées. Très imbibés, Sebedio et ses comparses furent quittes pour un sacré savon mais, à l’époque, on ne se faisait pas exclure de l’équipe nationale pour si peu. Le lendemain d’ailleurs, le pack des Bleus donna une leçon à celui des Verts.

En 1922, Sebédio fit également partie du XV de France qui fit match nul à Twickenham, (11-11, mais trois essais à un pour les Bleus). La performance fit sensation. Associé à Lubin-Lebrère en deuxième ligne, il résista vaillamment à l’organisation et à la puissance du pack anglais, réputé intouchable. Jean Sébédio aurait dû avoir une carrière internationale bien plus fournie, sans la guerre de 14-18 bien sûr, mais aussi sans son refus obstiné de jouer en première ligne malgré les demandes des sélectionneurs. Il jeta l’éponge de son propre chef en 1923 (après neuf capes). Son sens du combat et son charisme auraient aussi pu lui offrir un titre national, il y crut en 1925 quand son Carcassonne se retrouva en finale sous une pluie diluvienne : 0-0 face à l’Usap, match à rejouer. La deuxième manche tourna au désavantage des Canaris : 5-0, mais une fin de match démoniaque marquée par un chapelet de bagarres désolantes. Difficile d’imaginer que Sébédio n’avait pas donné un signal. Le spectacle impressionna défavorablement les Britanniques qui, six ans plus tard s’en souvinrent pour exclure la France du Tournoi.
 

Un échauffement au fouet

Le bouillant Sébédio prit ensuite la direction de Lézignan comme entraîneur-joueur, il y laissa libre cours à ses penchants démiurgiques les plus choquants. Il avait installé un squelette dans les couloirs des vestiaires : « le dernier arbitre à avoir sifflé une pénalité contre nous », tonnait-il quand le directeur de jeu désigné faisait son apparition.

Clairement, le pouvoir ne renforçait pas son humilité. Il se mit à entraîner ses joueurs debout sur une chaise, avec un fouet, comme un dompteur de cirque. Juste avant la finale 1929 (il ne faisait qu’entraîner cette année-là), il répéta l’exercice à l’échauffement, à même le terrain, toujours avec un fouet, mais coiffé d’un large sombrero. Les dirigeants britanniques furent sidérés par ce spectacle forain déplacé. On les avait prévenus que la demi-finale Lézignan-Béziers avait été une vraie boucherie. La finale ne ferait que les conforter dans leur consternation. En cours de match, alors que Lézignan menait 8-0, Sébédio vint jeter une liasse de billets en direction de Jean Bourrel, mécène controversé de Quillan. La notion de classe lui était inconnue, c’est vrai, et son équipe se fit remonter pour s’incliner 11 à 8. Perdu pour perdu, les hommes de Sébédio enlaidirent la fin de la partie par des rixes de frustration. Visions choquantes. Sa tignasse et sa moustache à la Alexandre-Dumas devinrent le visage d’un rugby français contaminé par la violence, l’amateurisme marron et les outrances. La FFR tenta d’exclure purement et simplement Lézignan du championnat, mais le mal était fait. Sebédio était entré dans la légende ambivalente de l’Ovalie, il vivrait les crises des années 30 de plus loin, avant de devenir résistant sous l’occupation, jusqu’à diriger la prison de la ville à la Libération.

Après 45, il se fit rattraper par ses démons personnels, les Cinzano et les absinthes se rappelèrent à son mauvais souvenir. Les témoignages évoquent des derniers mois difficiles, son corps de taureau furieux avait fondu. Il ne pesait plus que 51 kilos quand il trépassa en 1951. Il laissait une tonne de souvenirs à ceux qui avaient croisé son chemin, quand il l’arpentait du pas tonitruant de celui qui n’avait peur de rien.

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