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Codorniou : « Je tenais à ma liberté » (1/2)

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    Codorniou : « Je tenais à ma liberté » Midi Olympique / Patrick Derewiany
Publié le Mis à jour
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Il y a quarante ans, le Grand Chelem. Le troisième de l’histoire des Bleus, avec Rives, Blanco, Pardo, Paparemborde, Joinel, Lacans, (Guy) Laporte, Lafarge, Carpentier, Bertranne, Caussade, Mesny, Gabernet, Revallier, Dintrans, Imbernon, Berbizier et Dospital. Avec, aussi, Didier Cordoniou, génial éclaireur au cœur de l’attaque tricolore qui nous a reçus chez lui, à Gruissan, pour partager ses souvenirs et revenir sur une carrière particulièrement remplie. Du rugby à la politique, paroles du « Petit Prince ». L’ancien trois-quarts centre international revient sur sa riche carrière. Aujourd’hui maire de Gruissan, Didier Codorniou reste « branché » rugby. Rencontre avec un homme libre, authentique et passionné.
 

Codorniou : « Je tenais à ma liberté »
Codorniou : « Je tenais à ma liberté » Midi Olympique / Patrick Derewiany

Midi Olympique magazine : Cette année 2021 marque les 40 ans du grand chelem de 1981, le troisième dans l’histoire du rugby français. Que reste-t-il de cet exploit ?

De très bons souvenirs, notamment liés à la chance d’avoir vécu au sein d’un groupe de joueurs exceptionnels. L’année précédente fut difficile au plan rugbystique. Pour mon premier Tournoi, nous avions échappé à la cuillère de bois lors du dernier match au Parc des Princes, face à l’Irlande. J’avais 21 ans, cela faisait deux ans que j’étais en équipe de France…

Que représentait le Tournoi à vos yeux ?

C’était l’occasion de voir à la télévision des stars de ce jeu : Barry John, Gareth Edwards ou Andy Irvine.D’un seul coup, j’y étais moi aussi… Chez les Bleus aussi, il y avait quelques monuments autour de Rives et Gallion. J’étais légèrement plus jeune qu’eux, ils avaient déjà un gros palmarès. Alors, j’avais une certaine appréhension à leur parler et j’avais également peur de ne pas être à leur niveau. J’en parle aujourd’hui avec beaucoup d’émotion car c’était mes 20 ans et j’ai l’impression que c’était hier… Il y avait pas mal d’insouciance et de passion. Oui, le rugby était notre passion.

C’est un grand chelem entre deux générations : celle des Paparemborde-Rives-Imbernon et celle des Berbizier-Blanco qui émergeaient…

Vous pouvez ajouter Roland Bertranne ! Je savais que j’étais chanceux de jouer avec ces joueurs-là. Rives et Paparemborde étaient des emblèmes de notre sport, on pressentait aussi ce qu’allait devenir Serge Blanco. Pour moi, ils étaient les meilleurs. Au-dessus des autres dont je faisais partie.

Quel capitaine était Jean-Pierre Rives ?

D’abord, je dois vous dire que je suis devenu très copain avec lui, on s’est d’ailleurs appelés il y a quelques jours. Il est mythique et mystique, dans le sens noble du terme. À l’époque, c’était notre guide, celui qui nous permettait de nous transcender. Il avait quelque chose de plus que nous tous. Pourtant, sa façon de rentrer dans un match était déconcertante : dans les vestiaires, les gros devaient se taper la tête contre les murs avant d’entrer sur le terrain, pas lui. Jean-Pierre était toujours calme dans l’avant match et dans ses discours. Pourtant, nous étions prêts à le suivre n’importe où. En fait, son charisme était irrationnel. Et puis, s’il n’avait pas des moyens physiques hors du commun il sentait comme personne le rugby.

Incarnait-il le prototype du troisième ligne dit « moderne » ?

Oui. Il était toujours au soutien, bien placé, adepte des passes avant contact. Il avait un sens inné du déplacement et de la lecture du jeu.

C’était l’époque dorée du rugby français.

Coup sur coup, il y a eu deux générations de grand talent. Je me souviens qu’avec Pierre Berbizier, nous étions des concurrents directs. Dans les catégories de jeunes, il évoluait comme moi au poste de trois-quarts centre. On s’affrontait avec les sélections des comités. Pierre s’est orienté au poste de neuf en devenant jeune adulte ; il avait acté que son gabarit ne lui permettrait pas de jouer centre au très haut niveau alors qu’il en avait tous les attributs. Et on a vu la carrière qu’il a faite par la suite…

La vôtre n’est pas mal non plus. Et au centre malgré votre taille modeste.

C’est peut-être ce dont je suis le plus fier. De ne pas avoir écouté mes éducateurs ou entraîneurs qui me disaient : « Didier tu devrais te reconvertir à la mêlée ou à l’ouverture. » Cela ne me plaisait pas. Un centre, se devait d’être élégant, d’avoir du panache, de la créativité. Et puis, il touchait beaucoup de ballons. Ce poste m’allait bien… Je n’aimais -et n’aime toujours- pas être enfermé dans des dogmes. Je tenais à ma liberté, surtout sur un terrain. J’ai toujours eu besoin d’avoir cette liberté de fonctionner et de penser dans ma vie sportive, personnelle et politique. Je ne me suis jamais laissé enfermer.

Revenons au gabarit.

Je suis un homme de défi, et quand j’étais jeune, mon défi c'était de jouer en équipe de France malgré mon gabarit. D'où certainement mon habileté technique... Mais si on a beaucoup parlé de ma gestuelle ou de ma vivacité, j'avais aussi un gros tempérament. J'étais un gros compétiteur, je détestais et je déteste toujours la défaite.

Passeur d’une élégance rare, Didier Codorniou était aussi très efficace pour ouvrir l’intervalle à ses partenaires.
Passeur d’une élégance rare, Didier Codorniou était aussi très efficace pour ouvrir l’intervalle à ses partenaires. Midi Olympique / Patrick Derewiany

Avec une envie de faire jouer les autres…

Je me souviens que Jacques Fouroux disait que ce jeu fait d’initiative était un jeu à hauts risques, lui le pragmatique… C’est vrai qu’avec nos initiatives, parfois, notre couverture défensive pouvait être prise à défaut… Je me souviens de mes débuts avec « Toto » Desclaux, en tournée en Nouvelle-Zélande, il nous avait présenté une feuille blanche quadrillée dont la moitié était raturée car c’était des zones où l’on n’avait pas le droit de jouer. Sauf que pour moi et d’autres, c’était impensable.

Impossible donc de vous faire respecter un schéma de jeu ?

J’ai toujours considéré -et je l’avais martelé aux jeunes quand j’ai été manager des moins de 20 ans- qu’il y avait des moments où, sur un terrain, il fallait désobéir. Les maîtres du jeu ce ne sont pas les entraîneurs, mais bel et bien les joueurs. Si tu perçois un décalage, il faut oser. Cette philosophie n’a été appliquée à 100 % qu’au Stade toulousain durant les trois ans que j’y ai passés. Je considère que ce sontmes plus belles années. J’ai souvenir d’un essai marqué contre Montferrand après une relance depuis notre en-but !

Aviez-vous un exemple quand vous étiez jeune, de joueur ?

Jo. Jo Maso.Il était unique. C’était mon modèle. Sur un terrain, quelle beauté ! Il avait toutes les qualités ! Je l’ai beaucoup observé, sans forcément vouloir le copier même si les premiers articles qui m’ont été consacrés lors de mes débuts à Narbonne versaient forcément dans le jeu de la comparaison avec Jo. En fait, j’ai toujours revendiqué ma propre personnalité : j’étais et je suis toujours Didier Codorniou. Ceci dit, Jo m’a toujours inspiré, comme François Sangali qui avait un sacré sens de l’anticipation.

En 1981, il y a cette action iconique avec votre passe décisive en pivot pour Laurent Pardo qui marque l’essai du grand chelem à l’équipe de France. Racontez-nous.

C’était à Twickenham, en plus ! 40 ans après, je me souviens très bien de cette action. Elle vient d’un mouvement fabuleux où pratiquement toute l’équipe touche le ballon, et notamment Pierre Berbizier. Je me retrouve décalé et je file vers la ligne d’essai mais je vois revenir à mon extérieur « Lolo », qui était un excellent finisseur. À l’intérieur, il y a deux Anglais et je me dis que je peux les fixer. Alors je coupe ma course, reviens à l’intérieur et d’une passe croisée sur un demi-tour contact, je le sers. Il marque.

Faire marquer était-il aussi fort que de marquer vous-même ?

Personnellement, j’ai toujours adoré faire marquer mes partenaires, mes ailiers et notamment « Lolo » Pardo, mais aussi Serge Blanco ou Philippe Sella par la suite. Décaler son coéquipier où le mettre sur orbite pour qu'il marque, c'est jouissif...

Étiez-vous conscient que cette équipe de 1981 marquait l’histoire ? Il y avait presque une légende à chaque poste…

Pas du tout sur le coup. Nous étions d’abord la bande à Jean-Pierre. Des garçons passionnés du rugby, capables de discuter des heures sur des combinaisons ou pour refaire des matchs. Nous avions un jeu, avec cette équipe, lié à notre culture.

C’est là que s’est démocratisée l’expression « french flair » ?

Mais il a été créé avant, avec les Boniface, Gachassin ou Jo Maso. Les années 1980 ont marqué une avancée dans notre sport, avec l’arrivée de la préparation physique même si on ne parlait pas encore de musculation.C’est vrai que le « french flair » a été porté par des joueurs comme Pardo, Blanco, Sella ensuite et bien sûr Denis Charvet. Àmes yeux, c’est lui le plus symbolique de tous.

La génération « 81 » n’était composée que d’attaquants ! Nous avions tous cette volonté farouche d’attaquer notre défenseur, ce qui nous a fait travailler beaucoup de combinaisons. Et puis, l’équipe de France se nourrissait de la culture des clubs. Les Bayonnais avaient une vraie tradition de relance, et Laurent Pardo nous amenait ça. Quand on se retrouvait en début de semaine, il y avait pas mal d’échanges pour voir ce qui pouvait marcher ou pas. On additionnait les cultures basques, toulonnaises, agenaises et de cette addition naissaient des lancements de jeu. Les entraîneurs acceptaient cette démocratie participative avant l’heure.

Même Jacques Fouroux, quiprend l’équipe de France lors de ce grand chelem ?

C’est vrai que Jacques était très cartésien et qu’il fallait le convaincre parfois longuement ! Il avait une culture du grand, du gros, du fort. Bref, le culte du physique. Mais il n’était pas constamment dans l’interdiction. Et, parfois, on ne l’écoutait pas. On y allait. Il fallait oser même s’il y avait toujours un risque, et même si en cas d’échec il pouvait y avoir du mauvais temps, au retour dans le vestiaire… Mais c’était notre philosophie et je crois que Jacques le savait bien.

Comment prépariez-vous les matchs ?

Les Biterrois avaient été précurseurs dans la préparation physique à la fin des années 1970, mais cela ne s’était pas encore diffusé partout. Nous avions deux entraînements collectifs en club, et guère plus. J’ai commencé à être sérieux au niveau des entraînements quand je suis arrivé au Stade toulousain. Avant, à Narbonne, je travaillais dans une banque et je m’entraînais le soir avec les copains. Il est vrai que je pratiquais aussi d’autres activités comme le tennis ou le volley-ball de plage, mais rien de sérieux. Je devais avoir une génétique solide.
 

Codorniou : « Je tenais à ma liberté »
Codorniou : « Je tenais à ma liberté » Midi Olympique / Patrick Derewiany

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