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Entretien avec Laurent Labit (XV de France) : « Doit-on vraiment se dévoiler à deux ans et demi de la Coupe du monde ? »

  • Laurent Labit entouré par le manager Raphaël Ibanez et le sélectionneur Fabien Galthié
    Laurent Labit entouré par le manager Raphaël Ibanez et le sélectionneur Fabien Galthié Icon Sport
Publié le Mis à jour
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À l’aube d’une deuxième saison au sein du staff de Fabien Galthié, Laurent Labit a accepté de revenir sur la première année d’exercice pour dresser un bilan, tout en se projetant sur l’avenir. Il nous éclaire également sur les choix effectués avant le premier rassemblement des Bleus dans la perspective du premier match du Tournoi en Italie, le 6 février.

En raison de toutes les difficultés rencontrées lors de votre première année d’exercice à la tête des Bleus, nourrissez-vous des regrets ou de la frustration de ne pas forcément avoir pu respecter votre plan de marche ?

Franchement, non. À l’exception de la tournée en Argentine que nous n’avons pas pu effectuer, notre plan de route a été respecté. Le programme de l’automne mis en place en remplacement nous a permis de bien travailler. Nous pensions que la coupure entre le moment où nous nous sommes quittés au mois de mars après le match face à l’Écosse et nos retrouvailles en octobre serait problématique. À notre entrée en fonction, tous les joueurs nous avaient dit qu’ils avaient l’impression de repartir de zéro à chaque nouveau rassemblement. Mais ça s’est bien passé parce que nous avons tout fait pour que ce ne soit pas le cas. Aujourd’hui, la situation est surtout difficile pour les clubs. Pour eux, il y a de l’incertitude chaque semaine. Alors que nous, nous sommes dans le fonctionnement que l’on souhaitait. Nous avons joué le nombre de matchs prévu, nous continuons d’alimenter les joueurs en informations, nous faisons le tour des clubs. La situation ne nous a vraiment pas empêchés de bien travailler.

La fameuse flèche du temps reste donc d’actualité ?

Elle reste tout à fait viable. Et puis, dans notre métier, surtout lorsque l’on travaille avec une sélection, la capacité d’adaptation doit être importante. Les contraintes du rugby français, nous avons tous entraîné en club avant d’être avec le XV de France, nous les connaissions. Ce n’est pas une fois en place qu’on va commencer à dire : «Ah merde, faut négocier avec les clubs ou pourquoi on n’a pas les joueurs…» Quand tu as été quinze ans en club, tu connais les problématiques. Sur ces deux semaines de fenêtres européennes, j’avais prévu par exemple de passer dans certains clubs. C’était le bon moment, certains n’avaient plus aucune chance de se qualifier. Et bim, changement de programme. La Coupe d’Europe suspendue, les clubs vont jouer en Top 14. Je comprends donc que ce ne soit plus le bon moment pour aller dans ces clubs. Ce n’est pas grave, on s’adapte. Je me suis organisé pour pouvoir en visiter d’autres.

Quel bilan avez-vous tiré de la Coupe d’automne ?

Le point positif avec cette règle des trois feuilles de match maximum par joueur, c’est que nous avons fait émerger des éléments que nous n’aurions peut-être pas lancés ou pour lesquels nous nous serions toujours posé la question de savoir s’ils avaient le potentiel pour atteindre le niveau international. Finalement, à la sortie de cette première année, nous avons plus de profondeur que nous l’espérions.

Justement, vous attendiez-vous par exemple à voir Brice Dulin revenir à son meilleur niveau ?

Déjà au cours de sa fin de saison avec le Racing, je l’avais trouvé beaucoup mieux. Il avait retrouvé de la vitesse, du punch. Son choix de rejoindre La Rochelle, nous en avions parlé, je savais que cela lui serait bénéfique. Nous avons souvent parlé de lui avec Fabien (Galthié), mais jusque-là nous étions partis dans l’idée de jouer avec un deuxième ouvreur à l’arrière. Or, Brice est un véritable arrière avec de vraies qualités sur les ballons hauts offensifs ou défensifs. Et surtout un pied gauche. Tous ces éléments-là, quand on va aller vers les matchs décisifs, seront précieux.

Vous évoquez les ballons hauts, est-ce justement ce secteur de jeu qui justifie les absences de Vincent Rattez et Arthur Retière dans la liste des 37 ?

Il y a plusieurs explications, mais celle-là en est une. Surtout, ils ont été un peu moins en vue qu’on ne l’espérait. Pour Vincent, il y a eu une différence entre le Tournoi de début d’année et la suite. Ça se vérifie malheureusement aussi avec son club. Et puis, ce poste d’ailier est sûrement celui où nous avons le moins de certitudes. Tout est ouvert, rien n’est figé. Nous avons le retour de Damian (Penaud) qui n’a quasiment pas joué et Teddy (Thomas) dont on connaît parfois les difficultés. Certains joueurs émergent. Je pense à Gabin (Villière), mais aussi à Donovan (Taofifenua) qui est un arrière de formation. Matthis Lebel n’est pas loin. Mais Arthur et Vincent sont toujours dans la course.

Romain Ntamack blessé, est-ce un coup dur pour la continuité de votre projet ?

C’est surtout difficile pour lui car il est en pleine progression sur un poste très exigeant. Dans notre parcours, nous savons que nous aurons des blessés. C’est pourquoi cette Coupe du monde 2023 se prépare et se gagnera avec un groupe élargi. On sait aujourd’hui que Matthieu (Jalibert) est prêt pour assumer la continuité. On sait aussi qu’il veut venir le titiller et c’est tant mieux. C’est pourquoi on tient absolument à s’entraîner à 42 pour avoir cette émulation entre les joueurs.

Dans votre idée de continuité, la hiérarchie sera-t-elle respectée au poste d’ouvreur en l’absence de Ntamack ?

Nous n’allons pas faire de mystère même s’il reste encore deux matchs de championnat avant nos retrouvailles et même si Louis (Carbonel) a fait des progrès sur ses derniers matchs. Ce qui nous intéresse, c’est d’offrir de l’expérience et de la continuité. Nous voulons "caper" au maximum les joueurs.

Vous avez retenu Gaël Fickou alors que le staff du Stade français l’a moins fait jouer ces dernières semaines au profit de Jonathan Danty. Pourquoi ?

C’est aussi dans ce genre de situation que nous devons travailler main dans la main avec les staffs des clubs. Pour nous, il n’y a pas de débat sur Gaël. Il est un de nos cadres, le leader de la défense pour Shaun (Edwards). Il ne nous a jamais déçus et nous savons qu’il sera au niveau pour le Tournoi.

Qu’est ce qui a changé selon vous en équipe de France ?

Tout le monde s’émerveille sur nos entraînements, mais franchement, c’est ni plus, ni moins que ce l’on fait en club. La seule différence avec les staffs précédents, c’est que nous avons le nombre de joueurs suffisants pour nous entraîner à quinze contre quinze. Avant, ils faisaient surtout de la mise en place améliorée. Dans ces conditions, impossible de se préparer à de la haute intensité. Aujourd’hui, ça fait la différence.

Quelques critiques ont émergé malgré les victoires sur l’animation offensive parfois jugée assez pauvre. N’est ce pas frustrant ?

Quand on prend les standards internationaux, le XV de France était très loin des meilleures nations sur le nombre de coups de pied dans un match. Je ne parle pas ici de taper pour taper. L’idée, c’est de jouer au pied uniquement quand on le décide. Par le passé, j’avais le sentiment que le XV de France ne jouait au pied que contraint et forcé, sous pression, avec une efficacité toute relative. Souvent, il était même puni à cause de ça. Aujourd’hui, le rugby international s’adapte à des défenses hyper-renforcées avec des rideaux à 13 ou 14 joueurs. Allez donc chercher des espaces dans ces rideaux sans jouer au pied ! Ensuite, nous nous sommes posé deux questions. D’abord, quelles sont les qualités de nos joueurs ? Il nous est apparu que nous avions des éléments très bons dans le désordre. L’objectif a donc été de mettre en place un système pour retrouver du désordre sur le terrain. Il y avait deux options : les "contests", les turnovers ou la dépossession par du jeu au pied pour justement récupérer un bon ballon sur un mauvais jeu au pied de l’adversaire. Aujourd’hui, c’est ce qui nous semble le plus adapté. Ensuite, la deuxième interrogation, c’est : «Doit-on vraiment se dévoiler à deux ans et demi de la Coupe du monde ?». La réponse est non.

Le premier match du XV de France en Italie a reçu le feu vert du gouvernement français, mais craignez-vous que la souche britannique de la Covid empêche les Bleus de se rendre en Angleterre et en Irlande ?

Je n’ai pas de crainte particulière. Pourquoi ? Parce que, contrairement aux clubs, les joueurs restent avec nous en permanence, ils ne rentrent pas chez eux le soir, ne sont pas en contact avec leurs enfants qui sont à l’école. Nous sommes naturellement dans une bulle sanitaire. Pour notre stage à Nice, l’hôtel a été privatisé. La situation est bien plus problématique pour les clubs.

Si toutefois la compétition devait se jouer sur un seul et même lieu, le verriez-vous d’un bon œil ?

À tout dire, ce qui est le plus important à nos yeux, c’est de pouvoir jouer, peu importe le lieu. Nous préparons un événement exceptionnel en 2023. Notre jeune équipe doit acquérir de l’expérience, remporter des matchs et gagner des titres.

Le premier titre depuis 2010 est pour 2021 ?

C’est une année avec trois déplacements, mais avec des matchs à huis clos, tout est donc possible. On le voit bien en Top 14 avec de nombreuses victoires à l’extérieur. Je crois qu’un titre ferait du bien à tout le rugby français.

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