Bagarres de légende : Stade Français – Biarritz 2005 : une finale écrite à l'encre rouge sang

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Quelle finale entre le BO et le Stade français mes aïeux, avec des accrochages en pagaille, des bourre-pifs en veux-tu en voilà, et un climat de revanche assumé. Tous les ingrédients du « dark » rugby qu’on fait semblant de ne pas aimer.

De cette finale nous reste d’abord ce titre : « Biarritz : un titre au goût sauvage ! » (La Dépêche, Jean-Louis Lafitte). Un bon résumé de ce cru 2005 placé d’entrée sous le signe du règlement de compte viril. L’explication entre Biarritz et le Stade français commença au bout de six minutes. Touche à cinq mètres de la ligne basque, lancer de August sur Couzinet. À l’atterrissage, badaboum ! Première bagarre avec Jérôme Thion pour donner la mesure. Couzinet s’en mêle avec Petru Balan et Imanol Harinoroquy. Rémy Martin, Rodrigo Roncero, Shaun Sowerby, Mike James, Pieter De Villiers donnent la réplique. Puis on comprend que c’était David Auradou, deuxième ligne parisien, qui était ciblé d’entrée de jeu. Il se relève sans blessure, mais délesté de son maillot. Jérôme Thion, deuxième ligne international du BO, ne cherche à enfumer personne : « Touche pour nous, Imanol demande un lancer sur David Couzinet. Je le soulève et je vois David Auradou qui vient le pousser. Ouai, j’ai déclenché le truc. » Jérôme Thion y est allé franco de port sur son vis-à-vis, comme s’il avait répété la scène avant, devant sa glace. « C’était ma première finale, il fallait être agressif. On savait ce qu’on avait à faire. » Sur France 2, l’homme de terrain informe que sur la toute première touche, Couzinet et Auradou avaient commencé à s’embrouiller hors champ des caméras.

Thomas Lièvremont : «Oui, ça a vraiment cogné»

M. Gastou conclut l’intermède par un double carton jaune pour le tandem Thion-Auradou. « Nous sommes pourtant proches dans la vie », rappelle le premier. « On avait bien vu son petit tour de passe-passe. Bibi, quand tu l’as avec toi, tu es content. Quand c’est ton adversaire, tu as tendance à t’agacer » commente Benoît August, biarrot ce jour-là. Ce premier incident donnera tout le tempo de cette finale âpre, qui ira jusqu’aux prolongations. Elle sera jusqu’au bout émaillée d’une multitude d’accrochages. « Tous les prétextes étaient bons pour mettre le feu aux poudres. Chaque fait de jeu prenait des proportions démesurées. Que voulez-vous, il y avait des deux côtés des gars qui avaient de la testostérone », poursuit Sylvain Marconnet, plutôt comme un poisson dans l’eau dans les matchs agités. « Cette finale, je l’ai revue pour la première fois récemment car Canal + l’a rediffusée. Je ne me souvenais pas que c’était aussi violent », narre Thomas Lièvremont, le capitaine biarrot. A-t-il pu oublier la droite terrible qu’il adressa à Sylvain Marconnet, à la 62e après une mêlée désagrégée et un début de « générale » ? A-t-il oublié que la pénalité par lui concédée fut retournée par M. Gastou, car Rémi Martin avait cru bon de s’essuyer les crampons sur le corps encore jeune de Dimitri Yachvili ? Ce fut le tournant du match, pour ceux qui conservent une lecture purement sportive de la finale. « C’est vrai que ça a vraiment cogné. Même Nicolas Brusque s’est battu alors que ce n’était pas un spécialiste de l’exercice. Cela traduisait bien notre nervosité. »

Même Brusque s’y est mis

Ce fut l’autre image marquante du match, l’essai magnifique de Christophe Dominici de la 28e, sur une attaque plein champ. L’ailier échappe comme une savonnette au plaquage de Boussès pour gambader jusqu’à l’en-but. Mais au lieu de se concentrer sur la beauté de l’action, la caméra bouge tout de suite pour revenir en arrière, au-delà de la ligne de touche et des panneaux publicitaires où l’on découvrit, sidérés, Nicolas Brusque et Julien Arias en train de s’empoigner au sol. « Je vais me fâcher », tonna Jean-Christophe Gastou. Voir Brusque, habituellement si chevaleresque, en perdre ses nerfs, c’était un symptôme que cette finale avait été cochée et même coachée à l’encre rouge. L’arrière du BO avait été dépassé par l’attaque parisienne : « Le ballon m’était passé dans le dos et au moment où je me retourne, je sens la main de mon adversaire qui me retient par le maillot. Je me suis laissé à la frustration et je m’en veux d’avoir fait ça. J’en ai reparlé depuis avec Julien Arias. Mais nous étions vraiment remontés ce soir-là. » Brusque avait d’abord administré une bonne droite au menton de son adversaire, ce qui aurait pu lui valoir un carton. Précisons tout de même que le ralenti montre Nicolas Brusque victime d’un vrai acte d’antijeu. M. Gastou aurait donc tout aussi bien pu refuser l’essai de Dominici.
Mais pour bien comprendre le climat, il faut prendre cette finale comme la suite d’un épisode précédent. Le 23 avril précédent, les deux équipes s’étaient déjà affrontées en demi-finale de Coupe d’Europe, mais au Parc des Princes cette fois. Dire que cette première manche avait laissé des traces est un euphémisme. Le Stade Français s’était imposé 20 à 17 avec un essai de Christophe Dominici marqué après… huit minutes d’arrêts de jeu et un interminable pilonnage parisien dans les 22 adverses : « C’était les grandes retrouvailles et vous comprenez que nous avions terminé très frustrés la demi-finale. Il y avait aussi eu des tensions lors des matchs de saison régulière », poursuit Jérôme Thion. Cette demie avait été un grand moment de dramaturgie pour les téléspectateurs car les Parisiens étaient encore menés 17-6 à la 73e. « Se faire coiffer sur le fil comme ça, c’était très dur, mais nous ressentions la frustration d’avoir fait quelques fautes fatales et cette sensation de ne pas avoir géré cette fin de match comme il fallait », ajoute Brusque. « On avait eu le sentiment d’avoir dominé cette rencontre, confirme Thomas Lièvremont. Nous n’étions pas méchants, mais c’est vrai que nous avions quelques caractériels. On avait fini par voir les Parisiens comme nos meilleurs ennemis. » Sylvain Marconnet tempère : « Autant avec Toulouse, nous avions de vraies divergences sur le fond et sur la forme autant avec Biarritz, ça restait purement sportif, la finale houleuse s’explique par les circonstances. Ils avaient gardé la demi-finale en travers. Et je crois me souvenir qu’en saison régulière, nous avions fait « claquer » une bagarre générale d’entrée chez eux. On sentait bien qu’ils voulaient nous rendre la pareille parce que le Stade de France, c’était quand même Paris. Ils se sentaient chez nous. Et je le répète, avec des Harinordoquy, des Couzinet, ils avaient de gros tempéraments. »
Cette finale doit être donc prise comme un acte deux. En plus, se rajoutaient certaines émotions plus personnelles, chez le talonneur Benoit August par exemple : « Je venais de signer à Biarritz après avoir été sacré champion en 2003 et 2004… avec le Stade Français. Je voulais aussi être champion d’Europe et j’en suis privé par… mon ancien club, qui aurait pu aussi gagner un nouveau Bouclier de Brennus sans moi. Je me demandais si j’avais fait le bon choix. » Il se trouvait face à Mathieu Blin, le talonneur parisien, avec qui il se tirait la bourre quand il jouait dans la capitale. Entre eux, l’émulation avait été extrême, jusqu’à la rivalité. « Ça donnait à ce rendez-vous un contexte très particulier. Mais c’est sur ce match, que j’ai compris l’importance de la préparation psychologique. Patrice Lagisquet et Jacques Delmas nous avaient remontés comme jamais. On était prêts pour l’événement. » Benoît August ne fut sûrement pas en reste dans les provocations, en talonneur patenté : « J’avais beaucoup appris durant mes années au Stade français. Les Marconnet, Auradou m’avaient appris qu’on a le droit d’être mauvais, mais qu’on n’a pas le droit de ne pas s’engager. Oui, après ce match, certains joueurs parisiens m’en ont voulu, je le reconnais. » Durant ces 80 minutes, il a sans doute donné, il aussi beaucoup reçu. À la 40e, une mêlée parisienne se relève dans la plus pure tradition, coups de poing francs, amples moulinets et caresses plus discrètes. Assez pour laisser le talonneur biarrot au sol tandis que M. Gastou qui sort un nouveau carton jaune pour le bouillant pilier gauche argentin Rodrigo Roncero, médecin de formation, et expert dans l’art d’endosser le costume de « méchant » chez les supporters adverses. À revoir l’action, le Puma laisse son « bristol » non pas à August mais à son vis-à-vis Denis Avril qui n’apprécie pas. Benoît August, lui, est victime d’un jet de venin très rapide de la deuxième ligne Mike James-David Auradou. Phénomène difficile à voir à l’œil nu, un peu comme quand un caméléon déplie sa langue pour trucider sa proie. Leur langue, certains parisiens savaient l’utiliser pour parler et exciter le camp adverse, une autre de leurs spécialités : « Oui, Marconnet ou Blin savaient appuyer là où ça faisait mal », évoque Nicolas Brusque. Ce n’était plus un match, mais un inventaire à la Prévert des coups défendus que cette finale qui se termina par un score prolifique : 37-34, mais seulement riches de deux essais. C’est dire le nombre de pénalités, elles vaudront à M. Gastou le surnom provisoire de Monsieur « Vingt sur Vingt » (les sanctions reçues par chaque camp).

Un précédent et des suites

C’est finalement le BO qui l’emporta sur un coup de dés. Et un sentiment de soulagement plus que d’euphorie dans le camp basque, Jacques Delmas, fâché avec la langue de bois : « Souvenez-vous que le club avait fait un recrutement XXL, et Serge Blanco avait des exigences. Il nous fallait des titres. Et la demie européenne avait laissé des traces. Mauro Bergamasco avait déquillé Imanol, il me l’avait désossé et la fin du match avait été très raide en termes de coups défendus. Benoît August avait fini troisième ligne. Ils nous avaient fait des misères devant un arbitre gallois un peu laxiste. Et on avait eu le sentiment de perdre contre le cours du jeu. Alors dans ma causerie, j’avais dit : « Tolérance zéro ». Cette fois, on va obliger l’arbitre à arbitrer. S’il ne veut pas prendre les sanctions, c’est nous qui allons les prendre. » La feuille de route était claire, elle est rarement détaillée dans les manuels techniques. On était plutôt dans le « Dark rugby », celui des règles non-écrites qui fait le sel de notre sport. « Je ne dirais pas que nous les avons fait échapper, je n’ai pas cette prétention. Mais je crois que ça les a déstabilisés. Paris avait des personnalités, des tribuns comme Mathieu Blin. Mais j’avais aussi des clients, les Thion, Balan, Couzinet savaient vraiment se défendre. » Ce BO-là avait vraiment du répondant face aux roublardises parisiennes, un jeu bien huilé aussi autour de son pack lourd et d’une défense tout en contrôle (pas de rush défense, mais une utilisation de la ligne de touche). Nicolas Brusque se souvient : « On avait que des leaders, mais chacun savait laisser son ego de côté pour le bien commun. On savait laisser parler la bonne personne au bon moment selon les circonstances. »

Mais les Parisiens étaient des durs à cuire : « Durant cette finale, on ne voulait pas laisser passer certaines choses, mais tout ne s’est pas terminé au coup de sifflet final. Il y a eu des suites. La saison d’après, ils sont venus gagner chez nous, un autre match très dur avec deux cartons rouges, je crois », retrace Thomas Lièvremont fier de rappeler son amitié avec David Auradou : « Nous avons fait l’armée ensemble. » Copains de régiment et frère d’armes, c’est l’essence même du rugby. Jacques Delmas n’en disconvient pas même si la bibliothèque rose, ce ne sera jamais son truc : « Oui, ça avait été très chaud l’année suivante. Après le match, au bar, Fabien Galthié - vous le connaissez, non ? - était venu nous brancher. Je l’avais mal pris, ça avait vraiment failli partir en sucette. Je lui avais rappelé que sur les trois matchs de 2005, c’est nous qui avions gagné le plus important. »

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