Béziers ou la grande histoire d'une armada invincible

  • Raoul Barrière, "le sorcier de Sauclières", sextuple Champion de France et entraîneur du Grand Béziers des années 1970, créant une armada unique dans l'histoire du championnat français.
    Raoul Barrière, "le sorcier de Sauclières", sextuple Champion de France et entraîneur du Grand Béziers des années 1970, créant une armada unique dans l'histoire du championnat français.
Publié le Mis à jour
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L’AS Béziers a régné sur le rugby français des années 70, autour d’une génération dorée et d’un entraîneur hors-pair : Raoul Barrière. Il sut forger un style tellement novateur pour gagner et suscita les jalousies.

Treize titres majeurs en treize ans. Ces chiffres, dans leur brutalité, disent tout de la domination de l’AS Béziers à l’époque où la télévision passa du noir et blanc à la couleur. Dix fois, les Héraultais ont brandi le Bouclier de Brennus, à Lyon, à Bordeaux puis au Parc des Princes. Trois fois, ils ont embrassé le Du-Manoir (grosse importance en ces années-là). Sur dix-huit finales majeures, ils n’en ont perdu que cinq, quatre en fait car un Du-Manoir leur fut refusé après un nul face à Narbonne en 1978. Plus fort encore, en 1971-1972, l’ASB a vécu une saison à zéro défaite : en 1976-1977, elle n’a perdu qu’un seul match et a fini la saison lesté d’un quintuplé extraordinaire (championnat, Du-Manoir, bouclier d’automne, titres juniors Crabos et Nationale B). Le club est aussi resté invaincu pendant onze ans et demi à domicile (1969-1981). Cette équipe était une vraie machine de guerre comme le rugby français en a rarement produit (seuls Lourdes et Toulouse à notre sens peuvent rivaliser). Au fil des victoires, les Héraultais s’étaient forgé un avantage psychologique qui balayait les obstacles.

Au-delà des chiffres, Béziers c’était aussi des gueules, un peu effrayantes, le visage dur d’Alain Estève, la chevelure et la moustache de Michel Palmié, la détermination d’Armand Vaquerin. Même Olivier Saisset, qui passait pour un homme instruit, ne faisait pas rigoler. à les voir débouler des vestiaires, on comprenait ce qu’avaient ressenti les Français face aux invasions vikings, même si leur capitaine et stratège, Richard Astre, n’avait rien d’un guerrier qui part à l’abordage mais plutôt du dompteur d’un pack de fauves.

Mais l’aventure du « Grand Béziers », nous l’avons surtout apprécié avec du recul, des années après, en mesurant l’injustice des clichés qu’on faisait circuler à son sujet. On entendait parler d’un pack énorme et impitoyable, d’une équipe qui « ne faisait pas de jeu » ou qui « cachait le ballon » (critique suprême et tarte à la crème). Les Biterrois étaient tellement forts qu’ils suscitaient la jalousie, notamment dans un certain « Sud-Ouest » drogué à l’idéologie du jeu basco-landais. Nous avons mis des années à dépasser les préjugés et à comprendre que Béziers, c’étaient des avants terribles mais aussi une méthode et une façon de jouer révolutionnaire. Un rugby qui avait dix ans d’avance, au bas mot. Et aussi des trois-quarts qui marquaient des essais. Et même un arrière, Jack Cantoni, qui réussit en finale 1971, sous la pluie de Bordeaux, la relance la plus limpide de l’histoire soutenue par un ailier René Séguier dont le « cad-deb’ » n’avait rien à envier aux plus purs attaquants bayonnais ou montois. Les victoires et l’insolente domination suscitaient l’aigreur des foules, un peu comme en cyclisme quand, à la même époque, Eddy Merckx encaissait les bordées d’injures des spectateurs français

La composition d’équipe par vote

Notre admiration différée fut encore plus intense quand on prit conscience d’une chose : c’est que cette « machine de guerre » était composée à 80 % de joueurs du cru. Ils avaient tous, ou presque, appris le rugby aux alentours de la sous-préfecture. Cela fait presque sourire aujourd’hui de voir qu’Alain Estève (de Castelnaudary, via Narbonne) était considéré comme un étranger, tout comme Richard Astre et Jack Cantoni (de Toulouse). Ils étaient passés entre les mains d’un entraîneur hors pair, Raoul Barrière. Cet ancien pilier international fut à l’origine de tout. Il avait hérité d’une génération exceptionnelle, championne de France Reichel en 1968. à partir de ce matériau doré, il sut enclencher une dynamique qui dura quinze ans et qui se perpétua même après son départ, en 1978. La façon de jouer révolutionnaire, c’était la sienne. Comment la résumer ? Une sorte de « conservation » du ballon avant la lettre (le mot n’existait pas encore), où les avants essayaient de franchir tout de suite la ligne d’avantage en restant debout au moyen de petites passes courtes à l’intérieur puis les trois-quarts prenaient le relais. à ceux qui ne visualisent pas bien, on recommande la finale du championnat 1978 face à Clermont -son épilogue surtout- cette machinerie qui se met en route, avec une amplitude et une majesté qui a très peu vieilli pour faire gonfler le score.

À ceux qui veulent comprendre Béziers, on conseillera d’abord de ne pas confondre le fond et la forme. La rudesse des avants était une façade ou plutôt un socle qui empêchait l’adversaire de tricher et de pourrir les ballons. Qui se souvient que le colossal Alain Estève était surtout un formidable joueur de rugby, rapide, adroit et collectif ? Son coach avait su déceler ces qualités en lui. Il fallait le faire.

 Qui se souvient que Barrière fut un entraîneur curieux de tout ? Toujours prêt à une innovation pour améliorer tel ou tel détail : la sophrologie, les entraînements filmés, les axes de poussée en mêlée, les discussions collectives aussi. « Il était très attaché à la notion de modernité. N’oubliez pas que nous étions dans une atmosphère post-soixante-huitarde. Tous les joueurs pouvaient participer à la construction de notre jeu et s’exprimer. à un moment donné, les joueurs votaient même pour la composition d’équipe », nous expliqua un jour Richard Astre. Le troisième ligne centre Yvan Buonomo nous avait confirmé : « On essayait, nous testions plein de trucs et tout le monde apportait sa pierre à l’édifice. Mais ce ne fut pas si facile car il lui a fallu trois ans pour forger notre style et notre sens du collectif, fondé sur le soutien et la conservation du ballon, qu’il ne fallait surtout pas faire tomber. »

L’AS Béziers fascinait aussi parce qu’elle était une conjonction de personnalités pas toujours accordées entre elles. On disait que les joueurs n’étaient pas forcément tous amis et ils n’en rajoutaient pas dans ce registre. Mais ils étaient tous tendus vers la victoire, comme des professionnels qu’ils n’étaient pas encore.

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