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Sur les traces de McCaw

  • L’Otago Boys High School à Dunedin a accueilli les plus grandes personnalités de Nouvelle-Zélande, des Premiers ministres au capitaine emblématique des All Blacks, Richie McCaw.
    L’Otago Boys High School à Dunedin a accueilli les plus grandes personnalités de Nouvelle-Zélande, des Premiers ministres au capitaine emblématique des All Blacks, Richie McCaw.
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    Sur les traces de McCaw
Publié le Mis à jour
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Richie McCaw a marqué l’histoire du rugby néo-zélandais. Du rugby mondial aussi. Avec deux Trophées Webb-Ellis soulevés (2011 et 2015) en tant que capitaine, il est une icône au pays au Long Nuage Blanc. À Dunedin où il a effectué ses premiers pas, crampons aux pieds, nous avons remonté le fil de son histoire.

Elle trône au sommet de la colline qui surplombe Dunedin "l’Écossaise", surnom que la deuxième ville de l’île du Sud doit à ses fondateurs venus des Highlands, au milieu du XIXe siècle. La grande bâtisse, de style gothique, veille de toute sa hauteur sur cette cité portuaire lovée au fin fond d’une baie infinie. Impossible de rater ce bijou d’architecture, que quelques touristes asiatiques sont, ce matin-là, surpris à immortaliser. Ici bat le cœur de la ville. Bienvenue à la Otago Boys High School.

Pour la rallier depuis l’Octagon, la place du capitole locale, il faut arpenter et sillonner des rues à l’inclinaison vertigineuse. Cardiaque s’abstenir. Cette école se mérite mais, une fois parvenu, on forme ici des grands hommes. Entrer à OBHS, c’est la promesse tacite, presque toujours tenue, d’une riche carrière. Deux Premiers ministres néo-zélandais, Francis Bell et Jack Marshall, y ont fait leurs classes. Deux enfants de l’Otago au service de la nation. Aussi riches soit leurs parcours, ces deux-là ne représentent pourtant qu’une ligne de plus à la litanie de noms ayant fait la renommée de l’école. Celui qui l’a propulsé sous les projecteurs du monde entier, c’est Richie McCaw. La figure iconique du rugby néo-zélandais, l’homme aux 148 sélections et deux titres de champion du monde avec les All Blacks y a effectué ses premiers pas, crampons aux pieds.

Le rugby comme matière à part entière

Dans le hall d’entrée tapissé de boiseries et de portraits de ceux qui ont fait l’histoire du lieu, orné également d’une constellation de trophées, 155 ans d’histoire vous contemplent. Le poids du passé y est prégnant. On avance à pas feutrés, chuchotements de rigueur. Quelques élèves traversent le lieu. Veste bleu marine flanquée du blason OBHS brodé sur le cœur, bermuda gris clair et chaussures noires, chacun d’eux claque un "Good morning Sir" à chaque adulte croisé. Sur la droite, une plaque à l’or fin rappelle que vingt-trois All Blacks ont ciré les bancs de cette école prestigieuse. Parmi eux, Wyatt Crockett (71 sélections) ou encore Byron Kelleher (57 sélections). Mais seul McCaw a droit à son maillot soigneusement encadré dans ce temple de la bonne éducation. Il est accroché non loin du bureau du recteur, visible de tous les visiteurs, comme un certificat d’excellence. "Nous sommes une école publique, précise non sans fierté Stew Tagg, le manager rugby du lieu. Chaque enfant de la région peut intégrer l’école. Nous prônons l’égalité des chances." Au pays des écoles privées à la dote d’entrée pharaonique, la précision a un sens.

"Nous sommes une école publique. Chaque enfant de la région peut intégrer l’école. Nous prônons l’égalité des chances." Stew TAGG Manager rugby de la Otago Boys High School

À part ça ? Oui, oui, vous avez bien lu. Ce monsieur, costume trois-pièces "so british", le cuir chevelu luisant et la silhouette légèrement arrondie, est le responsable du département rugby. Ici, on enseigne le ballon ovale comme les mathématiques ou le latin. Sur 800 élèves de 12 à 18 ans, 250 ont choisi, après une sélection sportive drastique, de suivre les classes rugby. Rien que ça. "Nous avons dix équipes au total", annonce fièrement Kevin McCrone, professeur d’histoire, mais surtout un des vingt entraîneurs que chapeaute Stew Tagg. Ici, le rugby est une matière à part entière. "Il est entièrement intégré à l’emploi du temps des étudiants", souligne McCrone. Trois séances par semaine coincées entre des cours de science ou de français, plus deux entraînements hebdomadaires. Au total, ce sont six heures de rugby.

Ce n’est pas tout. Le jeudi, à l’heure du déjeuner, quand certains s’empiffrent de sandwichs triangles imbibés de mayonnaise, les autres ont rendez-vous. "Skills session", précise McCrone. Quarante-cinq minutes de technique individuelle ouvertes à tous et sur la base du volontariat, sur le bourbier situé à l’arrière de l’école. "Mais tous les gamins sont là, sourit McCrone, lui-même ancien élève d’OBHS. Ils veulent tous un jour ressembler à Richie McCaw. C’est leur idole. Le fait qu’il ait posé ses fesses sur les mêmes chaises, dans le même vestiaire, ça suscite une admiration et une envie de suivre ses traces. Enfiler le maillot de l’école, c’est porter le maillot de McCaw. Ils doivent en supporter la responsabilité." "Il est notre meilleur ambassadeur, reprend Stew Tagg. Il passe nous voir de temps en temps. Il a gardé un grand attachement à l’école. Quand il vient, c’est un peu de la folie, mais il y a beaucoup de respect."

"On veut faire de ces garçons de bons joueurs de rugby, peut-être les meilleurs, mais on souhaite surtout en faire des hommes." Ryan MARTIN, Professeur de rugby à la Otago Boys High School

La force du sentiment d’appartenance

Dans les locaux de l’Otago Boys High School, celui qui connaît le mieux l’emblématique capitaine des All Blacks, retiré des terrains depuis le Mondial 2015 en Angleterre, c’est Ryan Martin, le professeur de rugby. Ensemble, ils ont gagné pour OBHS le dernier grand titre national, réunissant les meilleurs collèges du pays. C’était en 1998. "Je lui ai tout appris, plaisante l’ancien demi de mêlée, aujourd’hui encore un des meilleurs amis de McCaw. Je crois qu’il me doit une partie de sa carrière." Le garçon ne manque pas d’humour. Il développe, plus sérieusement : "On s’appelle très souvent. Parfois, je le sollicite pour qu’il vienne parler aux élèves. Dès qu’il le peut, il le fait. Il a sur eux une aura et un impact que personne d’autre ne peut avoir."

Ce vendredi matin, veille de match contre le Mont Aspiring College, situé à quatre heures de route de Dunedin, Ryan Martin a choisi, durant la séance de stretching, de diffuser à ses joueurs de l’équipe première un documentaire sur la vie des All Blacks. Dans la classe, spartiate, silence de cathédrale. La dizaine d’élèves présents, le regard fixé sur l’écran de télévision, ne manque rien des propos de chacun des intervenants. Asi Tevita, 17 ans, dont le frère Mafileo, pilier des Baby Blacks, vient de disputer le Mondial des moins de 20 ans en France, est le capitaine de l’équipe fanion du College. "On s’imprègne de la culture des Blacks, confirme-t-il. Pour nous, c’est très important de comprendre comment cette équipe fonctionne, quels sont les sacrifices à faire pour y entrer et ce qu’elle représente." Et le jeune demi d’ouverture d’ajouter : "Ici, le sentiment d’appartenance est très fort. Quand on enfile le maillot de notre College, on porte sur nous une histoire, un passé et on se doit de l’honorer." Niché au fond de l’école, un musée du sport témoigne de la glorieuse histoire de l’OBHS. Évidemment, le rugby y tient une place majuscule. On y trouve en vrac des maillots, des trophées, quelques reliques comme une paire de crampons et… la biographie dédicacée de Richie McCaw.

Son esprit est présent, partout. Dans toutes les conversations. Par exemple : après la séance de stretching, place à la "rugby academy". Ce sont des gamins de 12 et 13 ans qui prennent place dans la classe. Au programme : un retour sur expérience. Chaque élève doit répondre à une dizaine de questions. En vrac : quel secteur de jeu avez-vous bien travaillé ? Que devez-vous travailler pour le prochain match ? Dans quel domaine devez-vous progresser ? Au document est adjointe une fiche intitulée : comment se construire une confiance en soi. L’exercice consiste à donner sa définition de la confiance, en citant également les cinq personnes qui dégagent le plus ce sentiment. Ces gamins n’ont pas encore fini leur puberté qu’on leur inocule une approche professionnelle. "Le rugby est un sport qui fait appel à l’intelligence, souligne Ryan Martin. On veut faire de ces garçons de bons joueurs de rugby, peut-être les meilleurs, mais on souhaite surtout en faire des hommes." Fin de l’exercice, Ryan Martin interroge ses élèves un à un. Évidemment, tous les élèves soufflent le nom de Richie McCaw pour illustrer ce que représente le sentiment de confiance. Ici, l’ancien flanker est un modèle. Steve Hansen, actuel sélectionneur des All Blacks, est aussi régulièrement cité. Aaron Smith également. Un gamin au visage poupon de justifier son choix : "En tant que demi de mêlée, il doit peser sur le jeu mais aussi sur les décisions de l’arbitre. Pour ça, il doit dégager beaucoup de confiance, de force en lui." Un petit frisé, assis à côté de lui, reprend la parole : "Avoir confiance en soi, c’est dire ce que l’on fait, faire ce que l’ont dit." Ils n’ont pas encore 14 ans. Dont acte.

Un arbitre référent pour comprendre les règles

Au cours de cette même heure de classe, un exercice interpelle. Parmi les élèves, l’un d’eux est un peu plus âgé. Il s’appelle Thomas Grant, il a 17 ans. "C’est notre arbitre référent", sourit Ryan Martin, assez fier de son coup. Et de nous interroger : "Ça vous surprend ?" Oui, un peu. Beaucoup, même. Thomas Grant arbitre depuis l’âge de 14 ans. Il est là pour éclairer les plus jeunes sur les subtilités du règlement. Ce jour-là, il est question de la zone plaqueur-plaqué, de ce qui est autorisé, ou non, dans les zones de combat au sol. Les questions fusent, les réponses aussi. Images à l’appui sur son ordinateur portable, il décortique des phases de jeu. Il appuie même son argumentaire sur des statistiques. De 12 à 18 ans, peu importe l’âge, tous les matchs sont filmés et Thomas Grant se charge de comptabiliser les fautes ou les plaquages manqués de chacun des joueurs. "Quel que soit l’âge, nous faisons des retours vidéo sur quasiment tous les matchs, souligne encore Ryan Martin. Quant à l’arbitrage, c’est très important que dès leur plus jeune âge, ils connaissent parfaitement ce qu’ils ont droit de faire ou non sur un terrain. Cela fait partie intégrante de la formation de nos joueurs." Où l’on comprend un peu mieux pourquoi Richie McCaw avait la réputation de mieux connaître les règlements que les arbitres internationaux. Si le double champion du monde a parfois usé de son aura pour obtenir la bienveillance des hommes au sifflet, il a surtout appliqué les connaissances acquises très tôt au sein de son collège.

Évidemment, tous les enfants de l’OBHS ne suivront pas les traces du plus populaire rugbyman du pays. Certains, peu nombreux, ne le souhaitent pas forcément. Tim Dippic, flanker de l’équipe première, a choisi le rugby pour ses valeurs. "Je veux construire ma carrière autrement que par le rugby, mais ce sport tel qu’il est enseigné ici me permet d’acquérir une méthode de travail et un savoir-faire qui me seront utiles pour ma vie d’adulte." Asi Tevita, lui, rêve de suivre les traces de son aîné. D’abord, les "Baby Blacks". Ensuite, le Graal. "Ce serait une fierté pour ma famille de porter le maillot national, de représenter mon pays, dit-il. Mais d’abord, j’aimerais que l’on puisse remporter le Top 4 (tournoi national réunissant les deux meilleurs collèges de l’île du nord et du sud, N.D.L.R.)." Ryan Martin conclut : "Certains deviendront de bons joueurs, d’autres finiront peut-être par jouer avec les All Blacks. Mais il n’y aura, à jamais, qu’un seul Richie McCaw."

 

 

 

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