Dominici: "Pouvez-vous me dire quel est le système de jeu de Saint-André ?"

  • Christophe Dominici - 2013
    Christophe Dominici - 2013
  • La joie de Christophe Dominici après la victoire sur les All Blacks en 2007
    La joie de Christophe Dominici après la victoire sur les All Blacks en 2007
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Dans cette deuxième partie de l'entretien qu'il nous a accordé, Christophe Dominici dresse son diagnostic sur l'équipe de France à moins d'un an de la Coupe du monde. S'il estime qu'un exploit est possible en Angleterre, l'ancien Parisien émet de sérieux doutes sur le système de jeu des Bleus.

Pourquoi l'équipe de France ne pourrait-elle pas selon vous acquérir un niveau de jeu intéressant pour le Mondial ?

Christophe DOMINICI: On n'a pas réussi à mettre un jeu en place en deux ans et demi. Pourquoi serait-ce le cas en un an ? C'est impossible. Même si la tournée de novembre est réussie, le révélateur sera le Tournoi des 6 Nations. Les cartes seront distribuées et les trente d'aujourd'hui ne seront pas les mêmes pour le Tournoi, j'en suis convaincu. Aujourd'hui, on ne sélectionne pas un joueur pour un système de jeu mais parce qu'il est en forme. On en préserve trente et à la sortie, il en ressort d'autres. Pour trouver une vraie ligne directrice, c'est compliqué. Cette équipe de France avait tellement besoin de gagner qu'on se retrouve aujourd'hui à marcher sur des œufs et à prendre les matchs les uns après les autres.

Cela peut-il fonctionner à moyen et long termes ?

C.D.: Aujourd'hui, Saint-André et son staff ont besoin d'une équipe commando. C'est un peu comme le Stade français en 2000. On n'avait plus d'entraîneur et on a formé une équipe commando pour aller chercher un titre. Il n'y avait que des compétiteurs, qui n'étaient pas forcément les meilleurs techniquement mais qui ne lâchaient rien et qui ne supportaient pas de perdre. Je dis souvent qu'un manager donne l'état d'esprit de son équipe. Le sélectionneur a cette capacité de choisir les joueurs qu'il veut. Forcément, il va prendre des hommes qui lui ressemblent. Bernard Laporte était un grand compétiteur. Partout où il est passé, il a réussi. Sa méthode : il voulait un milieu de terrain très costaud, une très bonne organisation défensive et surtout ne pas donner des points dans notre camp. On connaissait son système. Marc Lièvremont était un joueur compétiteur, noble, avec de vraies valeurs, fidèle en amitié, besogneux dans le travail. Son équipe lui ressemblait. Si on regarde le profil de Saint-André : opportuniste dans le jeu et marqueur d'essais. Le XV de France a sa patte.

Vous voyez donc plus ce XV de France comme une équipe de coups…

C.D.: C'est une évidence ! L'équipe de France ne va pas construire son rugby sur l'année qui arrive et sur la Coupe du monde. Si Saint-André veut être champion du monde comme il le dit, il va bâtir une équipe qui va se concentrer sur sept matchs au Mondial mais on ne pourra pas parler de jeu. Cela ne veut pas dire qu'on ne sera pas heureux, mais cette équipe ne pourra pas avoir un système autant abouti que celui des All Blacks, des Australiens ou des Gallois, qui est bien défini depuis l'école de rugby.

Aujourd'hui, on n'a que des puncheurs, comme pouvait l'être Saint-André

Le staff tricolore met pourtant assez souvent en avant sa volonté d'afficher une continuité dans le jeu…

C.D.: Mais pouvez-vous me dire quel est le système de jeu de Saint-André depuis deux ans et demi ? Ce sont les joueurs qui font le système. C'est bien beau de dire qu'on veut aller jouer sur les extérieurs, mais si on n'a pas de mecs capables de se faire des passes, on fait quoi ? Quand on sélectionne des gars comme Traille, Jauzion ou Liebenberg, qui sont capables de faire des passes vissées de 30 mètres, on a un système de jeu différent qu'avec Bastareaud. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre ça ! Aujourd'hui, on n'a que des puncheurs, comme pouvait l'être Saint-André. Est-ce qu'un puncheur est capable de faire des passes ? Non. Par contre, il peut gagner les un contre un. Ça fait beaucoup d'individualités mais pas un collectif.

Vous voulez dire qu'il n'y a pas de collectif chez les Bleus ?

C.D.: Non, le collectif est la base même de notre sport et on l'a. Jouer collectivement, c'est différent. Nous, on a des puncheurs. Fofana est peut-être un des meilleurs puncheurs au monde. Mermoz et Bastareaud sont aussi de grands puncheurs. Prenez Brice Dulin, qui est blessé. Il est certainement un des meilleurs relanceurs du monde. Mais fait-il des passes quand il relance ? Il franchit et va au sol neuf fois sur dix. Si on veut faire des petits tas... Mais aujourd'hui, le rugby moderne, ce n'est pas des petits tas ! Si l'équipe de France est bien en place défensivement, elle fera des choses. On sait faire un ballon porté donc on saura marquer des essais près des lignes. Mais avec tous ces changements, on se pose des questions. J'avais entendu il y a quelque temps qu'on voulait faire de Bastareaud l'encrage. Est-ce qu'il joue aujourd'hui ? Pourtant, il a besoin de jouer pour maintenir son poids de forme. Faire du vélo, cela ne lui plaît pas !

La joie de Christophe Dominici après la victoire sur les All Blacks en 2007
La joie de Christophe Dominici après la victoire sur les All Blacks en 2007

Avec vous, Philippe Saint-André et son staff en prennent un peu pour leur grade, non ?

C.D.: Il y a de la compétence en équipe de France. Bru et Lagisquet ont fait leurs preuves. Nous, on est là pour regarder ce qu'il se passe, en essayant de trouver des excuses parce qu'on est jeune, parce qu'on a trop d'étrangers dans notre championnat, parce que nos jeunes ne jouent pas... toujours "parce que". Si vous êtes chef d'entreprise et que vous faites un milliard d'euros de dette, ce ne sera pas "parce que". Vous serez viré dans la seconde. Le principe même de l'être humain est de s'adapter. Le staff des Bleus doit s'adapter à chaque adversaire puisqu'il a choisi cette voie. C'est leur responsabilité. Il faut arrêter de se plaindre car leur place est belle aussi.

On n'a jamais construit d'un sélectionneur à un autre en vingt ans

Avouez que vous n'êtes quand même leur plus grand fan…

C.D.: Moi, je suis fan des discours et des hommes qui sont capables de me convaincre que la porte en béton en face de moi, je peux y passer à travers. Laporte était capable de faire ça, Nick Malett aussi. Je ne retrouve pas ça avec Saint-André. Est-ce que le costume lui pèse ? Peut-être. L'énergie se communique. Il ne va pas apprendre à Thomas à faire un cadrage-débordement ou à Spedding à relancer. Par contre, dire qu'on va massacrer l'adversaire sur les points de rencontre, ça oui.

Êtes-vous aussi dubitatif sur le rugby français dans son ensemble ?

C.D.: Aujourd'hui, j'ai l'impression que le monde du rugby est comme le monde politique : des annonces, des annonces mais rien qui suit. Qu'en j'entends tout ce qu'on annonce, cela ferait trente ans de travail ! On peut tout dire mais cela dépend de la trace qu'on veut laisser. On n'a jamais construit d'un sélectionneur à un autre en vingt ans. Pas plus Saint-André que Laporte, Skrela... Quelle trace a perduré d'un sélectionneur à l'autre ?

Cela peut-il changer ?

C.D.: Le jour où on aura vraiment envie de mettre une identité de jeu forte en place, il faudra des convictions et surtout ne pas lâcher. Si tu prends des coups, tu tiens car tu es convaincu que c'est ce système qui va nous faire gagner. Ce sont les gens à la tête de nos clubs et de la fédération qui pourront faire bouger les choses dans ce sport que j'aime profondément.

* Entretien réalisé avant la victoire du XV de France samedi face à l'Australie (29-26)...

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