"Il faut que les jeunes acceptent la critique"

Par Rugbyrama
  • Saint André Deschamps - 24 octobre 2012
    Saint André Deschamps - 24 octobre 2012
Publié le Mis à jour
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Philippe Saint-André et Didier Deschamps ont débattu sur la génération de joueurs d'aujourd'hui sur le terrain et tentant la comparaison avec "l'ancienne".

Le rugby aime beaucoup parler de ses valeurs. Les "valeurs du rugby", qu'évoquent-elles pour vous ?

Didier DESCHAMPS: C'était pendant longtemps un sport amateur. Cela s'est professionnalisé ces dernières années. Mais bon, ça évolue ! La présence des sponsors et des télévisions est plus importante. Ca reste convivial, c'est très rare qu'il y ait des débordements. Le rugby, c'est le don de soi. Un sport collectif, un rapport de forces. Des valeurs saines. Il y a le match, il y a avant, et après. C'est toute une histoire, une ambiance, même si maintenant ils ne peuvent plus se permettre certaines choses. La préparation est différente. L'aspect économique a aussi pris une part très importante. Dans le football, ça a toujours été présent, même si ça évolue. (Dans le rugby) c'est une évolution différente. Mais ces valeurs-là restent quand même.

Philippe SAINT-ANDRE: On commence à connaître des problèmes que le football connaît depuis très longtemps: quand la masse financière est telle, le référent pour le joueur n'est plus l'entraîneur ni les parents, mais l'agent. Ce qui nous sauve, c'est qu'on est un sport où on n'est rien sans les quatorze autres. On a besoin de champions mais la star, c'est l'équipe. Au foot, même si tu subis, si tu as un génie, il s'en sort. Nous, si tu as un mec exceptionnel mais que tu prends l'eau de partout et qu'au moment de recevoir le ballon, il se prend quatre mecs dans la gueule, il ne fera rien. Ca nous sauve mais il faut faire attention parce qu'on est dans un monde où c'est l'individualisme à outrance. Depuis que le joueur est pro, il y a plus d'enjeux financiers, des partenaires, des sponsors. Il ne peut plus se permettre de faire ce qu'on faisait avant, aller en smoking rue Princesse (à Paris, NDLR) faire une troisième mi-temps. Il y a le foot, je pense que nous, on est l'intermédiaire, et il y a les autres sports.

En quoi vos joueurs sont-ils différents des footballeurs ?

P.S-A: On arrive sur la première génération qui sort des centres de formation et qui n'a connu que le rugby professionnel. Les derniers, c'était Nallet, Papé qui est encore mon capitaine. Ce sont les derniers à avoir connu autre chose, à avoir travaillé. On entre de plein fouet avec des mecs qui veulent entrer dans un centre de formation, devenir joueur professionnel de rugby, même s'ils continuent leurs études. Ils ont aussi cette approche, beaucoup plus que celui qui a un peu tout connu, d'être pro, sérieux, de bosser, d'être rationnel dans leur hygiène de vie...

D.D: C'est leur métier. Un métier. Avant, c'était une passion, il y en a beaucoup qui travaillaient. Maintenant, tu es dans le professionnalisme.

P.S-A: Avant, à la fin des matches, les glaçons tu les mettais dans la jerricane, les mecs buvaient des canons au fond du car. Maintenant, dans le bus, ils ont des glaçons sur la cuisse, sur l'épaule, pour récupérer plus vite. Parce que leur fond de commerce, c'est leur corps. Pour que le lendemain, ils puissent déjà faire une activité, que deux jours après, ils puissent faire une bonne séance de muscu...

D.D: Faire des photos pour les calendriers ! (rires)

Didier Deschamps, quelle différence y a t-il entre vos joueurs actuels et ceux de votre génération ?

D.D: La génération ! Le sport n'est que le reflet de la société. Ils ont des centres d'intérêt différents. Avant, c'était avant tout le plaisir de faire de ta passion ton métier. Maintenant, le moteur, c'est quoi ? Ce que ça peut rapporter. Même les jeunes... Certains ont dix ans, les parents derrière sont des excités et leur disent "tu vas être footballeur". Il y a beaucoup d'argent, la famille, les agents. Ils ont un entourage démentiel qui ne fait pas toujours l'intérêt du joueur, qui lui pardonne tout. Ils font vivre quinze à vingt personnes. Ils sont dans la "championnite" très tôt. Je ne sais pas si c'est ton cas mais pour moi, footballeur, ce n'était pas un métier.

P.S-A: Il faut qu'ils acceptent la critique. Si tout le monde leur dit "tu es le meilleur" et que toi, tu leur vends le travail, l'abnégation, l'humilité, que le talent ne suffit pas... Certains y arrivent car ils sont structurés, c'est ce qui fait la différence, et il y en a d'autres avec qui c'est plus compliqué. Les meilleurs restent ceux qui bossent le plus. On essaie de leur donner notre vécu de joueur, d'entraîneur en France et à l'étranger. J'ai eu la chance d'entraîner dix ans en Angleterre, d'entraîner des Jonny Wilkinson, les meilleurs...

D.D: Et tu n'as pas de soucis avec eux.

P.S-A: "Pas de souci, ils arrivent quinze à vingt minutes en avance avant chaque séance, ils font des extras. Parce qu'ils sont pros dans leur hygiène de vie, dans leur récupération. Ce n'est pas le fait du hasard. Si tu veux vraiment devenir le champion, tu es obligé d'en passer par là. Sinon... tu feras un exploit. Un exploit un jour. La régularité, c'est ce qui manque au rugby français.

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