Toulon et Toulouse, l’ambiguë proximité

En l'espace de deux ans, deux immenses entraîneurs ont quitté le Top 14. Le premier se nomme Guy Novès. En 2015, après plus de vingt saisons passées à entraîner le Stade toulousain, "le sorcier", qui a fait du club haut-garonnais le plus titré du rugby hexagonal (avec lequel il a notamment remporté dix Brennus et quatre titres européens) devenait sélectionneur du XV de France. En 2016, c'est cette fois Bernard Laporte qui quittait Toulon. Et si son mandat fut bien plus court que celui de Novès au Stade toulousain, en six saisons, Laporte a tout gagné au RCT (trois titres de champion d'Europe et un bouclier de Brennus). Depuis 2015 pour les uns, 2016 pour les autres, les deux clubs ont donc dû entreprendre leur reconstruction.

Transitions consumées dans le même espace temps

Adoubé par Novès, les clés du club haut-garonnais furent donc confiées à Ugo Mola. Mais face au grand vide laissé par le néo-sélectionneur, l'ancien entraîneur d'Albi fut obligé de faire le dos rond pendant près de deux saisons, en témoigne la douzième place du Stade toulousain l'an passé. Mais, maintenu à la tête du club haut-garonnais, la recette Mola semble enfin prendre en ce début d'exercice.

La transition toulonnaise aura quant à elle duré une année. Une saison de chaises musicales pendant laquelle l'effectif varois a vu passer, tour-à-tour, Diego Dominguez, Mike Ford et Richard Cockerill. Et s'ils ont rallié la finale en fin de saison, les joueurs du RCT ont malgré tout marqué le pas au cours de l'exercice 2016-2017. L'arrivée de Fabien Galthié, désirée de longue date par Mourad Boudjellal, devait donc permettre au RCT d'enfin oublier l'ère Laporte. Emmenés par Mola et Galthié, les deux clubs se reconstruisent et semblent, petit-à-petit, tourner les pages Novès et Laporte. Et s'ils ont longtemps parus très différents, Stade toulousain et Rugby Club Toulonnais semblent aujourd'hui entretenir des relations ambiguës.

Une philosophie de jeu similaire ?

Au-delà de la période de transition, consumée au même moment, la principale similitude concerne le jeu proposé par les deux équipes. Car si Toulonnais et Toulousains ont longtemps affirmé leur différence, avec d'un côté, pour schématiser, un jeu efficace basé sur un gros paquet d'avants et de l'autre le fameux "jeu de mains, jeu de Toulousains" symbolisant une grosse capacité à se déplacer et à jouer dans le mouvement, l'arrivée de Fabien Galthié sur la rade est en train de changer la donne. Désormais, les Toulonnais tentent également de mettre de la vitesse et de faire vivre le ballon.

Fabien Galthié, qui découvrit le ballon ovale à Tournefeuille, dans la banlieue toulousaine, et qui fit ses premiers pas en professionnels du côté de Colomiers, explique ce qui a inspiré sa philosophie de jeu et raconte les relations particulières qu'il entretient avec le club toulousain. "J’ai 46 ans et cela fait 42 ans que je joue au rugby. Et cela fait 42 ans que c’est particulier de jouer contre Toulouse parce que c’est notre voisin. Si Toulouse n’existait pas, cela me manquerait, c’est culturel. J’ai appris le rugby avec des théoriciens dont notamment Robert Bru qui a pensé la méthode du jeu debout, c’était le premier. J’ai été formé et éduqué par ces gens-là. C’était les premiers systèmes de jeu qui liaient les avants et les trois-quarts et cela leur a donné ce temps d’avance dans les années 80-90." Un jeu de mouvement donc, qui fait de Toulon une équipe qui aspire à jouer comme... Toulouse.

Les cas Facundo Isa, Antoine Dupont et Thomas Ramos

La dernière similitude que partagent Toulon et Toulouse se joue cette fois sur le marché des transferts. Car si les deux clubs ont longtemps entretenu des rapports cordiaux, échangeant des joueurs mais ne se tirant pas dans les pattes, depuis un an, les rapports entre les deux clubs semblent s'être durcis. Ainsi, plusieurs dossiers chauds ont opposé Toulon et Toulouse au moment de construire leur effectif 2017-2018. Il y eut par exemple Facundo Isa. En discussion avec le Stade toulousain, le joueur, qui souhaitait rejoindre le Top 14, semblait en passe de rejoindre Toulouse et avait donné son accord oral au manager haut-garonnais. Mais c'était sans compter sur l'éternel séducteur Mourad Boudjellal.

Le président varois, apprenant la présence du troisième ligne des Pumas sur le marché, l'a contacté et l'a arraché en dernière minute au Stade toulousain. On peut également évoquer le cas d'Antoine Dupont, avec lequel le club toulonnais a tenté le même coup de poker... en vain. Enfin, il y a eu le cas Thomas Ramos. De retour au Stade toulousain après un prêt d'un an à Colomiers, le jeune arrière a été contacté par le RCT et convaincu de rejoindre Toulon. Mais ses dirigeants ne voyant pas la chose du même œil, le buteur a finalement dû revoir sa position. Ces trois cas illustrent que, s'ils ont souvent vu des joueurs porter les deux maillots (Palisson, Clerc, Fickou, Maestri), les deux clubs chassent désormais ouvertement sur les mêmes terrains. Nouveau point commun, s'il en fallait, qui illustre parfaitement l'ambiguë proximité qu'entretiennent désormais deux des mastodontes du rugby français.

Pierrick Ilic-Ruffinatti