Stop au massacre ! Mais comment faire évoluer le rugby ?

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BLESSURES - Face à l’intensité des chocs, l’intégrité physique des rugbymen ne cesse d’être menacée. Mais quelles peuvent être les solutions pour préserver la santé des joueurs ? Mêlée, plaquage, ruck… Dans la première partie de notre dossier, différents acteurs et observateurs du rugby nous éclairent sur les évolutions à apporter au règlement.

Le 12 janvier 1975, lors d’un match face au Stade dijonnais, Benoît Dauga, alors deuxième-ligne international du Stade Montois, reste étendu sur le sol après un plaquage. L'hôpital de Bordeaux diagnostique un traumatisme en hyper-extension avec étirement de la moelle épinière, entraînant une tétraplégie. Après une longue rééducation, Le Grand Ferré retrouve une autonomie complète. Mais ce qui était alors un accident exceptionnel est devenu une menace pesante sur le corps des rugbymen. En quarante ans, le rugby, ce sport de combat, a muté en un sport de collisions où le nombre de joueurs assommés, brisés est une réalité terrifiante.

Les images des KO de l’ouvreur irlandais Jonathan Sexton, de l’ailier gallois George North ou plus récemment du talonneur anglais Dylan Hartley dans le Tournoi des 6 Nations 2016 hantent de plus en plus les esprits. Et que dire du trois-quarts centre gallois de 22 ans Owen Williams, paralysé depuis un plaquage et de l’ailier ivoirien Max Brito tétraplégique après la rencontre face aux Tonga lors de la Coupe du monde 1995. Plus près de nous, Stéphane Delpuech, ancien pilier de Colomiers, victime d’une encéphalopathie chronique traumatique, conséquence de multiples chocs à la tête subis durant sa carrière. Mais comment remédier à des chocs toujours plus violents sans dénaturer ce sport ?

Jonathan Sexton au sol - France-Irlande - 13 février 2016
Jonathan Sexton au sol - France-Irlande - 13 février 2016

Maciello: "Ces contacts certes violents sont souvent dans le respect de la règle"

Dans un premier temps, attardons-nous sur la règle. Est-elle bien écrite ? Elle est adaptée à la santé du joueur, coupe Franck Maciello, Directeur Technique National de l’Arbitrage Adjoint depuis 2012. Maintenant, c’est vrai que les joueurs nous font remonter que les chocs sont violents, c’est le terme approprié. Là où cela devient très compliqué pour le corps arbitral, c’est que ces contacts violents sont souvent dans le respect de la règle. Dans la large majorité des cas, on peut difficilement les considérer comme irréguliers. Le jugement de l’arbitre et son interprétation deviennent très complexes. Dès lors que le joueur respecte la règle, ce n’est pas parce qu’il va avoir une vitesse d’exécution très forte, avec énormément de puissance, qu’il devra être sanctionné. L’arbitre ne peut rien faire. Il y a une forme d’impuissance face à ce genre de situations qui doivent être managées avec lucidité.

Du côté du Syndicat des Joueurs, ce constat passe mal. Si en dépit du fait que la règle soit supposée bien écrite, si en dépit du fait que l’acteur à l’initiative d’une action avec un choc violent est dans la règle, on continue comme cela, c’est bien qu’il y a un problème, insiste Robins Tchale-Watchou, Président de Provale. Il y a une lacune ou un paramètre que l’on ne prend pas suffisamment en compte. La règle doit être repensée pour être de nouveau améliorée. En tant qu’acteur, je vois très bien la différence avec mes débuts (2005). Aujourd’hui, tu as des mecs de 22 ans qui pèsent 130 kilos ! Quand tu les prends deux fois dans la couenne, tu les sens passer. Et pourtant, c’est fait dans la règle.

Paul Willemse, le deuxième ligne de Montpellier face aux Harlequins - 13 mai 2016
Paul Willemse, le deuxième ligne de Montpellier face aux Harlequins - 13 mai 2016

Repenser la technique du plaquage

Prenons la mêlée. Si le changement des commandements (Flexion, lier, jeu), en 2013, a permis de réduire de 25% l’impact au moment de l’entrée en mêlée, World Rugby n’exclut pas d’aller plus loin en limitant la durée de la poussée. D’autres secteurs sont en revanche plus problématiques à l’image du plaquage dont le nombre sur un match a quadruplé durant les trente dernières années. Ce n’est pas encore très bien arbitré, reconnaît Bernard Lapasset, Président de World Rugby de 2007 à 2016. Il faut se montrer plus sévère.

Mais l’appréciation des arbitres n’est pas seule responsable de ce mal. Plus de la moitié des commotions (56%) surviennent en effet sur des problèmes de technique de plaquage. Alors que la Direction Technique Nationale se penche sur ce dossier, peut-on envisager que le règlement redéfinisse la technique de plaquage ? Les acteurs doivent peut-être revoir l’esprit de notre gestuelle, de notre pratique, souligne Robins Tchale-Watchou. Dans l’approche des solutions à envisager, il ne faut pas se donner d’interdit. Qu’est-ce qui nous empêche de modifier la façon de plaquer ? Il ne faut pas se donner de limites. Nous sommes face à une problématique où une solution de magicien n’existe pas.

Richard Sherman
Richard Sherman

L'exemple du Football américain

Ancien joueur puis entraîneur de football américain, Jean-Philippe Dinglor nous livre l’exemple de ce sport qui a complètement revu sa philosophie du plaquage. Outre l’interdiction de plaquer au-dessus des épaules, il y a eu un changement profond sur la méthode de plaquage, explique-t-il. On évite désormais de venir, comme les rugbymen, avec la tête vers le sol pour protéger les cervicales. Il existe une nouvelle approche qui limite les dégâts engendrés sur le poids imposé aux cervicales. On vient se coller à son adversaire avec son buste (chest to chest, buste contre buste, NDLR). Il s’agit d’engager son buste de bas en haut. On est proche d’un impact en étant quasiment à l’horizontal. C’est une technique plus difficile. Pour certains joueurs, ça a été compliqué à mettre en pratique mais compte-tenu des sanctions appliquées, on est obligé de s’adapter. Au risque de choquer les mentalités, World Rugby doit-il s’inspirer de cette évolution mise en place par la NFL ? Le débat est lancé.

La dangerosité des rucks est aussi mise en cause
La dangerosité des rucks est aussi mise en cause

Vers un nombre limité de joueurs dans les rucks ?

Si les images impressionnantes de la blessure du Sud Africain Willie le Roux en Super Rugby montrent que le règlement doit également évoluer pour diminuer les risques de collision dans les airs, un dernier cas demeure particulièrement inquiétant : les rucks (18% des commotions cérébrales). Faut-il par exemple interdire un certain type de déblayage ? Il y a beaucoup de travail dans ce secteur de jeu que je trouve très dangereux, avoue Bernard Lapasset. On attrape les joueurs par le cou pour les désarçonner. Les prises à la tête sont de plus en plus nombreuses. C’est une priorité car il y a de plus en plus de rucks (près de 200 par match, ndlr). Sur les ralentis, il m’arrive d’avoir peur. C’est un pôle de difficulté et de blessures. Il faut travailler sur la forme, l’expression du ruck. Peut-être doit-on limiter le ruck à un nombre de joueurs. Pourquoi pas.

En attendant, le protocole commotion cérébrale - dont la sensibilité de 80% doit être optimisée pour éviter les blessures et le syndrome du second impact - reste le meilleur allié des rugbymen. Mais reste à savoir si l’Anglais Bill Beaumont, élu le 11 mai à la tête de World Rugby, poursuivra les réflexions menées sous le mandat de Bernard Lapasset pour adapter la règle à un sport de combat trop souvent déguisé en un jeu de massacre.

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