Penaud: "Le temps d'avance qu'avait Toulouse dans les années 90 et 2000 est perdu"

  • Alain Penaud sous le maillot de Toulouse contre Bath - 20 novembre 1999
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  • Penaud et Pichot en pleine discussion - Brive Stade français - 17 mars 2006
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  • Laurent Travers, Thierry Labrousse, David Venditti et Alain Penaud soulèvent la H Cup - Brive Leicester - 25 janvier 1997
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Deuxième partie de l'entretien: pour Alain Penaud, ancien ouvreur international, le Stade toulousain a été rattrapé par de nombreux clubs alors qu'il a dominé le rugby durant des années.

Quelle est votre vision du rugby d'aujourd'hui par rapport à celui que vous avez connu ?

Alain PENAUD : Je pense qu'il y a juste à regarder les chiffres au niveau du temps de jeu effectif. Je ne pense pas mentir en disant qu'au début des années 90, le temps de jeu devait tourner autour des vingt minutes alors qu'aujourd'hui, on a dépassé la barre des trente-trente cinq minutes voire plus. Le rugby, par le développement athlétique des joueurs, est devenu un sport encore plus physique, plus violent dans les impacts, dans l'engagement. Pour moi, c'est davantage devenu un sport d'explosivité alors que durant ma carrière, on était plus sur un sport de combat même s'il reste présent évidemment car c'est l'essence même de ce sport. Mais l'évolution du jeu est devenue plus intéressante par ses tactiques, ses stratégies et surtout plus structurée. Je l'ai dit et répété, ces dernières années le rugby est véritablement devenu un sport collectif, ce qu'il n'était pas par le passé.

On est pourtant parfois nostalgique du rugby flamboyant d'autrefois fait d'envolées en lieu et place d'un jeu beaucoup plus stéréotypé de nos jours...

A.P.: Ce n'est pas tout à fait vrai me concernant. Avant, on avait à faire à un jeu individuel avec des joueurs qui n'avaient ni la dimension physique ni l'approche collective que les joueurs modernes peuvent avoir. Les physiques se sont développés mais dans le même temps et parallèlement, tu as aussi une dimension collective qui s'est développée et qui n'existait pas. Avant, on te "filait" un ballon à l'entraînement et on te disait "démerde-toi". Mis à part trois concepts ou tactiques établies, c'était la seule chose qui pouvait collectivement être véhiculée. Tu avais une paire de cannes et un minimum de technique - et je dis bien un minimum de technique - tu étais un joueur d'exception. Je me souviens d'une époque où très peu de demis d'ouverture et de centres - même des mecs avec plus de quatre vingt sélections - étaient capables de faire une passe sautée de vingt mètres des deux côtés et ça, c'est de la technique purement individuelle. Et je ne parle même pas des défenses car il n'y en avait qu'une. Et personne ne pouvait véritablement te la décrire ou te l'expliquer. Tu défendais comme tu pouvais et tu te démerdais. Aujourd'hui, tu as une alternance des défenses, une adaptation à l'adversaire, à des situations de jeu. Tu as une couverture du terrain de tous les joueurs. J'aimerais prendre les tests physiques et VMA (Vitesse Maximale Aérobie) des avants de l'époque et comparer avec ceux d'aujourd'hui qui répondent davantage aux exigences du haut niveau. On s'apercevra que l'on est complètement en décalage. Et quand on voit la vitesse que sont capables de mettre des piliers, des deuxième lignes et troisième lignes, ce n'est plus du tout le même rugby. Que l'on ne m'explique pas comme des vieux cons que c'était mieux à notre époque car c'était complètement différent. L'impact de l'individu primait davantage et ce qui a fait que Toulouse - avec une très belle génération et le peu de mouvement de joueurs - a dominé le rugby français pendant dix ans. Le rugby moderne est véritablement devenu un sport d'explosivité et de dimension technique, individuelle et collective.

Il y a tellement de joueurs exceptionnels... Tous les acteurs de ce jeu me semblent tellement au-dessus de ma génération et de ce que l'on était capable de proposer

Que pensez vous de cette course au physique dans ce rugby moderne au détriment des qualités intrinsèques d'autres joueurs moins robustes mais aussi bons voir meilleurs ?

A.P.: Le physique est, aux yeux de beaucoup de techniciens, le premier critère de sélection mais je crois qu'il n'y a qu'une vérité, c'est la combinaison explosivité-vitesse. Bien évidemment, la dimension technique reste importante au même titre que de posséder une bonne base physique et il y a plusieurs critères comme le poids, la taille... mais la véritable clé pour jouer au rugby, ça reste l'explosivité quelque soit le gabarit de l'adversaire. C'est selon moi, la première exigence du rugby moderne.

Aviez-vous un parangon dans le rugby ? Un joueur qui vous impressionne ?

A.P.: Non. je n'ai jamais focalisé sur un joueur mais plus sur une équipe. Et cela n'a pas changé. Et il y a tellement de joueurs exceptionnels... Tous les acteurs de ce jeu me semblent tellement au-dessus de ma génération et de ce que l'on était capable de proposer. Je suis admiratif des efforts faits par ces mecs pour en arriver à ce niveau-là. 

Penaud et Pichot en pleine discussion - Brive Stade français - 17 mars 2006
Penaud et Pichot en pleine discussion - Brive Stade français - 17 mars 2006

Vous avez jouez dans quatre clubs français (Brive, Toulouse, Paris et Lyon). J'imagine que vous leur portez une attention toute particulière ?

A.P.: Oui, même si mon club de cœur reste et restera Brive. Après, j'ai une tendresse particulière pour le Stade français et un regard un peu plus dubitatif par l'évolution de Toulouse. Le Stade toulousain a été une formidable expérience et un club extraordinaire. Certainement le club le plus structuré dans lequel je suis passé mais sur les dix dernières années, j'ai l'impression que ce club n'a pas évolué comme il aurait dû évoluer. Quant à Lyon, je pense que Tim Lane est un bon entraineur avec une bonne vision du jeu d'aujourd'hui. Mais c'est toujours compliqué quand tu es promu car il y a toujours cette part de stress dont il faut se débarrasser avec des matchs couperet chaque week end et cette course au maintien qui est primordiale pour laisser le temps au club de bien se structurer dans tous les domaines. Comptablement, ils n'ont pas trop mal commencé leur parcours et sont lancés sur une bonne voie même si le challenge reste compliqué car rien n'est fait.

Pourquoi aller former des Fidjiens, que ce soit au centre de formation de Brive ou à l'académie aux Fidji alors que tu n'es même pas capable de former tes propres joueurs ?

Quel est votre regard au sujet des centres de formation ?

A.P.: Le rugby français vit avec beaucoup de mécènes (Clermont, Castres, le Stade français, le Racing...) et la vraie tâche aujourd'hui, c'est justement d'arriver à se projeter dans l'après, dans le futur et se dire qu'il faut batir dans le présent pour pouvoir faire en sorte que le club fasse au mieux en cas de départ du mécène. Il faut d'abord penser à la formation qui est capitale dans un club, or, cette dernière est abandonnée. On nous dit qu'elle coûte cher et qu'il vaut mieux aller chercher les Fidjiens, si on prend l'exemple de Brive. Ok mais où est ta culture de club ? Ton identité locale, régionale ? Pourquoi aller former des Fidjiens, que ce soit au centre de formation de Brive ou à l'académie aux Fidji alors que tu n'es même pas capable de former tes propres joueurs ? Alors ouvrons aussi une académie en Géorgie pour former des piliers... ça parait un peu ridicule ! Travaillons sur les qualités et les spécificités du rugby français et essayons d'adapter cette formation-là. Je pense aussi que les instances dirigeantes devraient un peu mieux rétribuer et récompenser les clubs en fonction justement des niveaux de formation et des engagements de formation mis en place par chacun. Et pourquoi pas imaginer une rétribution en fonction du nombre de joueurs formé par chaque club ? Et l'équipe de France ? Les joueurs étrangers viennent même en France car ils savent qu'ils peuvent devenir internationaux.

Vous avez connu le "grand Stade toulousain": son système s'essouffle-t-il ?

A.P.: Je crois que le temps d'avance que le club avait dans les années 90 et début 2000 est à présent perdu. Le recrutement était fantastique au fil des années, toujours par petites touches mais de très grande qualité et ils ont pu garder cette avance au fil des années. Cependant, le club a oublié d'y mettre certains ingrédients qui sont essentiels de nos jours et que d'autres équipes ont pu mettre en se structurant efficacement. Je pense notamment à la production du jeu. Je peux citer le Stade français de cette époque dans la lignée du Stade toulousain et maintenant des écuries comme Clermont, Montpellier. Ces  structures ont plus une dimension collective qui colle plus à la réalité de ce sport aujourd'hui mais cette analyse n'engage que moi. J'ai malgré tout tendance à penser que c'est un passage obligé et que le Stade toulousain reste malgré tout un club relativement solide et que rapidement, à l'image de l'équipe de France, il redeviendra rapidement au sommet car dans l'état, ce club mérite encore mieux. 

Pensez-vous voir le club de Brive à nouveau tutoyer les sommets du rugby français ? 

A.P.: Sincèrement... si je suis honnête... je vous dis non ! Beaucoup de choses n'ont pas été mises en place. Notamment l'utilisation du budget à une certaine période qui a mal été gérée, d'où la difficulté actuelle. Puis, quand on est dans une petite ville comme Brive, il faut avoir cette capacité à rassembler toutes les énergies et à pouvoir se mettre autour d'une table. Ça a été fait mais sans lendemain.

Votre fils ainé a intégré le centre de formation de... Clermont. Le nom de Penaud est-il si lourd à porter du côté de Brive ?

A.P.: Non, il a juste répondu à une fin de non-recevoir de la part du club de Brive. Ce n'est pas difficile à partir du moment où on ne te demande pas de rester. Il suit sa formation à Clermont mais il est évidemment déçu car Brive est son club de cœur. D'autant plus qu'il y laisse ses copains et on sait combien à cette âge-là c'est important ces liens de formation avec ses potes. Mais ravi de ce qu'il a pu trouver du côté de Clermont et cela me permet aussi d'ouvrir les yeux sur les différences qui peuvent exister. Mais on nous dira que c'est une histoire de budget.

Laurent Travers, Thierry Labrousse, David Venditti et Alain Penaud soulèvent la H Cup - Brive Leicester - 25 janvier 1997
Laurent Travers, Thierry Labrousse, David Venditti et Alain Penaud soulèvent la H Cup - Brive Leicester - 25 janvier 1997
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